Chilly Gonzales, Huster… et les autres !
Il y a quelques semaines, j’avais présenté dans ce blog, mon édito des Nuits Musicales du Suquet faisant état de l’angoisse du Directeur Artistique avant le pénalty... Certains m’avaient d’ailleurs très gentiment répondu sur l’air du «-Arrête de faire ta chochotte, après près de 5000 spectacles programmés, comment encore douter ?». Et pourtant !!!
Même avec l’expérience, il reste cette curieuse alchimie entre l’idée que l’on se fait d’une programmation et sa réalité sur le terrain. Rien ne remplace le moment précis où le rideau tombe, devant un public ou pas, après un show à la hauteur ou pas, et tous les aléas possibles d’un confrontation à la météo, aux bruits extérieurs, à tout ce qui peut dérégler une machine que l’on pense réglée à la perfection !
Mais avouons-le tout de suite, si un Directeur Artistique doit être heureux, alors je suis béat, c’est le nirvana, l’apothéose, le quasi sans fautes dont on rêve toute sa vie ! Même la météo fut avec moi, puisque dans ce climat d’un été pourri, la pluie diluvienne s’est abattue le 25 juillet, jour «off» du Festival et le 29 juillet, lendemain d’une clôture éblouissante ! Il y a des années comme cela où tout ce que vous touchez devient de l’or !
Car si clôture il devait y avoir, comment résister à Chilly Gonzales, (près de 3 ans que je tentais de le programmer) et qui était présent comme un cadeau du ciel en exclusivité Française, seule date de l’été dans l’hexagone et dans sa première d’un nouveau spectacle avec le Kaïser Quartet. Devant des tribunes archi-pleines (même les escaliers avaient été réquisitionnés), après avoir refusés des centaines de spectateurs, il a assuré comme la bête de scène qu’il est, maniant tour à tour la dextérité incroyable d’un soliste hors norme, un humour phénoménal et un sens aigu du partage et de la pédagogie. Le public lui a fait une ovation et dans les loges, après sa représentation, je suis tombé à genoux devant lui en écartant les bras en signe de soumission (sic) pour lui exprimer ma reconnaissance ! Il a ri et nous avons parlé comme des complices heureux du tour que nous venions de jouer à une musique classique «naphtalisé», l’éperonnant pour mieux la mettre en valeur, l’assassinant avec des «raps» vengeurs et des «riffs» pianistiques pour la glorifier quand le Kaïser Quartet partait pour de superbes envolées classiques afin d’en souligner son extraordinaire modernité. Il fait nul doute que ce concert restera à jamais gravé, non seulement dans ma mémoire, mais aussi dans celle des 700 spectateurs présents qui l’ont ovationné ! Il rentre d’ailleurs dans le best-off de mes dix plus beaux concerts, aux côtés de mes amis d’Archive dans leur messe profane avec l’orchestre de Cannes, de l’iguane Iggy Pop, de Pete Doherty et des petites culottes de jeunes filles qui volaient sur la scène, de Salif Keïta tombant à genoux pour supplier le public de danser, des «kalachnikovs» de Goran Bregovic et de quelques autres encore comme Lizza Minelli transfigurée par !es spots lights !
Merci Chilly Gonzales d’être ce que tu es... et peut-être à très bientôt !
4200 spectateurs pour un potentiel maximum de 4800 places alors que tous les Festivals de la région accusent une fréquentation en baisse, parfois de façon cruelle. 5 programmes complets sur les 10, un degré de satisfaction quasi à l’excellence des publics comme des artistes, un budget tenu et que des perles dans un collier de reine, voilà les Nuits Musicales du Suquet 2014 !
Tout avait commencé le 22 juillet avec une des 3 créations du Festival (donc avec une réelle prise de risque !).
L’Ivresse de l’Opéra, est un montage de moments de fêtes et de libations d’opéras divers (Bizet, Verdi, Carmina Burana...), scénographié par un complice de toujours (Paolo Micciché, auteur du Requiem de Verdi/Le Jugement Dernier ou du Mozzartissimo dans mes saisons précédentes) avec des images en superposition projetées sur le fronton en vieilles pierres de l’Eglise du Suquet. Cela n’a peut-être pas convaincu certains puristes adeptes des «3 ténors», mais un vrai public populaire lui a fait sa fête ! La joie et le bonheur se lisaient sur le visage des spectateurs heureux de parcourir toutes ces oeuvres avec intelligence et fraîcheur. Les jeunes du conservatoire Franci de Sienne, les 3 solistes et la bonne humeur d’un «divertissement dionysiaque» ont entrainé une adhésion bien éloignée du confort aseptisé d’un opéra traditionnel !
David Levy est un ami ! C’est aussi et avant tout un soliste d’exception et un homme de défis. Car gageure il y avait dans ce qu’il a osé ! C’est au cours d’une discussion à l’automne dernier, cherchant une idée de programmation que la lumière a jaillit. Avec inconscience, j’ai balancé par provocation les Variations Golberg de Bach, avec tout autant d’inconscience, il s’est emballé, m’avouant son rêve secret d'interpréter cette oeuvre mythique quasiment jamais jouée en «live» ! Et il a tenu bon ! Un an de travail pour que 250 personnes (capacité maximum) dans la cour du Musée découvrent et savourent la complexité et l’incroyable finesse de cette pièce majeure du répertoire qu’il a su rendre avec un talent hors pair. Merci à toi David Lévy, tu restes un grand parmi les grands et tes défis sont à la hauteur de ton immense talent !
