Inventaire avant destockage (10)
Cette lettre est un document envoyé il y a bien longtemps, à un Directeur du Palais, dont je tairai le nom parce que je l’aime bien et qu’il y a prescription. Je devais être inspiré ce jour-là ! Tout vient d’une remarque dudit Directeur de l’époque qui contestait une facture que nos amis russes n’auraient point réglée dans le cadre du Festival de l’Art Russe que nous coproduisons chaque année…Il s’agissait en l’occurrence, du solde d’une convention de billetterie inique, et l’affaire fut promptement résolue, non sans m’avoir autorisé de laisser s’exprimer ma perfide plume. A lire entre les lignes !
Cher M…,
Depuis la révolution d’octobre et la chute du mur de Berlin, la situation en ex-Union Soviétique est complexe… je te l’accorde !
Toutefois, il faut que tu réactualises tes fiches car à l’évidence, les services de renseignements français ne sont plus à la hauteur des événements qui secouent l’Europe et ce faisant ne nous mettent pas à l’abri d’un crash financier qui toucherait notre structure de plein fouet.
Pour preuve, la stabilité réelle de l’équipe russe qui, depuis trois ans, nous fait l’insigne honneur de ne pas évoluer, les mêmes accortes kolkhoziennes aux yeux de braise et à la poitrine avenante conservant le leadership de ce Festival contre vents et machos slaves qui tentent de les déboulonner.
Jusqu’à preuve du contraire ils ont toujours payé ce qu’ils nous devaient…la seule constante restant cette réputation entretenue par des langues de commères cannoises induisant qu’ils seraient de mauvais payeurs et coûteraient chers…Tentons de commercialiser le Palais sur fin août et de faire des spectacles sur cette période et nous verrons alors où penche le fléau de la balance et qui soutient l’autre dans ce Festival qui rapporte à notre ville la considération de la France reconnaissante en sus de ces maigres piécettes que tu thésaurises avec empressement pour régler nos salaires de fin août.
Reste cette facture de plus de 3 000 € (!!!). Au cours d’un Yalta improvisé entre mon équipe et toi, en septembre, tu avais convenu que, même s’ils étaient foncièrement abrutis par l’excès de vodka, leur faire payer 1,70 € par billet, y compris les invitations émises pour notre public et la mairie, s’apparentait plus à un racket assimilable aux pratiques de la mafia russe qu’aux relations d’entente cordiale entre des bénéficiaires (nous) et des payeurs cochons de slaves (eux). Résultat nous sommes tombés d’accord, ensemble, pour conserver les droits de garde (2 € par billet acheté) et annuler la convention racket de billetterie. En l’occurrence, non seulement ils ne nous doivent rien, mais en plus nous conservons les 4 500 € bien utiles pour faire mieux fonctionner la billetterie.
Cher Michel, à défaut de te convaincre sur le bonheur sexuel de travailler avec ces walkyries venues du nord, je t’assure que je veillerai personnellement à faire payer le moindre cent à ces anciens communistes reconvertis dans l’organisation de spectacles frelatés (Bolchoï, Mosseïev, Kirov, Bashmet…) vendus à bas prix aux capitalistes conquérants que nous représentons.
Comme quoi, même dans les austères bureaux d’une entreprise on ne peut plus sérieuse, on peut aussi s’éclater et vivre épistolairement des moments de fortune !