À l'heure où les ravages de la covid19 semblent s'estomper, après 43 articles plongeant dans les racines de ma mémoire, la retraite se dessinant à l'horizon de ma vie professionnelle, comment ne pas évoquer la Directrice Générale du Palais des Festivals, Martine Giuliani, avec qui j'aurai travaillé plus de 10 ans ? Des années vécues sur le fil d'un rasoir, entre la passion et la tension, les crises et les moments de bonheur, la haine et l'admiration !
Elle avait débarqué dans le sillage de l'élection de Bernard Brochand à la Mairie de Cannes en 2001 et son "duo" avec David Lisnard à la Présidence de la Semec, constitua le ferment d'une période riche, intense, contrastée.. où le pire pouvait côtoyer le meilleur !
Quand la nouvelle équipe s'installe au début de ce millénaire, un travail de fond a été largement entamé par leurs prédécesseurs... L'extension du Palais, gigantesque chantier mit aux normes nouvelles ce "bunker", offrant des possibilités largement renouvelées aux festivals et aux congrès (tous les dérivés des Midem Organisation, le TaxFree, le film pub...) qui remplissent le calendrier en apportant des dizaines de milliers de congressistes au fort pouvoir d'achat. La Direction de l'Évènementiel était en ordre de marche avec 4 saisons derrière elle, la Direction Financière sous l'impulsion de Michel Lefrancq fonctionnait avec rigueur et le plan pluri-annuel négocié avec la Mairie était un socle de développement solide. Les services techniques étaient composés de personnels compétents, connaissant leurs missions et les accomplissant avec professionnalisme.
Tout n'était pas rose, loin s'en faut, mais une base existait qui ne demandait qu'à se constituer en ciment d'un outil qui était le coeur vivant de l'activité économique de la ville de Cannes !
Et c'est là que David Lisnard et Martine Giuliani interviennent.
Je connaissais la nouvelle Directrice Générale car j'avais travaillé avec elle en plusieurs occasions, notamment sur "Les Nuits Blanches" du Suquet. Mes rapports avec la responsable du Casino Barrière installé dans une aile du Palais avaient été plutôt cordiaux. Elle contrôlait régionalement tous les casinos de la chaîne du Sud-Est. Arriver à s'imposer dans ce monde de la nuit "macho" était bien la preuve d'un caractère affirmé ! Sa réputation de "dame de fer" la précédait et elle en jouait avantageusement ! Son premier geste fut de rapatrier son homme-lige, Bruno Desmaret à la DRH qui avait cruellement besoin d'un cadre d'expérience, de recruter quelques Directeurs clefs à sa botte (Sécurité, Technique, Achats) et de remettre de l'ordre dans l'organisation interne en expulsant assez rapidement de l'organigramme quelques "gêneurs" afin de se constituer une garde rapprochée lui obéissant au doigt et à l'oeil.
Femme de pouvoir qui en jouissait, femme d'action qui ne reculait pas, femme déterminée... avec en corollaire, une tendance avérée à ne pas pouvoir se remettre en cause, à revenir en arrière, à reconnaître ses erreurs !
D'entrée, elle avait supprimé les réunions hebdomadaires réunissant tous les directeurs pour les remplacer par des entretiens individuels où elle recevait dans son bureau chaque responsable à la merci de son pouvoir absolu.
Ainsi, tous les jeudi de 11h à 12h, dans mon cas, j'allais "à confesse" dans l'intimité de son sanctuaire où elle pouvait m'infliger des remarques cinglantes et humiliantes du ton d'un maître qui tance son petit élève, où elle débinait soigneusement tous mes collègues, où elle tissait sa toile en divisant pour mieux régner ! Plus de 400 réunions pendant cette dizaine d'années où j'appris à "subir ses foudres" tout en construisant des stratégies sophistiquées pour faire passer mes dossiers. J'ai cultivé l'art subtil de lui présenter des options de telle façon qu'elle ne puisse laisser échapper un "-non !" rédhibitoire, qui aurait enterré immédiatement toute discussion sans espoir de retour. Une fois qu'elle prononçait ce non, elle ne pouvait plus revenir en arrière et revoir sa position, c'était plus fort qu'elle !
