Sur quelques livres….
Depuis décembre, j’ai plongé dans les livres. Au cours des temps morts des voyages (et dieu sait combien il y en a, même dans les plus exotique !), en rentrant pour se détendre et se
laver la tête, accroché par une phrase ouverte sur le monde, contemplant les nombreux cadeaux d’un Père Noël particulièrement culturel…Entre deux mouvements d’écriture, le désir de consommer
passivement…
Quelques commentaires à partager.
Cul de sac. Douglas Kennedy.
C’est moite au début, étouffant à la fin. Un homme rompt avec la routine, prend son argent et décide de traverser l’Australie. Ce coup de dé n’abolit pas le hasard. Une terre de chaleur, des
êtres comme des fantômes errant dans un bush parsemé d’embûches. Une femme va se jeter dans ses bras et l’attirer dans un trou perdu, au fin fond d’une piste abandonnée, village rayé de la carte
routière, vieille mine fermée depuis quelques décennies, repeuplé par quelques familles dans un rêve utopique d’une rupture avec la modernité. Cette « cité du soleil » retournée aux
sources de l’humanité dans des règles frustres édictées par 4 gardiens du temple, s’est transformée en « cité de l’enfer ». Il est échoué dans ce paradis perdu afin de devenir un
procréateur. Afin de lutter contre l’inceste, les enfants de 18 ans, doivent partir sur la route en un voyage initiatique pour ramener de la chair fraîche apte à renouveler le capital
génétique de ce cheptel humain. Notre héros marié de force à une gorgone va vivre l’enfer au vrai sens du terme. Enfermé dans une prison ouverte, il tentera de se libérer de ses chaînes pour
retrouver la civilisation et ses codes.
C’est une œuvre au couteau, une écriture lourde mais terriblement efficace, des mots qui suintent la peur et l’horreur, des phrases qui campent l’abomination d’une utopie qui s’est inversée en
une monstruosité niant le temps. Ames sensibles s’abstenir !
Millénium 1
Millénium 2
Millénium 3. Steag Larson.
Comment ne pas être fasciné par l’histoire de cette oeuvre. Un homme écrit pendant des années dans l’ombre pour déposer ses tapuscrits auprès d’un éditeur et décéder avant leur parution. Déjà,
cela ennoblit d’entrée l’auteur ! Avoir l’élégance de disparaître quand une œuvre émerge, quel talent ! Et si le livre et bon, quel génie !
3 tomes de 1000 pages, le pari semble impossible, l’ambition hors de propos. Pourtant, dès le premier paragraphe, dès la première page avalée, vous savez au fond de vous que vous êtes piégé,
qu’il va falloir désormais puiser dans vos nuits pour les terminer, que vous allez enchaîner les tomes au rythme d’une lecture frénétique. Ce n’est pas de la grande littérature, c’est même, osons
le dire, plutôt banalement écrit. Mais les personnages vivent, sont attachants, on les voit se dessiner derrière les mots. Les situations sont exacerbées à souhait, les dénouements tombent piles.
C’est de l’écriture efficace, sans génie, mais diablement percutante. Même si le deuxième tome se perd quelque peu dans un dénouement facile, même si le troisième vous parait recouper des
situations passées, même si parfois les clefs du royaume s’avèrent tendancieuses, quelle efficacité, quel punch dans ces trois Millénium. C’est du roman à l’image de notre époque, un brin
m’as-tu-vu, parfois scabreux, toujours accrocheur, traçant un chemin dans une forêt de phrases pour déboucher vers un monde où s’affrontent la soif de découvrir et la capacité de dissimuler.
L’informatique comme levier, le journalisme comme vision, des individus de chair et de sang qui souffrent et se perdent.
La route. Cormack Mcarty.
