Festival du Film 2018 : L'apothéose !
Bon, il y a des miracles… Cette édition 2018 le confirme. De séances en séances, de films en films, bouleversants, étonnants, à rire et à pleurer, qui font réfléchir et qui détendent. Toute la panoplie des émotions y passent avec ce mystère d’un monde qui respire aux quatre coins de la planète du mouvement de l’intelligence et du coeur.
Après 39 projections en 7 jours, l’oeil se vide de tous préjugés et l’esprit se remplit d’humanité. C’est ainsi, 2018 est une très grande année pour le cinéma !
Deux films merveilleux en cette période de « macronisation » aiguë de la société ! Nos batailles de Guillaume Senez permet à un Romain Duris d’exploser dans le rôle d’un employé d’une multinationale de la distribution (Amazon, je t’ai reconnu !) dont la femme épuisée quitte le foyer et ses deux enfants. Tranches de vie bouleversante entre la profonde inhumanité du monde de l’entreprise et le destin brisé de deux enfants, d’une famille solidaire mais désemparée devant la dureté de l’existence. Un film âpre et prenant dont on ne sort pas indemne.
C’est encore plus violent dans le Stephane Brizé en compétition, En Guerre, où Vincent Lindon va tenter l’incroyable pari d’obtenir un second prix d’interprétation mérité pour un rôle qui se situe sur le même terrain que La Loi du Marché. Une entreprise d’Agen est promise à la fermeture et ses 1100 salariés à la casse malgré sa rentabilité et un précédent accord où le personnel avait consenti des sacrifices en signant un contrat rognant sur leurs droits et primes pour faire vivre l’entreprise. Mais la firme allemande propriétaire décide de délocaliser la production en rompant son engagement de maintenir l’activité pendant 5 ans. La lutte s’engage, violente, un combat dont personne ne sortira indemne. Et pendant ce temps les politiques pérorent et les patrons taillent à la serpe dans la vie des gens. C’est magnifique, bouleversant, haletant jusqu’à un dénouement qui vous prend à la gorge ! Sous la plage de la Croisette, les pavés volent aussi !
Plus étonnant La traversée, où l’ont suit les pérégrinations de Dany le rouge et de Romain Goupil sur les terres d’une France dévastée par la désindustrialisation, la peur de l’autre (le passage sur la vallée de la Roya et les immigrés est magnifique et les idées extrêmes d’un Ménard (un peu complaisant nos amis face à leur ancien pote !) et d’une tablée du Front National… C’est un film où la liberté de ton est réelle, où Dany s’en donne à coeur joie et cabotine à souhaits, avec des portraits de gens engagés qui donnent de l’espoir… même s’il manque parfois un peu d’analyse sur les réponses aux problèmes soulevés !
Loi des séries avec deux beaux italiens. Dogman de Matteo Garrone film en compétition où le réalisateur de Gomorra revient filmer des paumés de la vie dans un quartier populaire sous la botte d’un truand sauvage. Un homme simple, toiletteur pour chien, va régler ses comptes en affrontant le chef de gang. Euphoria de Valeria Golino est un film magnifique où un homme en train de mourir d’une tumeur est recueilli par son frère, gay et riche, cultivé et sensible. Tous les deux vont communier et se retrouver pour un dernier parcours sur les chemins de la vie. Poignant et digne et certainement pas misérabiliste même si je défie quiconque de ne pas verser une larme dans la séquence finale !
Mon tissu préféré de Gaya Jiji se situe dans une Syrie en train de se convulser sous les assauts d’un printemps libérateur. Une jeune fille est promise a un expatrié qui choisit finalement sa soeur cadette. Elle va rêver sa vie, son destin, un avenir, pendant que toutes les certitudes explosent et embrasent le quotidien. Un vrai document sur une histoire en train de se défaire !
