Angéla, 30 ans de bonheur !
Depuis des années, pas un anniversaire en chiffres ronds, pas un départ en retraite, pas un grand évènement de la vie professionnelle du Palais des festivals de Cannes sans un discours de Bernard, comme un passage obligé, un incontournable challenge ! C’est parfois usant, et quand Thérèse m’a demandé d’écrire un discours pour les 30 ans de ma fille, je me suis aperçu avec horreur que je ne l’avais jamais fait pour mes enfants. Où est le discours de tes 30 ans Julien ?
Alors je me su!s assis devant l’ordinateur, j’ai regardé ce temps qui s’est écoulé si vite et je me suis lancé, parce qu’il le fallait bien, parce que vous le valez bien !
Chère Angéla, cher Benjamin ( et chers Julien et Sarah)...
Avoir 30 ans ! A 20 ans, on est une promesse d’avenir, à 30 ans, une certitude du passé !
Il y a 10957 jours et des poussières d’heures, à ce moment précis, tu naissais comme la belle Viriatine que tu deviendrais ! Un têtard vagissant que nous étions venus contempler avec ton grand frère Juju en chantant «Angela, nous voilà !» à tue tête tout au long de la route qui partait de la MJC de Bourg pour arriver à cet hôpital perdu dans la Bresse qui ne savait pas encore ce qui venait de se dérouler dans ses murs. Ta mère n’avait presque pas souffert en te délivrant, disons le (c’est elle-même qui nous l’a affirmé), il y avait des lambeaux de neiges au sol et des brumes écharpant l’horizon, on était le 4 décembre et c’était presque la fête des lumières à Lyon !
Et quelle lumière dans notre vie. On était déjà des adultes... c’est à dire que l’on avait votre âge actuel, celui que ce discours célèbre. Nous étions des expatriés en terre «incognita» d’une Bresse profonde, on jouait à travailler et à se prendre au sérieux. Nous ne savions pas vraiment ce qu’était vivre et les contraintes qui en découlaient. L’avenir nous appartenait tout simplement parce que nous l’avions rêvé, et dans ce futur si proche, deux enfants occupaient largement leur espace de vie, nous apprenaient à vieillir, à coup de maladies infantiles, de tétés et de cacas «odorants» (ah! la puissance olfactive des déjections de nos enfants, quel charme !), de devoirs à faire et d’histoires à raconter pour vous endormir, interminables, avec en plus la nécessité de l’inventer de soir en soir...Si je m’étais enregistré avec mes pirates aux vies éternelles en train de poursuivre un trésor magique, Harry Potter aurait été un délire pour potaches attardés, j’aurais été publié dans le monde entier, et nous serions riches à millions ! Il faut avouer que vous m’inspiriez tant !
Mais la seule richesse que nous possédions, c’était vous, vous deux, bien avant d’y agréger des Benjamin, des Sarah, et de construire votre propre monde tourné vers des espaces plus lointains !
Nous avions le privilège de sortir d’un monde sclérosé de l’après-guerre, dont nous contemplions les stigmates encore visibles dans notre enfance, en étant la dernière vague du «baby-boom», d’avoir eu 18 ans en mai 68 en imaginant accoucher d’un monde nouveau, meilleur, plus humain, le flower power nous enchantait la tête. Nous étions au coeur des 30 années glorieuses, et avions emprunté cet ascenseur social qui nous permettait d’accéder bien au delà de la condition de nos parents.
Mais nous étions inconscients de tout cela, nous le vivions et chaque moment de notre vie nous rappelait que ces deux enfants que nous avions conçus étaient notre promesse d’avenir !
Nous en avons passé du temps à apprendre à être des parents, sans doute pas les meilleurs du monde, mais les vôtres, ceux qui devaient vous guider et vous permettre de devenir des adultes, qui vous aimaient, vous dorlotaient, vous punissaient quelques fois, même si nous ne comprenions pas pourquoi tant de parents avaient des problèmes sérieux avec leur progéniture alors qu’avec vous, tout semblait presque facile !
Nous n’avons presque pas eu de crise d’adolescence, peu de tenues noires de révolte punkitude, pas de délinquance, jamais de rappel à l’ordre de l’autorité. Vous étiez des excellents élèves un peu fainéants mais brillants naturellement. Vous avez failli devenir des pianistes et tubistes d’exception, des footballeurs et des athlètes, des «circasiens» et des danseurs et nous en avons supporté des galas interminables, des matches (le dimanche matin dans la boue et le froid !) et démonstrations de Karaté ou auditions devant jury... sans que jamais cela nous pèse et avec la certitude que vous alliez trouver votre place dans ce monde dans lequel nous vous avions conçus !
Notre plus grande fierté de parents et de vous contempler, avec vos qualités, vos défauts, votre passion intacte devant la culture, votre capacité de réflexion ! Que de bonheur devant votre goût pour les arts, vos talents naturels d’être vous-mêmes, votre aptitude à la vie !
Nous savons que vous êtes traversés par le désir d’excellence, l’écriture, l’art, la recherche permanente d’un équilibre intérieur mais aussi et surtout, par votre incroyable aptitude au bonheur.
Je ne peux parler de l’enfance de Ben et de Sarah mais je subodore que leur enfance est à l’image de la votre car les compagnons de vos vies sont à l’image de ce que vous êtes profondément, bons et généreux, intelligents et ouverts, comme si les chats ne pouvaient rencontrer des chiens et que le monde avait une cohérence profonde pour les êtres de bonne volonté.
Vous êtes notre passé mais votre avenir. Nous vous avons offert ce que nous pouvions donner, le reste, c’est à vous de le conquérir en sachant que vous êtes armés pour affronter les turbulences d’un monde que notre génération laisse en piteux état ! Comment imaginer que votre si belle jeunesse ne redonne pas un sens à ce monde vieillissant où les rancœurs et le rance tentent toujours de s’imposer devant l’humanité profonde des humains !
Il y a 30 ans, tu naissais Angela pour devenir notre soleil, une étoile qui illumine nos vies et avec les tiens, ce groupe qui navigue autour de toi, qui t’enrichit et t’offre la beauté d’être avec les autres, nous te disons merci d’être là, de nous apporter le mirage de la vie !
Voilà, 30 ans, c’est si peu pour tant de félicité !
Longue vie à toi, notre fille que nous aimons !