Heureusement, le domaine de la culture n'était pas vraiment son obsession et elle ne brillait pas par une présence assidue aux spectacles ! J'étais aussi aidé dans ma stratégie par l'autre pôle du triangle, le Président Lisnard qui lui, avait un goût prononcé pour la musique, et avec qui je discutais intensément de mes choix. Je jouais ainsi subtilement, du duo des décisionnaires, pour me dégager un espace de liberté réelle sur le terrain de la programmation !
Un exemple type de nos rapports ! Lire la note manuscrite de MG du bas et mon mail de réponse ensuite !
Et pour vous, en prime, ce petit bijou d'échange !
Le contexte : Les Concerts de Septembre 2008. Je termine ma programmation en mars et je la présente, comme de juste à Giuliani et Lisnard. Je commence le jeudi 25 par une soirée Salsa Latin Bronx (Los Fulanos feat Joe Bataan/Mercadonegro feat Alfredo de la Fé). Le 26, j'enchaîne avec les enfants de Django et Thomas Dutronc et le 27 Eon Megahertz et l'inclassable Iggy and the Stooges. Et pour conclure, un dimanche, ma soirée fétiche de "songwriters" avec Suzanne Vega et Yves Simon que je vénère !
Evidemment, c'est sur lui que vont tomber les foudres de la mère Tape-Dur...
Pour preuve :
La soirée fut un triomphe, la salle pleine et Yves Simon, écrivain-chanteur, dont c'était le grand retour sur scène, embarqua tout le public dans ses ballades pleines de sensibilité tout en ressortant quelques "vieux tubes" (Au pays des merveilles de Juliette, J'ai rêvé de New York, Amazoniaque !). J'étais plutôt satisfait de mon coup et elle n'est jamais revenue sur ce concert même si je lui ai tendu la perche plusieurs fois avec gourmandise !
Pourtant, derrière la femme forte, le dragon de service, il y avait aussi quelqu'un qui pouvait être attachant, sensible aux drames humains et soucieuse de la santé des autres. Intelligente certes, brillante même souvent, elle avait une vraie vision à long terme de sa mission et une capacité hors norme de mettre en oeuvre des projets ambitieux. Le relooking du Palais des Festivals et le passage aux normes ISO sont deux beaux exemples qui restent de son passage... même si elle a complètement raté la rénovation des "mains de stars" et son potentiel touristique sur le parvis, ce qui est vraiment dommageable !
Entre nous, on alternait les moments de complicité et ceux d'extrême tension. Et cela passait souvent par l'écrit, aussi bien pour l'un que pour l'autre. Un vrai ping-pong épistolaire se concluant par un "-Ce mail n'attend pas de réponse" auquel je répondais systématiquement... bien évidemment !
Et comme un lien mystérieux, l'humour et l'ironie qui nous réunissaient souvent, et désamorçaient les grenades que l'on s'envoyait avec constance !
Je suis persuadé qu'elle avait de l'estime pour mon travail mais qu'elle savait que je ne pouvais entrer dans le moule de ses serviteurs zélés. Je ne lâchais rien, tant sur la programmation où je n'ai jamais cédé après ses rares interventions, que sur la défense du personnel et le rôle pivot de l'équipe qui m'entourait !
Mail à lire de bas en haut, symptomatique de la violence des mots que nous pouvions échanger à fleurets mouchetés !
Après un de ses "scuds" coutumiers, ma réponse non moins cinglante !
A l'heure du bilan final, je suis satisfait d'avoir travaillé avec Martine Giuliani, même si la conclusion de nos relations sera des plus complexes... mais de cela nous reparlerons plus tard dans un prochain article sur ma Direction Artistique des Nuits Musicales du Suquet, post-retraite, assurée à sa demande et se terminant dans une certaine confusion, avec une Giuliani se situant du mauvais coté de la force !
Même si j'ai eu des moments particulièrement difficiles (confère le jour où elle m'a viré de son bureau après une algarade où je l'avais poussée dans ses ultimes retranchements et où je pensais recevoir dans la foulée ma lettre de licenciement !), j'ai eu aussi de grandes joies et la satisfaction de tirer le Palais et ma Direction vers le haut, d'aller jusqu'aux limites du possible quand nous étions en phase !
Je n'ai jamais remis en cause ses compétences, tout au plus regretté qu'elle manque de souplesse et d'empathie ! Elle restera une grande énigme pour moi, capable du meilleur parfois, mais utilisant des méthodes manquant si cruellement d'humanité trop souvent !
Allez Martine G, on déjeune ensemble quand tu veux, on a encore des choses à se raconter et quelques rires à s'étouffer... de travers !