Wolfgang (cela ne s’invente pas !) Doerner, le nouveau chef de l’Orchestre de Cannes m’avait proposé une création autour de la musique de Mozart et d’extraits de sa copieuse correspondance en écho ! Superbe idée, adhésion immédiate ! Restait à trouver la voix de Mozart. Grâce à mon fils, Julien Oheix, (son manager de tournées), Francis Huster, dont tous les directeurs artistiques rêvent de pouvoir l’annoncer, à gentiment accepté de venir se prêter à cet exercice. Mélomane, homme de culture imprégné de musique, il a su rendre à Mozart un peu de sa vie si tumultueuse et trop courte. Sa voix tombait du ciel étoilé, Mozart, par ses propres mots réincarné, comme une présence charnelle que ses oeuvres musicales venaient sertir de lumières. Divin frisson !
De Bach à Piazzola, par Helena Rueg au bandonéon et Micha Pfeiffer à l’alto, tel un coup de foudre... D’abord par la pluie venant s’immiscer dans l’ordre des choses (quelques gouttes, un parasol installé en catastrophe afin de protéger les instruments et le concert est reparti !) mais surtout parce que ce projet novateur permettait de tendre des passerelles entre la musique classique et la musique populaire. Leur Libertango restera comme un des (nombreux) moments forts de ce festival.
Place alors au classique pur avec deux formations d’anthologie et un jeune duo. Le Philarmonique de Chambre de Saint Petersbourg (composé uniquement d’anciens élèves du conservatoire Rimsky-Korsakov, (le meilleur du monde, dit-on !). Excellence du jeu nerveux des cordes, du rythme fascinant imposé par le chef Juri Galbo, de l’incroyable fascination d’un soliste bouleversant (Dimitri Berlinsky, plus jeune lauréat du concours de violon Paganini)... Jamais, je n’ai entendu L’été de Vivaldi comme ce soir-là, communion totale avec les éléments ! La Passione de Joseph Haydn achevant une représentation digne des plus beaux moments de l’histoire du Festival du Suquet. Cette école des pays de l’Est si typique, on la retrouvera dès le lendemain dans un Quatuor Talich accompagné de la pianiste roumaine Dana Ciocarlie. Sons boisés, sens du phrasé, engagement, tout un équilibre de la perfection pour deux oeuvres d’exception, le romantique La Jeune fille et la mort de Schubert (cf. le film de Polanski) et l’incroyable modernité de l’opus 44 Quintette pour piano et cordes de Robert Schumann. D’une présence et d’une actualité rare, ces notes qui jaillissaient sous les archets donnaient une dimension littéralement métaphysique à cette soirée magique.
Benjamin Trucchi au violoncelle et Grace Fong au piano, avaient auparavant donné le tempo d’un classique majestueux.
Restait une soirée ouverte sur le monde, une de ces fils tendu entre deux rives que j’affectionne tout particulièrement. Le maître de la Kora, l’instrument le plus classique de l’Afrique, Ballaké Cissoko, nous transporta dans des contrées lointaines pour un voyage d’émotions, un vibrant hommage à ses dieux qui lui donnèrent l’art de dispenser la grâce. Griot de père en fils, il improvisa ses gammes en réponse au lieu superbe de cette cour du Musée de la Castre dominé par un donjon qui l’inspirait. L’Afrique éternelle. 120 personnes présentes, 50 CD vendus à la sortie, comme si chacun d’entre nous désirait conserver une parcelle de cette langueur qu’exprime une Kora que des doigts d’or font chanter.
Le Gospel Drums devait achever ce cycle. Né au cours d’une discussion passionnée avec Thierry Nossin, un producteur ami en qui j’ai une totale confiance, l’idée de réunir les Tambours Croisés avec une chorale Gospel, du chant mère de l’Afrique à l’expression de leurs descendants asservis, fonctionna à merveille. Beauté des voix si pures, énergie lancinante des tambours, la salle entière debout reprenant le refrain d’un final grandiose, comme pour affirmer que la musique est une et indivisible, partie d’un tout et expression du particulier, génératrice de consensus et manifestation de la diversité du génie humain.
Et bien sûr, Chilly Gonzales pour clore définitivement des Nuits Musicales du Suquet 2014 qui resteront comme le symbole d’un aboutissement personnel, un équilibre entre le classique et le moderne, la preuve que le classique sait être ouvert au monde actuel et que les racines de la culture plonge aussi bien dans le temps que dans les horizons si vaste de l’âme humaine. Territoire infini de la beauté qui échappe aux règles.
Alors oui, je peux vous le dire désormais, je suis fier d’avoir enfanté tant de bonheur et de rencontres, tant de sourires et d’émotions.
Oui ! Cette édition des Nuits Musicales du Suquet, sa fréquentation, la présence du maire de Cannes, David Lisnard, mon ami qui sait aimer la culture pour ce qu’elle est, la joie d’une équipe de l'Evénementiel du Palais des Festivals et des techniciens, permanents ou intermittents, tout cela restera gravé à jamais dans ma mémoire.
Merci à la musique de me donner encore le droit de rêver !
Il déteste les selfies.. mais il fera une exception devant mon désir enfantin ! Merci encore Chilly !