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Nouvelles de mes nouvelles !

Publié le par Bernard Oheix

Au fil des années et des images insoutenables d'une humanité en souffrance, j'ai accumulé une série de nouvelles dont j'envisage la prochaine édition chez mon éditeur Ovadia.

Vous avez pu découvrir Ali est né dans le précédent article et je vous livre le préambule de ces 16 récits qui véhiculent le regard désorienté de celui qui cherche un peu de vérité dans la cruauté des hommes et la barbarie d'un monde qui perd son sens dans la fureur des drames qui le consument !

Bon courage !

 

Dans le domaine de l’horreur, la réalité dépasse largement la fiction et rien ne peut décrire la vraie douleur de quelqu’un qui souffre dans sa chair, dans son esprit. Les mots sont impuissants, les phrases inutiles, il ne reste que ce déchirement profond de l’être meurtri, cet impossible partage d’une souffrance indicible. Vous pouvez essayer de reproduire avec ce maigre alphabet les cris intérieurs, ils seront toujours assourdis, si loin de la crudité d’un hurlement qui doit jaillir en réponse au mal qui ronge.

Quand l’on regarde les actualités télévisées, quand on parcourt les feuilles d’un journal, plonge dans les reportages d’un magazine, on est appelé à croiser nos regards, nos pensées avec des évènements qui, chacun, représente une somme de douleurs et de drames incommensurables comme aucun scénariste, aucune fiction ne pourrait les rendre.  Quoi de plus odieux que la situation au Darfour avec ses populations exterminées, ses enfants violés, cette faim qui dévore une partie de notre humanité ? Quoi de plus intolérable que ces femmes toujours voilées de l’Afghanistan, cette déforestation de l’Amazonie, la situation au proche orient, la haine du juif et de l’arabe, les ravages du sida en Afrique, le commerce de la chair en Thaïlande, le corps décharné d’un homme rongé par la drogue, le ventre vide et si gros d’un enfant au bord d’une route sans destination ?

Et pour tenter de comprendre ma démarche, établir un lien entre le regard apeuré d’un enfant au moment du sacrifice et celui de son bourreau, fait-il de vous un propagandiste de ce drame ? Que peut-on découvrir derrière les prunelles exorbitées de l’auteur de cette sauvagerie barbaresque qui ne peut contrôler ses pulsions morbides et souffle sur les braises du cauchemar ? Existe-t-il un châtiment à la mesure de l’horreur accomplie ? Un million de victimes sous les yeux des occidentaux dans la région des grands lacs africains ont-ils valeur de symbole pour des sociétés repues dans leur conformisme et dans la paix illusoire de leurs frontières ?

 

Dans toutes ces histoires, dans les emballements de ces élans mortifères, il y a toujours en point commun la décapitation des élites intellectuelles et des artistes pour des raisons aussi contradictoires que le pouvoir absolu, la domination de la matière sur l’esprit, le refus d’ouvrir une porte sur l’avenir par les gardiens qui en possèdent les clefs. Tous ceux dont les cris peuvent devenir audibles deviennent suspects, tous ceux dont l’écho peut transformer la souffrance en actes et la dévoiler aux yeux du monde sont des dangers pour les maîtres de l’horreur qui campent sur ces ruines gorgées de douleurs.

Derrière le masque de la religion qui autorise toutes les vilenies, derrière les potentats nationaux, locaux, les caïds de quartiers, il y a toujours le goût du pouvoir, les intérêts privés, la raison de la force sur la force de la raison, histoire éternelle où le plus démuni est toujours la victime. C’est ainsi que se construit le monde, que s’érige l’histoire de demain, dans la frénésie des passions exacerbées !

Ce mal ne touche pas seulement le tiers monde, les pays de la faim, l’obscurantisme des sans espoirs, il gangrène les riches qui entretiennent cette pauvreté, il corrompt les nations arc-boutées sur leur sang, leur race, leur histoire falsifiée, leurs légendes frelatées de héros inutiles. Brecht déclarait : « Bienheureux les pays qui n’ont pas besoin de héros », il se trompait, il n’y a pas de pays heureux, il n’y pas de société « humaine », juste une gigantesque arène où la partition de la mort est la seule conduite que nous avons trouvée pour aller vers le futur en boitillant, cahin-caha, éclopés de la vie, perclus des drames que nous refusons de voir et d’entendre, parmi les millions de morts et de bouches avides qui appellent au secours désespérément sans que jamais on les entende.