Le thème est connu. Dans le pays ravagé d’une post-apocalypse, un homme et son fils tentent de survivre et de rejoindre la mer. Des hordes de cannibales errent sur des chemins désertés par la
civilisation. L’homme, malade, protège son fils et lui inculque les rudiments d’une culture disparue, celle des hommes d’avant le cataclysme. Ils vont s’épuiser à marcher, éviter des pièges,
tomber dans d’autres, abandonner toute humanité afin de survivre et de se protéger. L’auteur s’interroge sur ce qui pourrait unir l’homme à l’homme quand tout lien social disparaît, quand la
survie dépend de la solitude et du hasard. Au bout du chemin, on trouve le désert de l’océan vide, la mort pour l’un, l’espoir pour l’enfant. Si un embryon d’humanité peut être conservé, alors
tout est possible, même l’avenir ! C’est un thème mainte fois traité que ce soit par Stephan King, ou plus proche de nous, par Robert Merle dans Malevil. Ce n’est pas le meilleur, mais
Mcarty est un vrai écrivain. Il sait peindre la réalité et introduire une réflexion dans les dialogues simples d’un père et de son enfant. Comment survivre, sinon en tuant sa part de rêve et
l’image du passé ? Rien ne doit raccrocher aux souvenirs, une seule règle prévalant : rester du côté des gentils contre les méchants (les cannibales). Si vous n’êtes pas fan de
science-fiction, replongez-vous dans « de si jolis chevaux », un chef-d’œuvre sur la mort de l’ouest et les derniers cow-boys.
Je passerai sur un de mes péchés de jeunesse, le polar pur et dur, en l’occurrence Nicci French dans Jeux de dupes, une vraie histoire à l’américaine dans la
tradition des MacDonald, Highsmith and co. Un bouquin à lire dans l’avion qui me ramenait de Russie et à filer à un ami après lecture. Il n’y avait pas de trou d’air et j’ai pu le siroter
comme une bière un peu fade, fraîche mais sans consistance !
Plus troublant, le récit de Jean Teulé dans un Darling glauque à souhaits lu à Madrid. Rencontre entre l’auteur et l’héroïne du livre pour une œuvre duale.
Enfant grosse et laide qui traversera sa vie à coup de viol, mépris, coups et autres tentatives de suicide, ce livre est un témoignage poignant et désespéré sur une femme aux confins de
rien, quand l’individu ne rêve plus parce que la réalité est le reflet déformé de nos cauchemars. Morbidité assurée !
Tout ancien soixante-huitard a forcément. Entendu parler de Phillippe Sollers, mais qui le connaît vraiment ? Le nom de Tel Quel résonne encore. Il y a ses écrits rarement
lus, il y a le personnage public, rares apparitions, un brin désinvolte, intelligentsia décalée, hors du temps, il y a l’ancien révolutionnaire maoïste que l’on voit si peu dans les débats
contemporains… Un vrai roman est une fausse autobiographie. S’appuyant sur son passé, il livre des bribes de son histoire pour introduire des clefs de lecture plus générales de
cette période d’une extrême densité. Très rapidement, il va s’extraire du passage obligé de la confidence pour passer à l’universel d’une conception de la vie. La religion, le pouvoir,
l’écriture, mais aussi l’amour, le cinéma, le théâtre par le prisme des ceux qui ont croisé sa lumière.
De cette plongée, on ressort plus intelligent, il a réussi à nous faire partager ses rencontres avec Ponge, Aragon, Mauriac, Breton, toutes les personnalités fascinantes de ce milieu du
20ème siècle qui vont faire de Paris une capitale intellectuelle, les Barthes, Foucault, Sartre, Althusser, Deleuze, Derrida… On rêve ! Il n’y a point d’affectation dans ses
anecdotes, il y a la vie extraordinaire d’un être qui rend naturel cette destinée hors du commun.
Il y a aussi ses femmes, Dominique Rolin, la maîtresse mère et Julia Kristeva, la femme pour l’éternité… et toutes les autres évoquées avec pudeur.
Au fond, plonger dans ce livre, c’est ouvrir une page de notre propre passé tant son histoire extraordinaire colle à notre vie ordinaire. Il nous restitue ce qui en a fait un être d’exception…
plutôt sympathiquement, comme s’il nous aidait à mieux comprendre ce qui s’est joué dans ces années de soufre où tout était possible. Il nous remets du sens dans ce qui brillait au point de nous
aveugler. Toutes les générations vieillissantes ont tendance à penser que leur jeunesse avait des vertus que le présent a chassées… Sollers nous prouve que c’est bien dans cette moitié du siècle
que les idées avaient encore la possibilité d’être des armes au service de la raison. Bienheureux celui ou celle qui peut désormais lire ce livre en sachant qu’à défaut de comprendre, il a pu
respirer l’air contemporain de ces penseurs qui ont éclairé l’humanité ! Combien apparaît d’une grande pauvreté le degré zéro de la réflexion actuelle et d’une politique de l’image où tout est
dérobé, même la critique !
