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Coeur Battant

Publié le par Bernard Oheix

 

Depuis tant d’années que je parcoure les routes sinueuses de ce métier, j’ai eu le privilège de rencontrer des gens formidables. Des Michel Bouquet au sourire facétieux, plein de douceur et d’attention, un Philippe Caroit d’élégance venant s’excuser d’un écart de langage dû au trac, Iggy Pop rayonnant au sortir de la scène s’extasiant d’avoir joué sur cette scène du Palais foulée par les stars du monde entier, des grands noms du théâtre et de la chanson, le regard transperçant de Maurice Béjart dominant un bouc austère, Arturo Brachetti avec sa houppe de Tintin lunaire, Gilbert Bécaud et sa faconde méridionale, Cali qui dissimule sa timidité derrière le visage d’un extraverti, Salif Keïta qui tombe à genoux devant son public, la bande d’Archive en train de boire et de poser pour les photos avec leurs fans au comptoir d’un bar de Cannes et tant d’autres qui allient le talent et l’élégance, dont le nom brille sans cacher l’humanité profonde.

 

Melody et Bernard O présentent la soirée.

Mais derrière ces grands noms, il y a toujours l’aile des autres, inconnus du grand public bien qu’au service de leur talent, les hommes et femmes de l’ombre sans qui les ors ne luiraient point de mille feux, qui se mettent à la disposition de la grandeur et n’en récupèrent pas forcément la gloire…quelques miettes tout au plus ! Ils restent pourtant au cœur du mouvement, de la pulsation qui entraîne le public vers l’horizon d’un bonheur éphémère, le moment du spectacle, la magie d’un instant d’éternité.

Gilles Choir est de ceux-ci, un batteur de talent, de génie, au service des stars, derrière ses caisses et cymbales, il règne sur un empire d’illusions, l’ombre est son domaine même si je l’en ai extrait pour braquer fugacement les projecteurs sur un visage d’enfant émerveillé dissimulé par de longs cheveux et un chapeau qui lui mange le front. Gilles Choir est mon ami et je lui ai offert le concert de ses 30 ans de carrière dans sa ville, sa région, devant son public…même si c’est lui qui m’a, dans la réalité, donné le plus grand des bonheurs, celui de réaliser un concert unique, de légende, la réunion de talents improbables que seule l’amitié peut souder, bien au-delà de tout calcul et d’additions mercantiles d’un plan de carrière à construire.

Melody, Gilles Choir, Phil Edwards et Ahmed Mouici à l'unisson !
 

Se bousculaient pour l’honorer en musique, le Corou de Berra de Michel Bianco dans sa version instrumentale, Phil Edwards avec son chapeau de cow-boy et son allant de folk et de country, la moitié de Pow Wow (Ahmed Mouici monté sur un courant sans alternative, Pascal Periz à la guitare sèche à pleurer), quelques membres prestigieux de la famille des batteurs (les Lajudie, Claude Salmieri, Pierre-Alain Dahan, rois de la baguette, transformant la batterie rythmique en harmonie souveraine)… des noms qui comptent dans le métier, qui sonnent les plus grandes stars de la variété…que vous ne connaissez peut-être point mais qui gagnent à se parer des atours d’une célébrité éphémère.

Ce qui aurait pu déboucher sur une kermesse bordélique de vieux potes blanchis sous le harnais, par la magie d’un Gilles Choir en batteur chef d’orchestre, se transformera en cérémonie d’initiés, opéra moderne se baladant dans tous les genres musicaux, un rituel plongeant ses racines dans la musique rock, country, jazz, dans l’alliance entre la voix et l’instrument, dans des batteries qui se superposent pour créer une harmonie universelle. Des fulgurances nous en avons vécues à chaque moment du concert. 8 mains pour batterie en introduction, père et fils Lajudie réunis par la tendresse et la complicité d’un art partagé, soli de Pascal Periz pour des mots enchanteurs dans des notes distillées, larmes de Gilles Choir et soli désespérés sous ses baguettes animées d’une passion que le temps compte trop chichement pour ceux qui rêvent éveillés. Voix rauque et stridence des riffs de Phil Edwards, Nex’Station avec la Melody du bonheur, sa fille à la voix portée par l’espoir, fanfare batterie des jeunes de l’école de la batterie, bœuf final emmené par un complice cannois débarquant de sa tribu, Bruno Clavel déchaîné, rejoignant ses amis pour emballer le rappel dans les notes grasses d’un blues d’anthologie…Le public qui remplissait la salle de la Licorne en redemandait encore au bout de 3 heures de concert, ovation montant jusqu’au ciel pour charmer les dieux de la félicité universelle en train de s’extasier sur ces grappes de petits hommes bleus couverts de notes fringantes.

