Super Bingo !
A l'occasion de mon départ à la retraite, j'ai décidé de rééditer quelques articles de mon blog concernant ma vie professionnelle...Non pas en une tentative désespérée de recyclage, mais tel un éclairage nouveau, une façon de rendre les éloges dont je suis récipendiaire plus ambiguës, complexes. Derrière la statue du commandeur, il y a aussi les affres de la création !
Re-bonne lecture !
40 ans que je fais ce métier. J’en ai vécu des cas de figure, réussites, échecs, entre les deux. A chaque fois, on tente d’en tirer des leçons et de se rendre plus performants, de s’améliorer, de ne pas reproduire les erreurs passées…Mais parfois, même ce travail s’avère impossible, c’est ainsi, quelquefois, c’est arrivée à Cannes, un vendredi 13 !
Un parapluie d’une valeur de 15€ offert par le groupe L…B…, un bon pour une boisson non alcoolisée et un jeton de 5€ pour les machines à sous…5ème quine et la tempête gronde ! Nous allons jouer maintenant pour le carton plein, deux places pour le magnifique spectacle du Palais des Festivals, les Moines de Shaolin…Je ne sais pas pourquoi, mais c’est à ce moment que j’ai compris que nous étions dans la merde, une belle et énorme merde…Comment en étions-nous arrivés là ?
Tout a commencé il y a presque une année avec ma collaboratrice Nadine S, chargée du Festival International des Jeux. C’est une manifestation incroyable, titanesque qui se déroule pendant une semaine au mois de février. 150 000 visiteurs en train de jouer, 15 000 inscrits à des compétitions, le monde entier des jeux regroupé sur 30 000 m2, des champions et des amateurs, des hommes femmes, enfants, riches et pauvres s’évertuant à jouer à tous les jeux possibles et imaginables, des plus simples aux plus sophistiqués, bien français ou exotiques (Mah-jong, Go, Awalé…). 50 nationalités, un univers de règles et de règlements qui laissent une totale liberté aux individus, se confrontant aux autres pour mieux se connaître, s’affrontant pour découvrir ses propres limites.
Une tour de Babel ! C’est génial, émouvant, beau et terriblement chargé d’amitié et de respect. Pas une tension à l’horizon, la preuve, si besoin était, que l’on peut vivre à plusieurs, par milliers, avec ses différences, une belle leçon d’humanité chaque année pour beaucoup de responsables divers qui devraient plus traîner dans les travées du Palais à observer ce microcosme que dans les antichambres du pouvoir à rêver de transformer un monde qui ne demande rien !
Replongeons-nous quelques mois en arrière. Nadine me déclare, quelques restrictions budgétaires obligeant, que nous allons diminuer la partie spectacle du Festival (toujours onéreuse !), en profitant de l’aubaine d’un vendredi 13 opportunément glissé dans nos dates du Festival, pour réaliser une grande première : un loto ! Bingo !
Génial. J’ai la pratique de cet exercice, ayant animé à moult occasions les lotos du club de football de mon fils à l’époque glorieuse de ses exploits en short sur les terrains boueux de la région ! J’en ai pratiqué des tirages de numéros en glosant sur les chiffres, recherche de lots et autres saucisses frittes mayonnaise sur les tables des salles des sports où nous récupérions un peu d’argent pour les têtes blondes qui nous étaient chères !
C’est une bonne idée que nous validons par une recherche de partenaires, un grand casino du coin, une équipe de spécialiste des animations de jeux avec lesquels nous collaborons depuis de longues années (Destination J…)… Et c’est parti pour de nouvelles aventures !
Le temps passant, je me suis bien vaguement inquiété quelques jours avant.
-Alors ce loto ?
-Pas de problèmes, les lots sont beaux.
-Et c’est quoi ?
-Un séjour au Majestic (un palace), une console Nintendo, plein de trucs encore…
Je sais que c’est là que j’ai fait une erreur, dans le plein de trucs « encore », j’aurais dû me méfier, creuser le dossier, exiger de voir la liste des lots mais les garanties conjuguées de nos deux partenaires m’ont fait baisser la garde et oublier que ni Nadine S, ni Eurielle D, les deux responsables de mon équipe de ce dossier, n’avaient jamais assisté à un loto de leur vie !
Mal m’en pris. La litanie des parapluies a commencé devant 800 personnes ébahies, dont, il faut le dire, les 2/3 étaient des professionnels convaincus du Bingo, alléchés par la publicité d’un grand loto à Cannes avec des prix prestigieux (sic).
Les lazzis fusant au rythme des parapluies généreusement dispensés furent complétés par des stocks d’un jeu, le Deluxe Camping, qui nous restaient sur les bras et dont Nadine profitait de cette occasion inespérée pour les fourguer en quantité industrielle aux victimes du Loto. Ainsi donc, les participants ayant payé 3€ le carton, 10€ les 5 et 20€ les 10, pouvaient gagner de haute lutte, après des empoignades titanesques, des parapluies dans une ville où il ne pleut jamais (enfin presque !), et des jeux sur un camping dans une ville symbole du luxe et des palaces. Cherchez l’erreur !