Que reste-t-il de ces drames si réels ? Quelques photos jaunies par le temps toujours chassées par d’autres documents encore plus cruels, l’horreur n’ayant pas de frontières et reculant les limites de l’indicible, de l’inaudible ! Le sentiment confus d’un marasme avec en revers cette capacité de fermer les yeux, de clore nos oreilles, de fermer nos bouches afin de ne pas désespérer de nous-mêmes et de continuer à vivre malgré la cacophonie ambiante dans l’atonie la plus totale.

Il n’y peut-être rien à faire. Nous avons accepté la dérégulation sauvage pour une rentabilité à court terme et l’exploitation des plus faibles au profit des nantis, nous nous aidons d’une religion comme une béquille qui nous garantirait la vie éternelle en rémission d’une vie de souffrance, nous acclamons les forts et les portons au pouvoir en démissionnant de notre droit de contrôle, blanc-seing dont ils usent largement devant notre apathie, nous abandonnons notre planète à nos déchets,  faisons mourir nos rêves parce qu’il est plus facile de se laisser porter par les flots tumultueux de nos faiblesses que de se battre pour une liberté qui ne serait pas seulement la nôtre, mais un bien de partage, un trésor commun qui impliquerait une vigilance de tous les instants. Il y a si peu d’humanité en l’homme que l’on peut désespérer de lui.

Alors que faire ? Le temps des révolutions est bien terminé, elles ont si peu accouché d’un monde meilleur que l’on peut légitimement s’interroger sur leur utilité. Fermer les yeux et rejoindre la grande masse de ceux qui privilégient l’illusion d’un confort parce qu’ils sont nés du bon côté de la frontière et ne veulent pas sentir la colère gronder dans le ventre de ceux qui n’ont rien ? Léguer à nos enfants un monde où le cancer de l’égoïsme se développe, tenter de vivre tout simplement ? Savoir que l’on a si peu de place et d’importance qu’il n’est nul besoin de revendiquer d’exister et de trouver un sens à sa vie pour aspirer au bonheur.

 

Peut-être un peu de tout cela ! Etre capable de dire non, de pleurer devant la souffrance des autres, de s’émouvoir et de rêver, de rire et de respecter. C’est par les mots que je veux lutter, en dessinant les contours d’un univers incomplet, en mettant en exergue les plaies de notre tissu social, les déchirures de nos rapports à l’autre, en décrivant la souffrance de la victime tout en tentant de saisir les revers cachés de celui qui commet l’irréparable, en riant de ne pas me prendre au sérieux tout en offrant la description de quelques moments d’inhumanité à la sagacité du lecteur qui me suit dans le parcours erratique de ces troubles si inhumains. Puisse-t-il partager un soupçon d’émotion et panser quelques plaies, puisse-t-il offrir un peu de réconfort à ceux qui en sont trop démunis.

Si le stylo était une arme, il pourrait venger bien des humiliés, si l’esprit primait sur la matière les larmes se fondraient en un océan de douceurs, si le soleil se décidait à briller pour tout le monde, les exclus se retrouveraient exposés à ses caresses. Les mots restent des mots, les idées des idées, mais la douleur est tangible, les blessures saignent et nous avons si peu de temps pour apprendre à grandir et aimer.

Voilà donc un chapelet de nouvelles qui ont pour but de vous étonner, de vous émouvoir, parfois de vous entraîner sur les rives escarpées de l’horreur au quotidien. Partageons-les comme le pain qui accueille ceux qui ont faim à l’issue d’une grande traversée du désert. Rappelez-vous, ce ne sont que des mots, des lettres de papier, des signes tracés sur une feuille blanche. Mais derrière ces mots, on trouve une réalité que même les phrases les plus sincères ne peuvent pas décrire : celle de millions et de millions d’êtres humains qui souffrent dans leur chair et dont les rêves sont bornés par l’ignominie de leurs frères.

De l’écrivain qui compose une partition définitive destinée à venger son talent méconnu au cerveau torturé d’un bourreau exécutant les victimes innocentes d’un génocide, d’un sniper se complaisant dans la brutalité et jouissant de la torture à une naissance en accéléré au bout d’un cordon qui s’avèrera comme un film en raccourci d’une vie incomplète, d’une malle bourrée de chefs-d’œuvre inconnus aux yeux d’une proie terrienne dans un café galactique, de Betty, hantée par les camps de la mort à cet enfant de la guerre à la recherche d’un ennemi fantôme, de tous ces personnages, il ne restera sans doute que l’amertume d’un monde à construire pour que vivent les hommes et qu’ils apprennent à se regarder comme des êtres humains, se détachant de ces liens tragiques qui les réunissent et sont le dénominateur commun de leur incapacité de vivre en harmonie.

 

Bonne lecture.

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