C'est le moment des larmes sous le chapeau !
 

Par-dessus tout, les larmes de Gilles, star de la soirée, sa réserve naturelle mise en lumière dans la plus grande des simplicités. Il y avait des torrents de bons sentiments sertis dans la qualité de musiciens se lâchant en toute liberté, énergie débridée où rien n’était important que nier la fuite du temps et son cortège de morts, de rencontres évanouies, de destins funestes. L’ombre de Balavoine rôdait, Michel Berger se tenait au bord du vide, tant d’idoles brisées par l’ombre que les présents faisaient revivre dans la connivence d’un temps qui n’a pas de prise sur l’éternité d’une note de musique étirée jusqu’à l’infini.


Le vrai Gilles en action, derrière sa batterie, quand plus rien n'a d'importance que la note juste et que la vie devient  fluide comme la musique.

Quelques jours après, Gilles et Melody nous convient, Sophie et moi, à un déjeuner au Bar de la Marine pour débriefer la soirée. On reprend le cours de la genèse de ce concert et par la magie d’un homme qui a bourlingué sur tant de scènes d’Europe et des Etats-Unis avec ses baguettes sous le bras comme passeport, on se retrouve plongé dans un monde d’artistes tous plus célèbres les uns que les autres, nourris d’anecdotes, de descriptions friandes, de portraits croqués au traits rudes de la sincérité sans que jamais la méchanceté n’occulte le brillant tableau de chasse d’un attrape-rêveur. Gilles et sa Victoire de la Musique avec les Pow Wow, les débuts balbutiants de Mylène Farmer, les calculs savants d’un Balavoine sûr de son destin, les étoiles sans comète fracassées contre le mur de l’indifférence…

Alors oui, Gilles Choir, tes larmes fleuraient bon l’amitié et la gentillesse d’un musicien hors normes, comme un rappel que le talent n’est pas forcément concentré dans les mains égoïstes de ceux qui se parent d’indifférence, mais aussi dans la vraie générosité de ceux qui plongent leur regard dans les profondeurs de l’humanité !

Alors avec toi dans ce que tu vis, avec toi dans le courage, avec toi pour la guérison des petites bêtes qui rongent la beauté !


Le dieu de la musique est parmi nous, sans son chapeau mais en extase !

 

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Yves Simon, Archive et petits bonheurs.

Publié le par Bernard Oheix

 

La vie réserve parfois de belles surprises…Cette semaine d’un voyage éclair sur Paris en est la preuve évidente. Il y a du soleil dans le ciel bien chargé de ce printemps qui refuse de s’installer…parfois, ce n’est pas grave car c’est dans le cœur que les rayons brillent !

 

Combien y avait-il de chance pour que ce séjour éclair sur Paris me permette de rencontrer mon ami Yves Simon sur un trottoir, devant le Café de Flore, au sortir d’une réunion du jury des As d’Or du Festival International des Jeux qui s’était étirée jusqu’à me mettre en retard ? Aucune, à l’évidence !

Pourtant, chargé de mon sac, j’hésite sur la route à prendre, bascule par une ruelle pour rejoindre le métro Saint-germain et débouche sur le trottoir qui longe ce célèbre café où Sartre dégustait son petit noir en tirant sur sa cigarette. Là, debout en train de discuter avec une femme, dans la perspective exacte de mon regard, Yves Simon me voit et ouvre de grands yeux. Je vois la surprise, un « Bernard » s’échapper de sa bouche, il m’embrasse en me demandant ce que je fais sur Paris, pourquoi je ne l’ai pas averti et me prenant par le bras, en saluant son interlocutrice, m’entraîne vers le café de Costes.

C’est vrai que je ne l’avais point informé de mon passage. Deux jours « à l’arraché », le fait qu’il soit en train de lire un truc que j’ai écrit (et qui semble lui plaire !), le refus de mettre une pression sur ses épaules, m’avaient naturellement porté à ne pas lui dévoiler que je serais dans la Capitale !

