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Goran Brégovic : aux racines de la musique !

Publié le par Bernard Oheix

Goran Brégovic est né la même année que moi, en 1950, dans un pays qui s'appelait encore la Yougoslavie, mais qui était amené à disparaitre. Constitué d'une myriade de régions, de peuples, de langues, de religions, cette entité improbable vogua entre le non-alignement à l'orthodoxie communiste du parti frère de Moscou, la dynamique de l'autogestion en réponse aux sirènes du capitalisme, et les acrobaties des dirigeants pour se maintenir au pouvoir dans des jeux d'alliances improbables entre les serbes, croates, slovènes, monténégrins, bosniaques, macédoniens, kosovars...

Josip Broz dit Tito fut le dirigeant emblématique de la République Fédérative Socialiste de Yougoslavie de l'après-guerre jusqu'à son décès en 1980. Une trentaine d'années de relative stabilité et de développement, d'essor de l'économie et du tourisme (je me suis rendu en 2CV en 1972 en Croatie à Zadar et Dubrovnik pour 3 semaines de bonheur contrasté... mais cela est une autre histoire !) sous la férule d'un dirigeant qui à la tête des partisans avait fait reculer les nazis, libéré son pays et, depuis, régnait d'une main de fer, impitoyablement, sur cette mosaïque de pouvoirs.

Sa mort déclencha le dernier conflit européen de ce siècle, une guerre fratricide où les armes prirent le pas sur la raison, où les pogroms et les milices fascistes tuaient comme si l'histoire n'avait servi à rien, comme si les tragédies étaient plus fortes que la réalité !

C'est dans ce pays que Goran Brégovic a grandi, qu'il a découvert l'amour et la peur, la joie aussi des fêtes, quand les nuages noirs s'estompaient pour laisser place à la musique et à la danse, à l'ivresse d'un jour sans lendemain ! C'est dans dans ce pays que lui, le bosnien d'origine serbe avec un père croate va apprendre le violon et dès la fin des années soixante devenir une "rock-star" de la musique et un des plus grands compositeurs de musiques de films !

L'élégance naturelle d'un éternel jeune homme !

L'élégance naturelle d'un éternel jeune homme !

À la tête de son groupe "le bouton blanc", il va sillonner le pays, vendre 6 millions d'albums devenir une rock-star et rencontrer un jeune bassiste d'un groupe punk, Émir Kusturica avec qui il va nouer une amitié fructueuse. Il se retire de la scène et, en 1990, compose la bande musicale du Temps des gitans pour enchaîner avec Arizona Dream et​​​​ Underground, 3 films réalisés par Émir Kusturica, auxquels succèderont des dizaines d'autres compositions dont La Reine Margot de Patrice Cherreau qui vont le consacrer et lui donner une notoriété internationale.

C'est alors qu'il décide de revenir à la scène avec sa propre musique, un mélange balkanique, entre la liesse et la complainte avec cuivres et guitares, voix féminines et show assuré.

C'est à l'Olympia en 1998 qu'il réalisera son premier concert en France et c'est le 3 février 2007 que je le programmerai pour la 1ère fois enfin, dans un Grand Auditorium du Palais des Festivals de Cannes complet avec son Orchestre des Mariages et des Enterrements.

Un concert bouleversant, un des dix concerts que j'ai organisés et qui restent à jamais dans mon panthéon musical, aux côtés d'Archive, Juliette Gréco, Bashung et Iggy Pop, Pete Doherty et autres Nougaro et Bécaud, Carmina Burana et El Canto General, Nilda Fernandez et tous les autres ! 

L'émotion à l'état brut. C'est d'un pas tremblant que j'escalade en ce jeudi 19 aout 2021, les marches qui mènent à la terrasse du Palais où Sophie Dupont, la directrice de l'Évènementiel et son équipe m'attendent pour un concert de Goran Brégovic avec un Cannes illuminé en fond de scène. Cela va me rappeler quelques bons souvenirs.

Goran Brégovic : aux racines de la musique !

Silhouette d'éternel dandy dans son costume blanc immaculé, il trône au centre de la scène, guitare en main alternant des percussions, des chants et les présentations de sa voix grave. Autour de lui, 5 cuivres indispensables pour plonger sans retenue dans la magie grinçante de cette musique de fête, en tenue sombre à liserés d'argent, chapeau sur la tête. À ses côtés, un percussionniste-chanteur qui l'accompagne et pour boucler l'arc de cercle, 2 chanteuses à la voix pure, éthérée, en costumes traditionnels, des fleurs dans les cheveux.

