Un Festival de Cannes à moitié !
21 fi
Le Festival 2019
21 films au compteur, une misère pour un professionnel de la cinéphilie comme moi ! La moitié de l’an dernier ! Et pour cause…. La sortie du livre Café Croisette avec la pression qui en a découlé, interviews divers et gestion des signatures dans les librairies de Cannes et de ses alentours, et surtout le décès de mon ami Nilda Fernandez qui m’a touché au-delà de ce que l’on peut imaginer….
Alors, je n’oublierai jamais cette 72èmeédition du Festival de Cannes de 2019, pour ces deux évènements, l’un tragique et l’autre inoubliable. Et le 7èmeArt dans tout cela me direz-vous ?
Il a continué son bonhomme de chemin par un temps maussade, les écrans se sont illuminés parfois, les discussions dans les files d’attente ont été riches de rencontres et de passions, les commerçants se sont plaints, les consignes de sécurité ont été de plus en plus voyantes avec même l’imposition d’un nouveau code du « cinéphile responsable » par des irresponsables qui n’aiment pas suffisamment le cinéma pour en aimer les débordements et la passion… mais cela, c’est la vie cannoise d’un Festival où tout est sujet à polémiques et traité avec emphase !
À l’heure où le palmarès vient de tomber et au vu du peu de films en compétition que j’ai visionnés (8 seulement !), je me garderai bien, exceptionnellement, de tout commentaire excessif. Disons que Pedro Almodovar est un génie, (mais on le savait déjà), et que sa dernière œuvre Douleur et Gloireest la quintessence de tout ce qu’il a filmé jusqu’à aujourd’hui ! Le prix d’interprétation pour Antonio Banderas me semble le minimum syndical du Jury pour cette interrogation tourmentée sur l’origine de l’acte créatif.
Heureux de la présence des Misérablesdans le palmarès. Ce film de Ladj Ly est un coup de poing dans les idées reçues, une formidable plongée dans les entrailles d’une patrouille de la BAC confrontée à la violence d’une banlieue au bord de l’implosion où tous les garde-fous ont sauté, laissant les individus face à leur solitude. Magnifique !
La palme de la mise en scène vient récompenser les frères Dardenne, pour un film, Le Jeune Ahmed, où un adolescent se radicalise sous la férule d’un Imam et ira jusqu’au bout de ses convictions sans trouver la grâce, bien au contraire ! Antidote à l’intégrisme, il parle de l’aveuglement et de l’impossible retour en arrière pour ceux qui foncent dans les ténèbres des convictions.
Je ne peux que regretter l’absence du Traitre au palmarès. Bellocchio fait un come-back éblouissant avec l’histoire vraie du repenti Tommaso Buscetta qui dénoncera au juge Falcone, le chef Corléanais Mafieux, Toto Riina et plusieurs centaines de cadres de la pieuvre. Le prix de la mise en scène ou un prix spécial du jury aurait été une juste récompense pour cette œuvre majeure du cinéma italien contemporain.
Et je ne peux que louer ce même jury de nous avoir épargné le nouveau pensum de Terence Malick qui réussit à gâcher une superbe histoire de résistance au fascisme à coups d’effets tarte à la crème chantilly, couplés à des voix off envahissantes ésotériques à souhait. Dans Une vie Cachée, Malick se noie dans sa façon de filmer outrancière et nous inflige un cinéma où chaque trait est grossi jusqu’à la saturation, jusqu’à l’indigestion.
Dans les autres sections, deux films venus du Maghreb offrent de belles promesses, avec Adam, de Maryam Touzani (Un Certain Regard) et Le miracle du Saint Inconnu (semaine de la critique).
Dans le premier, une jeune femme à Casablanca, enceinte, cherche du travail et un lieu où se loger. Dans ce pays où le statut des femmes passe par le mari, elle va lutter pour survivre soutenue par Abla, une veuve qui élève sa fille en tenant une petite pâtisserie. Film poignant sur le courage de ces femmes qui luttent au quotidien pour exister et débouchant sur une fin qui laisse ouverte l’acceptation de ce bébé. Magnifique.
Plus bizarre est l’autre film marocain, où un pied cassé enterre le butin de son vol sous un arbre avant de passer de longues années en prison. Quand il en ressortira, il n’aura de cesse de tenter de récupérer son magot ! Las ! Un mausolée au Saint Inconnu a été érigé sur l’emplacement où il a enterré la valise. Plein d’humour, il trace un portrait au vitriol de la société de ce bout de désert, de l’irruption de la modernité, de la permanence des idéaux religieux et des croyances les plus absurdes. A voir absolument !
Autant Jim Jarmush s’est vautré avec son opus sur les zombies The dead don’t die, n’assumant pas le genre et fuyant devant les morts vivants, autant Bertrand Bonello dans Zombi Child trousse une belle histoire esthétisante mais revigorante sur la trace des victimes des rites vaudous en lui donnant une dimension politique et contemporaine.
Sinon, rajoutons un polar nordique oppressant avec A White, white day de Hylmur Palmason ou dans une Islande noyée sous la brume, un commissaire part sur les traces de sa femme décédée dans un accident de voiture et Port Authority de Danielle Lessovitch qui montre un jeune homme fasciné par une femme Wye qui s’avère être un « trans » dans un New York où la violence contre les homos et la danse sont les supports à un opéra moderne déjanté. Vivarium de Lorcan Finnegan clôturera ma sélection partielle, étrange plongée dans le « non sens », un couple enfermé dans une ville dont ils ne peuvent sortir, en train d’élever un « extraterrestre », qui les dévorera. Amateur de SF morbide et de fantastique, précipitez-vous, l’oppression est au rendez-vous !
On va donc attendre le 73èmeFestival du Film, mais en attendant, je vais aller écouter « Nos Fiançailles » de Nilda Fernandez et me souvenir des jours heureux, quand nous pouvions rêver d’un monde plus harmonieux et que son sourire et son timbre si particulier accrochaient des lumières aux couleurs de la vie.