Et pour finir, c’est à Rome que j’ai terminé le prix Goncourt 2007. Alabama Song de Gilles Leroy. Est-ce un grand Goncourt ? Je n’en ai pas
l’impression ! Pourtant, même si le livre démarre doucement, il ferre avec douceur et l’on se surprend à terminer cette fausse biographie d’une Zelda Fitzgerald plus vraie que nature. La
part de fiction s’imbrique si parfaitement dans les maigres éléments de ma culture « Fitzgéraldienne » que le thème éternel de la vampirisation d’un être par un autre devient l’axe qui
accroche le lecteur. L’homme célèbre qui dévore sa compagne dont l’œuvre sera captée et détournée pour sa seule gloire est un thème récurent de la création ! En l’occurrence, une petite
musique suave à l’écriture fine et élégante, mais pourquoi pas ? Cette oeuvre ne devrait pas passer à la postérité, elle engrangera toutefois quelques royalties conséquentes et semble
être le produit consensuel d’une alchimie où la cuisine littéraire l’emporte largement sur les considérations esthétiques ! Peut-être que la vraie création était en panne en cette année de
2007.
Bon, à bientôt pour d’autres rendez-vous sur mon blog, de nouvelles aventures nous attendent !.
Le Festival International des Jeux de Cannes.
C'est le terminus d'une semaine de folie... et je n'étais pas tout seul à être ivre de bonheur et de fatigue ! 15 000 joueurs, 125 000 personnes sur le salon en train de jouer à
tous les jeux du monde, de jour comme de nuit, dans une ambiance de folie sans aucun incident... On prouve à Cannes que les jeunes et les vieux, les riches et les pauvres, les hommes et les femmes,
les nations (50 pays représentés), les religions, les différences, ne sont pas des obstacles mais peuvent, bien au contraire, être un ferment d'émulation, un enrichissement, une façon de
mieux se comprendre !
Comme une tour de Babel, un phare dans la nuit des vieux démons, nous avons éclairé le monde d'un faisceau lumineux d'humanité, d'un bonheur simple et immédiat. Dans le dépassement de
soi, l'affrontement aux autres, le respect des règles et la dimension ludique sont chargés de ce lien social possible et souhaîtable que le monde politique cherche sans jamais trouver. Les
adieux déchirants sonnent l'heure des retrouvailles... A l'an prochain, déjà !
Le texte que vous pouvez lire a été composé en 2003... Il est extrait d'un projet avorté mais il garde toute son actualité concernant le Festival des Jeux de cannes. C'est la 16ème "histoires vraies" du blog. Une page de mon passé au sein de cette structure !
Le texte que vous pouvez lire a été composé en 2003... Il est extrait d'un projet avorté mais il garde toute son actualité concernant le Festival des Jeux de cannes. C'est la 16ème "histoires vraies" du blog. Une page de mon passé au sein de cette structure !
Garry Kasparov, parmi tous les joueurs que j'ai rencontrés, est celui qui m'a le plus impressionné tant par la brutalité absolue qu'il dégage que par cette obstination qui se cache au fond de lui
et l'empêche de s'avouer vaincu quelles que soient les situations. Au Championnat du Monde en parties semi rapides organisé avec la Fédération Française d'Echecs et le club de Cannes de Damir
Levacic dans le cadre du Festival International des Jeux 2001, la finale se déroulait sur le plateau du Palais des Festivals et se présentait comme l'affrontement logique entre la star qui avait
renoué avec une compétition officielle de la FIDE, la fédération internationale, et un de ses dauphins naturels, le Russe Evgeny Bareev qui culminait à 2704 points Elo dans le classement des
joueurs et rendait 145 points à "l'ogre de Bakou".
Kasparov est une légende et continue, dans une longévité exceptionnelle, à régner sur les 64 cases, défiant le temps et l'usure des sommets vertigineux sur lesquels il campe en tsar
indéboulonnable. Né en 1963, il devient le plus jeune Champion du Monde de tous les temps en 1985, à l'âge de 22 ans, endossant par la même occasion, le statut de leader de l'opposition et de la
révolte contre l'establishment russe qui imprimait sa main de fer sur l'univers de ce jeu, institution en Union Soviétique et source d'accession aux plus hautes sphères de l'Etat garantissant les
honneurs et privilèges attachés à ceux qui le servent et lui rendent grâce.