Le temps des gitans s'est figé sur Cannes, sa voix nous le rappelle, les instruments à vent continuent de déchirer la nuit, la complainte des voix féminines de faire scintiller les étoiles et la foule (dont une colonie de serbes reprenant tous les refrains) tangue et oscille en rythme. C'est l'ivresse d'une porte ouverte sur l'ailleurs ! À mes côtés, Eurielle, Élisabeth, Blandine, quelques amis du Palais, et Sophie ma complice des années évènementielles qui offre une bouteille de champagne pour se souvenir des jours heureux et communier avec la fête qui fait chavirer le public de bonheur.

Je retrouve mon ami Damir Levacic aux premières loges et on tombe dans les bras de l'amitié. Goran accélère et passe la vitesse supérieure. Il va terminer son show sur une chanson à boire de la vodka, sur sa version déjantée de "Bella Ciao" et sur les rafales de son tube "Kalachnikov" avec son invocation hurlée à la face du public en transe... "qui ne devient pas fou... il est pas normal !" sur un dernier riff de cuivres et disparaitre comme un seigneur des temps modernes.

Il est temps alors de plier bagages et d'emporter avec soi, ces bribes d'une musique venue du fond des âges, d'une région pas si lointaine où les cris d'agonie remplaçaient les hurlements de la fête, il y a si peu de temps qu'il semble impossible de l'oublier !

Et pourtant ! La magie de Goran Bregovic est de ressusciter le bonheur sans gommer la réalité. Un grand monsieur, non seulement de la musique balkanique mais aussi de l'espoir de pouvoir un jour cicatriser les blessures du temps !

Merci Goran de m'avoir autorisé à replonger dans ces moments heureux de mon passé, quand je pensais pouvoir changer le monde par la voix d'un artiste porteur d'un monde d'harmonie !

C'est le groupe au grand complet, dans la nuit cannoise, quand la brise marine vient caresser de son aile la voix d'un barde moderne !

C'est le groupe au grand complet, dans la nuit cannoise, quand la brise marine vient caresser de son aile la voix d'un barde moderne !

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Festival du Film de Cannes 2021 : Les Grandes Illusions !

Publié le par Bernard Oheix

Que restera-t-il de cette édition du Festival du Film décalée, entre un variant delta à la conquête des non-vaccinés pour une 4èmevague et un déplacement de la manifestation en juillet, coincée entre des estivants qui pointent timidement leur nez sur la Côte d’Azur, des films qui piétinent depuis des mois avant leur sortie en salles, et des cinéphiles frustrés par deux années de covid ?

Tout d’abord, l’étrange impression que la vie continue, avec moins d’insouciance certes, mais avec la même passion pour ce 7èmeArt en train de s’étouffer dans les miasmes d’une pandémie délétère. Le rituel des quelques grandes salles du Palais remplies au moment opportun, de la retransmission télé des cérémonies d’ouverture et de clôture dérobant comme des cache-sexes le vide vertigineux des projections devant des publics clairsemés de la plupart des séances.

Cette année, pour entrer dans les salles, il fallait être un cinéphile acharné, s’armer de passion et suivre un code sophistiqué partant d’un système de réservation « Ticket On Line » à des impératifs d’heures et d’horaires sans faille où chaque minute pouvait se retourner contre vous et vous interdire d’accéder aux salles même périphériques.

La pédagogie envers les cinéphiles Cannois semblait étrangement absente sous les ukases d’une direction ayant abandonné le terrain fertile des relations avec les locaux pour entrer aux forceps dans le moule d’un conformisme d’avant-garde.

Alors donc, après 30 films dont 17 sur les 24 de la compétition, dans des salles qui résonnaient de l’absence des autres, alors que nombre de personnes auraient souhaité combler les vides douloureux des sièges inoccupés, après la non-inauguration mais l’ouverture d’un nouveau complexe, le Cinéum avec ses 12 salles futuristes pour un art qui n’en a peut-être plus beaucoup (de futur !), que dire d’une manifestation ancrée dès son origine sur l’alchimie de la combinaison du cinéma et de la Fête, du prestige et du populaire, du commerce et de l’art et dont le chemin actuel mène tout droit vers l’abandon de son ancrage local au moment où disparait son rôle de marché vivant de la création ?