Parmi tous ces films, un Semaine de la Critique (1er ou 2ème film) laisse afficher de belles promesses. Woman at War de Benedikt Erlingsson, un thriller écologique islandais, suit une femme tentant de s’opposer à un conglomérat industriel en provoquant des attentats sur les lignes à haute tension…
De même, deux films japonais en compétition seront proposés à quelques heures d’intervalle. Shoplifters de Kore-Eda est un peu convenu et longuet. Ce film sur une famille recomposée au grand coeur, composée de voleurs de tout âge, s’étire… même s’il se laisse voir sans déplaisir. Plus surprenant est Asako 1 et 2 de Ryûsuke Hamaguch. Une jeune fille est amoureuse de Baku qui la quitte plusieurs fois. Il va disparaître définitivement et bien des années plus tard, elle va tomber amoureuse du sosie de Baku. Jusqu’à ce qu’il revienne une nouvelle fois troubler son existence et que toute ses certitudes s’écroulent ! Passionnant.
Pour rester en Asie, le trop long Burning de Lee Chang-Dong loupe le coche. Une première partie interminable, une deuxième qui rate l’essence d’une histoire de Murakami… Dommage !
Cold War de Pawel Pawlikowski devrait se retrouver au palmarès. Dans les années soixante de la guerre froide, un chef d’orchestre et une chanteuse vont vivre une passion sans avenir. La fuite de l’un à Paris et la montée de la main-mise des politiques sur l’orchestre folklorique ne vont leur laisser que quelques bribes d’une vie à partager, jusqu’au dénouement final, une des plus belles séquences proposées par les films de cette édition 2018 si riche en langage cinématographique !
Reste la surprise de la dernière heure. Ayka de Sergey Dvortsevoy suit le destin d’une jeune Kirghize émigrée à Moscou. Une plongée glaçante dans une ville tentaculaire sous la neige. Marchands de sommeil, employeurs véreux, policiers corrompus, prêteurs sur gage et cet enfant dont elle accouche et qu’elle abandonne dans une fuite éperdue pour survivre. Tous les ingrédients (femme, émigrée) pour éperonner la conscience de nos conformismes se trouvent réunis pour créer la surprise au palmarès. Une femme présidente pour une laissée pour compte de la société inhumaine des hommes… Pourquoi pas la plus haute marche du palmarès 2018 ?
Resterait plein d’autres films à commenter mais aussi un palmarès qui va débouler, avec son lot de surprises traditionnelles et il est donc l’heure tant attendue des pronostics.
Avec 16 films en compétition sur les 21, je m’avance donc avec la réserve de ceux que je n’ai pu voir. On devrait retrouver dans les primés les deux films de la Russie (L’été de Serebrennikov et Ayka de Sergey Dvortsevoy) et celui de la Pologne (Cold War de Pavel Pawlikowski) auxquels on peut rajouter Everibody Knows de Asghar Fajardie et Yomeddine de Abu Baki Shawky pour la Palme d’Or.
Pour l’interprétation masculine, Vincent Lindon pour En guerre et Maurizio Braucci pour Dogman vont s’affronter à armes égales (… et pourquoi pas un double prix ?) quand à l’interprétation féminine, elle revient de droit à l’actrice qui interprète Ayka.
Mais le jury a ses raisons que la raison ne connait pas toujours ! Verdict dans quelques heures !
Et n’en déplaise aux critiques pisse-froids, ce fut un excellent Festival, rempli de surprises et qui nous a permis de voyager à travers le monde à la recherche de ce bon sens qui semble tant manquer à une humanité au bord du gouffre !
Quand à moi, j’atteindrai aujourd’hui cette barre mythique des 40 films…et je vais peut-être pouvoir me détendre au bord d’une des plus belles scènes du monde, devant un écran gigantesque, celui d’une Méditerranée nonchalante qui berce nos pieds endoloris par les heures passées dans les files d’attentes à parler et discourir sur les films avec des inconnus en mal d’émotions fortes et de partage !
Allez, rendez-vous pour le palmarès tout à l’heure et à l’année prochaine pour de nouvelles aventures !
PS : Et si vous voulez rire au cinéma, n’hésitez pas. Le grand Bain de Gilles Lellouche, promis à un destin national, vous permettra de vous laisser aller autour d’un casting de rêve particulièrement bien utilisé, d’une histoire éternelle (les looseurs qui gagnent !) et sera la grande comédie de l’année… à juste titre !