Quand la vague de contestations s’est transformée en tsunami, j’ai compris que je me trouvais devant une alternative simple : me casser en me planquant ou rester et en prendre plein la gueule ! Les sourires anxieux d’Eurielle et de Nathalie, la stagiaire dont c’était le baptême du feu (...et quel baptême !) m’ont hélas contraint à puiser dans ma réserve en restant comme un capitaine à la barre de son navire en train de sombrer corps et biens. Fidèle au poste.
Dans un réflexe de survie, j’envoie Eurielle récupérer tout ce qu’elle peut dénicher dans nos réserves comme lots potentiels, dictionnaires, consoles vidéo, assortiment de jeux…je fais éditer 50 places de spectacles (Fame, Carolyn Carlson (les pauvres !), Cirque de Chine… et dans les hurlements du public, annonce une pause de 20 minutes. L’équipe des « professionnels » de Destination J flirte avec la crise de nerfs, l’animatrice fond en larmes et laisse sa place à un garçon…plus résistant. Au passage, attribuons-lui le crédit d’avoir réussi à annoncer un 98 devant la foule esbaudie, ce qui fait légèrement désordre, vu que c’est un numéro qui n’existe pas et qu’elle avait confondu avec le 86 ! Au bar, débordé et dévalisé, tenu par les joueurs de tarot stupéfaits, les hurlements montent pendant que nous rectifions le tir avec Eurielle et Nathalie en recomposant à vue les lots. On passe de 8 parties restantes à 4, on entasse dans les sacs des collections de parapluies, de bons divers non-alcoolisés, billets de spectacles, porte-clefs, jeux, consoles, séances gratuites de fitness…On force le rythme devant les yeux ébahis de 800 joueurs dont certains hilares couvrent de leurs rires les cris de colère d’une minorité d’acariâtres. On avance dans la nuit avec la certitude que le mur se profile à l’horizon et que l’on s’écrasera dessus sans rémission !
Les deux derniers cartons pleins tirent enfin quelques soupirs envieux de la masse des perdants et de timides applaudissements pour les quelques gagnants bienheureux. C’est la fin. Avec Eurielle, nous nous installons devant notre table et attendons la dernière salve et la ruée prévisible des mécontents avec, à la clef, notre exécution en place publique.
Et voici donc le bal qui s’ouvre avec une charmante dame aux yeux cruels, dénonçant à haute voix notre incompétence, cette parodie de
« grand loto », l’incurie de l’équipe d’animation et l'extrême pauvreté des lots du Casino L…B…
Elle est là celle qui ouvre les hostilités..mais la meute attend dans l'ombre ! Vous apercevez les visages tendus d'Eurielle et de Nathalie observant le désastre annoncé
!
Je reste stoïque. J’abonde même, surenchérissant sur l’échec de la soirée et dans notre autocritique. Je me flagelle jusqu’à ce qu’elle en reste coite, désarmée…La deuxième vague arrive et j’en rajoute, effectue mon autocritique, me fouette avec délice, foule ma fierté jusqu’à ce qu’une « histrionne » de bas étage me traite de voleur, m’accusant de détourner l’argent du Loto. Là, je dois le dire, je vois rouge, craque et commence à insulter la moitié de la terre, les joueurs, leurs mères et pères, ancêtres et descendants… Je leur parle du Festival des Jeux qui est gratuit, des 500 000€ que la ville consacre à les divertir pendant cette semaine, des efforts consentis pour leur offrir des conditions exceptionnelles de séjours et d’activités…Mon ton et mes yeux qui roulent comme des billes de loto épileptiques (les revoilà les numéros !) calment la foule et surnageant par-delà les récriminations, quelques encouragements solidaires me réchauffent (enfin !) le cœur en m’offrant un réconfort bienvenu ! Au moins, se trouvait-il dans cette salle immense, quelques joueurs qui, à défaut d’apprécier les parapluies et les boissons non-alcoolisées, m’accordèrent le crédit d’avoir tout tenté pour sauver du désastre ce qui devait être une fête et se transformait en Bérézina !
Humanité cruelle ! 10 ans que je n’avais vécu une telle galère !
Un loto, un vendredi 13, sincèrement, j’aurais dû me méfier….
Bon, une dizaine de lettres de réclamations, quelques coups de fil à la mairie, et la vie a repris son cours ! Quelques réponses s’adaptant au ton des récriminations et de mon humeur, une réunion avec les casinotiers partenaires (!!) pour débriefer cette soirée d’enfer avec une distribution de volée de bois vert où chacun en prit pour son grade (y compris votre serviteur par lui-même flagellé !), la facture divisée par deux pour nos partenaires professionnels du Loto…et le long fleuve tranquille s’est remis à couler, le mauvais temps s’est estompé à l’horizon jusqu’à rire des avatars de notre organisation particulièrement brillante ! C’est sûr, la prochaine fois qu’il y aura un vendredi 13 pendant le Festival des Jeux, je me débrouillerai quand même…pour me tirer aux Galápagos !
Et ne me parlez plus de Bingo !