De Netflix et autres plates-formes, des richesses d’une technologie moderne des télétransmissions, de l’exigence d’une rentabilité à court terme aux progrès techniques qui favorisent les décisions à distance, combien apparait lointain ce temps où les contrats se signaient au coin d’une table pendant le festival, entre deux tournées, entre un créateur et un producteur, dans l’espoir de marquer l’histoire !

Désormais, l’histoire est balayée, le cinéma se transforme en un « barnum » de super-héros et la nouvelle vague s’échoue sur les terres inhospitalières des fonds de pension, d’Amazon, des méga-fortunes et de la disparition programmée des salles de cinéma pour une consommation individuelle sur des écrans de proximité. Voir Huit et demi de Fellini sur son portable entre deux rendez-vous… pourquoi pas ? Quoique… qui aura encore envie de voir ce film et tant d’autres chefs d’œuvre quand le présent chasse le passé à coup de sensations bluffantes et d’effets de manche !

Reste la qualité étonnante des films de l’édition 2021 avec 2 thèmes en filigrane de plusieurs réalisations : la désespérance des vieux avec un thème récurrent d’une euthanasie voulue et espérée et la désespérance des jeunes en perdition dans un monde trop étroit pour leur mal de vivre et leur colère.

Et pour couronner cette semaine, une Palme d’Or de rupture à plus d’un titre. D’abord parce que Titanea été réalisé par une femme, Julia Ducournau, et que c’est seulement la seconde à obtenir la consécration suprême en 74 éditions.

Mais par-dessus tout, Titane est un film qui, au fond, aborde une rupture profonde dans le consensus de l’effet voyeurisme. C’est l’angoisse d’une créatrice devant le monstre qu’elle a accouché d’une façon prémonitoire qui sème le glas du cinéma de papa, le mien, et celui de générations formées aux ciné-clubs, aux rencontres et débats, à la technique et à la morale d’un plan-séquence ! Le film, sans jamais être « gore » et n’utilisant que très peu d’images chocs (il y a plus de violence intrinsèque dans nombre téléfilms diffusés aux heures de grandes écoutes de la télévision que dans ce film !), crée un trouble profond, comme si les démons extérieurs de notre environnement se mettaient en symbiose avec nos cauchemars intérieurs.

Et c’est cela peut-être qui dérange beaucoup plus le spectateur, cette impossibilité de cerner le sujet du film et sa promenade funambulesque sur les arêtes du conformisme : ange ou démon, victime ou bourreau, femme ou homme mais toujours sur le versant sombre de la raison. À noter la prestation sur le fil d’un Vincent Lindon pathétique et ce final impossible à lire sans le filtre de la déraison !

Pour le reste, le président Spike Lee a fait son show pour le plus grand bonheur de l’audimat et un palmarès médiocre a assouvi les instincts d’un consensus mou : quid de la Palme d’Interprétation pour le formidable Dussollier dans un grand film (trop classique ?) d’Ozon, Tout s’est bien passé, d’un prix du jury pour Lingui, les liens sacrés de Mahamat-Saleh Haroun qui perpétue, à son corps défendant, le mépris dans lequel est considéré le Cinéma Africain, la formidable cuvée française, Annette de Léos Carax, La Fracture de Corsini, France de Bruno Dumont, Les Olympiades de Jacques Audiard… Et pourquoi donc cette interprétation féminine à un film médiocre et au rôle sans relief d’une Julie en 12 chapitres de Joachim Trier ?

Mais cela est une autre histoire, celle du cinéma, et à Cannes, en cette année 2021, il n’y avait pas que le cinéma en jeu, mais toute l’économie de la plus grande manifestation d’un 7èmeArt en train de perdre pied, de chercher une voie nouvelle, de se trouver des raisons d’exister et de perpétuer un monde cinématographique en train de s’effondrer.

Cette édition aura montré à l’évidence que les réponses trouvées auront à se confronter au monde des affaires… et cela n’est pas gagné !

Quand à moi, après ma 45èmeédition du Festival de Cannes, je vais attendre sagement le prochain festival et je tenterai de renouer encore et toujours avec les propositions d’écrans derrière lesquels se cachent des créateurs de lumières et d’ombres !

 

PS : Et pour ceux qui ne savent pas toujours que le cinéma a une histoire, lisez ce dossier formidable paru dans Le Monde Diplomatique d’août 2021 : « Fellini est plus grand que le cinéma » de Martin Scorcese. C’est un exercice nécessaire et salutaire pour comprendre le cinéma du XXème siècle !

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