Le billet de Marrakech
Les grandes villes possèdent d’étranges signatures. A Bangkok c’est la rumeur sourde et les chants du matin qui vous éveillent, (un coq, les muezzins, un bruissement de l’air particulier...). A Cuba, le regard est transpercé par les couleurs vives qui tranchent sur le sombre des murs de guingois et le sel qui ronge la matière. New-York brasse et rugit, Buenos Aires est moite et sa nuit tangue d’humeurs langoureuses.
A Marrakech, la signature est olfactive. Elle s’impose dans toutes les nuances et domine une impression du ressentir. La terre dégage des volutes chargées d’humus, les jardins innombrables sont chargés de fleurs d’oranger, et partout, il y a comme une trace d’épices, aux portes de l’Orient... le safran, le cumin, la coriandre, sur tous les étals, dans les plats chauds servis sur la place Jamaa El Fna, flottant dans l’air pour mieux vous inviter au dépaysement.
Marrakech, tant de clichés sur ce refuge des nantis, alors que la ville s’offre sans détours, comme une invitation vers un peuple d’hommes et de femmes affables, le sourire aux lèvres, gentillesse réelle et non feinte saupoudrée d’humour et de fatalisme. Même les négociations se font dans la légèreté et sans cette tension perceptible dans nombres pays où les souks dégorgent d’objets dans les couleurs de l’arc en ciel !
A Marrakech, le touriste ne pourra jamais avoir son compteur aux taxis (seul le Marrakchi y accèdera), mais vous apprendrez vite les tarifs et les marges de négociations (de 50 à 30 dirhams, de 5 à 3 €), et vous pourrez circuler de la Médina à Gueliz, de jour comme de nuit, sans que jamais les conducteurs se départissent d’un franc sourire et d’une réflexion bien sentie assortie de rires. Il n’y a jamais de sentiment d’insécurité dans cette ville, de jour comme de nuit, dans les quartiers huppés comme dans les ruelles défoncées des recoins plus éloignés, la peur de l’autre ne s’invite pas !
La place Jamaa El Fna reste cette immense agora ou les musiciens et les charmeurs de serpents attirent les touristes contre quelques piécettes. Malheur à celui qui prend une photo, elles sont bien libres de droits... mais impliquent un paiement à la source. Les singes en laisse se grattent d’un air triste au milieu des étals d’épices et de jus d’orange. Les grands bars «coloniaux» bordent cette place gigantesque et si d’aventure, la nuit, dans la fumée des feux de bois et le bruit des orchestres, vous vous sentez de vous assoir sur les bancs rustiques, vous y mangerez une délicieuse soupe marocaine et plongerez dans la nuit des temps.
La Koutoubia se dresse comme un phare de prières. Nul immeuble ne peut la dépasser, ce qui limite à 5 étage les habitations et permet à la cité de rester à taille humaine, balcons et terrasses comme des parures chargées de passants. Un déjeuner à la Terrasse des épices dans le nord du souk par un soleil qui éclaire la ville, un barbier sans âge au sourire charmeur qui vous «encrème» avant de passer le fil de son rasoir sur vos joues, un thé chaud et sucré en compagnie d’un lettré, homme de qualité, descendant de la famille du prophète et responsable du culte «Soufi», qui vous demande de l’aide comme si vous étiez d’importance pour un acte qui en a...
Marrakech où je n’ai pas rencontré DSK et autres édiles du microcosme parisien, mais de jeunes italiens heureux, des suissesses belles et curieuses, des touristes comme vous et moi, heureux de partager et de rêver, de sentir la vie nous porter vers un demain où le Maroc sera toujours ce pays fragile, au bord de la pauvreté, mais campé sur des valeurs et une volonté de s’en sortir qui force l’admiration et le respect !
C’est cela mon Marrakech à moi, un 4/4 avec un jeune couple cultivé et attachant pour une ballade vers les rives du lac de Lalla Takerkoust qui retient les eaux des sommets de l’Atlas enneigés qui dominent la plaine, une future maman au regard noir, libre et obstinée, décidée à vivre ce Maroc où tout encore est possible, de la tradition à la modernité.
Marrakech, un nom qui chante l’espoir et résonne de toutes les réalités actuelles, de la misère à la richesse, du Magreb à la France, du passé à l’avenir... dans le sourire et le chant d’un rire à retenir la peur de l’autre !