Mais il était écrit que nous nous croiserions malgré tout pour le meilleur ! J’éclate de rire quand je le vois avec Libé et le Monde sous le bras, ayant strictement les mêmes journaux dans la même main… ce qui n’est que logique sans aucun doute pour des animaux à sang chaud ayant traversé les mêmes épreuves dans le même parcours !

Puis il enchaîne en me contant qu’il était à FR3 avec Patrice, sa compagne métisse pour un film sur le père d’Alexandre Dumas, héros romantique, général métisse de Napoléon… Là, j’hallucine et extrais de mon sac, le 3ème tome du Vicomte de Bragelonne que je suis en train de dévorer. Pour la petite histoire, j’avais lu plusieurs fois, adolescent, les 4 mousquetaires mais jamais leurs suites. Il y a quelques semaines, je me suis donc plongé dans les 2 tomes des Trois mousquetaires, embrayant avec les 3 de 20 ans après, et, découvrant que le Vicomte de Bragelonne avec ses 6 volumes en était le prolongement, me débats avec la cour de Louis XIV et un D’Artagnan vieillissant mais toujours fine lame devant l’Eternel enfin débarrassé de ses cardinaux maudits.

Combien y avait-il de chance pour rencontrer mon ami Yves Simon, avec ses deux quotidiens sous le bras en train de me parler d’un auteur que je n’avais plus lu depuis 40 ans et dans lequel je me replongeais ? Et si en plus, il laisse entrevoir du plaisir à me lire, alors, la vie est belle et le soleil de retour pour annoncer le chant d’un été prolixe !

Je ne peux passer sur l’extraordinaire spectacle du Théâtre de la Cité. Le Lyon Opéra Ballet de mon ami Yorgos Loukos dans une soirée spéciale William Forsythe reprenant 3 pièces phares de son parcours. Second detail (1991) est un alphabet du style « Forsythe ». Tout y passe… de ces pointes et entrechats qu’il va faire exploser pour inventer des signatures atypiques en créant un chaos apparent, de ces allers/retours entre académisme et recherche d’un geste libéré, de ces ruptures permanentes entre la notion de groupes et d’individus, sculptant le vide pour le remplir de son espace intérieur. Le Duo (1996) de danseuses à la poitrine nue est sublime de grâce et d’élégance, une composition troublante entre la précision extrême de l’unité et des fractures de rythme qui viennent casser la linéarité de l’échange. Les danseuses prouvent à l’évidence qu’elles possèdent les attributs à part entière d’une féminité rayonnante, elles sont belles et portent la grâce en elle d’une chorégraphie fluide et inspirée. One Flat thing, reproduced (2000) est un ballet d’une violence absolue. Des danseurs jaillissent du fond de scène pour installer des tables de cantine et vont évoluer entre les coins acérés, dessus et dessous, sculptant l’espace contraint rempli de ces arêtes meurtrières en un crescendo qui laisse bouleversé et haletant le spectateur devenu complice.

Et comme les grands bonheurs n’arrivent jamais seuls, après un dîner avec mes enfants, j’apprends que le disque d’Archive (prononcé Arkaïve) est enfin sorti…Je l’achète au Virgin de la Gare de Lyon et plonge dans la pochette à la recherche de mon nom (pour ceux qui s’interrogent, voir les articles dans mon blog concernant Archive et le plus beau et majestueux concert que j’aie jamais produit avec mon complice Michel Sajn !). Il y a bien nos noms, petits et noyés dans la masse, mais ils sont là, dans un service minimum mais qui me donne un sentiment de réalité… Je ne les pas inventées ces séances du côté de la Victorine avec le groupe pendant l’enregistrement des cordes et percussions avec l’Orchestre de Cannes, ces repas et discussions, cet échange avec des artistes qui ont produit un nouvel opus somptueux, baroque, entre la messe païenne et l’énergie d’un rock aux accents du désespoir. J’ai toujours en mémoire, les volutes sombres qui emplissent le Grand Auditorium pour ce concert de légende de septembre 2007.

Alors même s’ils ont oublié de remercier le Palais des Festivals et son Président David Lisnard, (et je le regrette vraiment parce que c’est grâce à son implication que nous avons pu mener à bien notre projet !), je suis heureux comme un enfant devant une galette majestueuse qui nous convoque pour un bout d’histoire, devant la postérité !


Pour Yves Simon et Archive, voir les articles dans mon blog ! 

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