le grenier de la mémoire 25 : SEMEC... la préhistoire !
De 1992 à 1995, l'histoire de cette Société d'Economie Mixte pour les Évènements Cannois fut un éternel balbutiement. Une histoire contrastée pour cette structure qui avait en main les destinées de milliers de Cannois reliés économiquement à l'activité du Palais des Festivals, accueillant le Festival du Film et des congrès gigantesques qui nourrissaient le quotidien de toute une population : Midem, Mip TV, Mip Com, Tax Free, Mipim... chacun apportant sur Cannes des milliers de congressistes au fort pouvoir de dépenses et drainant tout au long de l'année, des touristes complétant les retombées économique. Tourisme de loisirs et tourisme de congrès, les 2 mamelles d'une économie Cannoise florissante !
Derrière ce tableau idyllique, il y avait la réalité d'un fonctionnement totalement kafkaïen ! Du parfumeur totalement largué au vendeur de tapis de la rue d'Antibes, plus à l'aise pour gérer les kms de moquettes nécessaires au bon fonctionnement des manifestations qu'à prendre les décisions qui s'imposaient, les Présidents se succédèrent, adjoints au Maire mais inaptes à gérer un ensemble aussi sophistiqué ! La 1ère Directrice générale, Marie Pierre Colas, acheva sa mission sur un des innombrables Audits, orchestrés par ces fameux experts saturant l'espace de travail ! Lequel audit déboucha sur le constat qu'il fallait changer de DG... et comme par hasard, c'est la responsable de cet audit, mandatée par un grand cabinet parisien, qui dessina le profil idoine du nouveau DG correspondant, ô surprise, à son propre profil ! C'est ainsi que Martine Morabito fut nommée Directrice Générale, avec comme principale conséquence, très rapidement, de prouver que, de la théorie à la pratique, il y avait un gouffre que même les meilleures intentions ne pouvaient combler !
Archétype d'une technocrate dépassée par ce qu'elle avait enfanté, Martine Morabito, sous les traits d'un patron exigeant et sans complaisance, était une caricature de despotisme doublée d'une infinie incapacité de trancher et d'envisager des lignes de développement ! On passait notre temps à subir des décisions arbitraires, irrationnelles. Un jour, elle me convoqua pour m'informer que nous ne pouvions plus "inviter" les journalistes sur le prochain Festival de Danse en payant leur transport et les hôtels, car cela revenait à une "gestion de fait" de l'argent public ! En gros, continuez de supplier les critiques pour qu'ils viennent couvrir l'évènement et en parlent dans les médias... mais de grâce, qu'ils prennent en charges désormais leurs frais ! J'imaginais la tête des critiques de danse au moment de payer l'addition ! Il a fallu que je monte une énième fois au créneau...
Elle avait mis sur pied des réunions hebdomadaires des directeurs et de certains chefs de service (on était une douzaine !) où chacun était sensé exposer ses problèmes et se coordonner avec les autres services sous sa houlette ! Gabegie, perte de temps, complaisance... L'horreur ! Vide intersidéral de considérations oiseuses, chacun évitant soigneusement de parler de ses problèmes dans l'espoir que personne (et surtout pas elle !) ne s'en mêle !
Technocrates de tous les pays : unissez-vous !
Pendant ces réunions, je construisais des grilles de mots croisés ! Provoc évidente puisque réalisée aux yeux de tous ! Je vous donne le 1er vertical. À la définition "La SEMEC" essaie d'en être une, il fallait répondre : ENTREPRISE !
J'étais en opposition permanente avec Martine Morabito, la Directrice Générale. Si je voulais mener à bien mes missions culturelles, je devais me confronter, de facto et souvent avec vigueur, à la plupart de ses décisions. Un jour elle déboula dans mon bureau. Me fixant longuement, elle me déclara les yeux dans les yeux : "-Oheix, je vais avoir votre peau !". Ambiance ! Paroles, paroles...
Elle a sombré peu après, s'échouant sur la facture d'un tailleur de marque acheté pour la cérémonie d'inauguration du Festival du Film... mais réglée avec le compte professionnel de la Semec ! Comme quoi, on est pas toujours le prophète que l'on espère !
Et moi, j'étais encore là !
Entre temps, ils avaient trouvé une solution à nos problèmes d'implantation. Dans un angle de ce 2ème étage morbide, un grand espace ouvert avait été aménagé avec d'un côté Pierre Jean et son équipe de l'Animations et des Fêtes, de l'autre Bernard Oheix et sa garde prétorienne de sémillantes nanas gérant l'Évènementiel Culturel.
Un open-space où deux factions se regardaient en chien de faïence... tout au moins au début ! Par la suite, la proximité aidant, et malgré les différences de méthode de gestion des équipes, une pax romana s'instaura à défaut d'une entente cordiale !
Notre ordre de missions s'appuyait sur un certain nombre de festivals. En hiver, la Danse en biennale avec Yorgos Loukos en Directeur Artistique, un Festival de Musique Classique (Tacchino), un Festival de la Marionnette (avec René Corbier... le grand spécialiste de la côte) et surtout le Guitares Passion (DA : Pierre Olivier Piccard), de loin la manifestation la plus folle, mêlant stages de guitares, concerts, jam's session, couverte par la presse nationale, rencontre permanente entre le probable et l'improbable !
En juillet, nous avions Les Nuits Musicales du Suquet (toujours Tacchino) sur 10 soirées classiques.
Un programme prestigieux certes, mais qui nous laissait insatisfaits. Nous rongions notre frein en cherchant des axes de développement. Séminaires sur les îles, cellules de réflexion devant déboucher sur une prise de décision afin d'étoffer notre planning d'opérations ponctuelles, de co-productions, de premières, de créations, pour laquelle il n'était prévu aucun budget !
Et je me demandais bien comment sortir de cette galère !
C'est à partir de 1995 que les lignes bougèrent enfin, que nos efforts commencèrent à payer. L'arrivée de Dario Perez, puis de Gilles Cima, comme présidents débloquant la situation, d'autant plus qu'un nouveau Directeur Général fut nommé. Philippe Villechaize, rompu à la vie de la Mairie, proche de Michel Mouillot dont il avait été le chef de cabinet, homme intelligent et posé, parfait pour assurer une période de transition indispensable et rassurer le personnel du Palais usé par tant de changements à vue.
Grâce au soutien du Président Gilles Cima, nous avons enfin pu tester des programmations au "pourcentage" avec des opérateurs régionaux où en prenant des risques sur la billetterie : Bedos, Béjart avec sa Messe pour le temps présent, une nuit de polyphonies avec Poletti et les choeurs de Sartène et le Corrou de Berra, un gala avec les Etoiles de Paris, L'opéra de Pékin (Le roi des singes). Une création théâtre de Régis Braun sur un texte de Rezvani...
Ces dates venaient enfin étoffer notre activité, meubler certains temps morts du Palais, offrir de beaux spectacles au public local, sevré hors festivals et d'une programmation famélique de théâtre réalisée par le Casino Barrière gérant la redevance publique des casinos dans un cahier des charges sensé "artistique !"
Le vent de l'espoir se levait et nous étions enfin prêts à prendre la haute mer !