Sa rivalité avec Anatoli Ievguenievitch Karpov a marqué l'histoire des échecs de la deuxième partie de ce XXème siècle de quelques pages d'or. Karpov, de douze ans plus âgé, élève de Botvinnik,
triple Champion du Monde qui lui permettra d'obtenir ses premiers succès dès l'âge de 15 ans, devient l'idole de l'Union Soviétique après la retraite de l'Américain Bobby Fischer et sa victoire
aux Philippines, à Baguio en 1978, contre le dissident Victor Korchnoï, au bout d'un suspense de trente deux parties acharnées, parsemées d'incidents innombrables déclenchés alternativement par
les deux joueurs qui luttaient, non seulement pour leur suprématie, mais aussi pour la victoire politique de leur camp. Des coups fourrés, des changements de positions, des médiums invités à la
grand-messe, des exigences sur les meubles et les lumières, les attitudes des arbitres, tout fut prétexte à un duel acharné opposant les deux clans et se soldant par un combat planétaire entre
les forces de l'establishment et celles de la dissidence. Kasparov n'avait que 15 ans à l'époque du sacre de Karpov et il avait analysé ses parties des nuits entières, jusqu’à voir l’aube se
lever sur des rêves de conquête d’un titre mondial qui lui permettrait de régner sur le monde des échecs, son ambition et la certitude d’un destin planétaire n’ayant pas de limites. Déjà proche
de la perfection, son jeu s'était affirmé entre la science tactique, l'originalité de ses stratégies, une approche purement animale et ce formidable instinct de tueur qui allaient devenir le
sceau de son talent.
C'est en 1984 que leur duel annoncé allait se concrétiser, dans un premier round qui dura quarante-huit parties d'un championnat marathon interrompu par le président de la Fédération en
dépit de toute équité, pour des raisons fallacieuses qui tendaient à protéger le tenant du titre, duel fratricide des deux produits les plus parfaits de l'école russe des échecs, match sans
vainqueur, débridé, sans foi ni loi, que Karpov menait mais où Kasparov semblait en mesure de pouvoir revenir. Ce n'était que partie remise pour celui qui avait gagné un surnom à défaut du
championnat, "l'ogre de Bakou" qui, en 1985, terrassait Karpov et l'Union Soviétique en pleine décomposition pour ne plus lâcher prise et sceller son nom au destin des échecs de la fin du
millénaire, devenant la plus grande légende vivante, rejoignant au Panthéon des grands hommes, ceux qui marquent l'histoire de leur empreinte et transforment la réalité.
De cette première rencontre avec lui, je me souviens, dans les coulisses du Palais des Festivals, juste avant la finale que je devais présenter avec Damir devant 1500 personnes, de son regard
noir, de ses épaules qu'il rentrait, sa tête basse et l'authentique violence qui émanait de lui, cette haine qui jaillissait en flots tumultueux, n'épargnant personne, de sa capacité à se
concentrer en tournant comme un fauve en cage, et de l'explosion quand nous sommes entrés sur scène, sous les sunlights et que plus rien ne comptait que ce titre de Champion du Monde en parties
semi rapides qu'il voulait reconquérir pour son come-back dans les compétitions officielles de la Fédération Internationale. Celle-ci était dirigée par son ennemi, Kirsan Ilyumjinov, président de
la République autonome de Kalmoukie, petit Etat de la Fédération de Russie, peuplée de descendants des Torgouts, guerriers mongols qui régnèrent sur l'Asie Centrale et campent désormais sur
une terre aux réserves de pétrole enfouies sous les sabots de leurs chevaux et dont la production de caviar est une des ressources naturelles génératrices de revenus substantiels. Ilyumjinov
avait réussi une OPA, au congrès de Paris en 1995, en se faisant élire président de la Fédération Internationale des Echecs, deuxième fédération sportive au monde après le football, à l'époque
sous la coupe d'un personnage trouble aux relents sulfureux, le Philippin Campomanes celui-là même qui avait organisé le match de 1984 entre Karpov, le Champion du Monde en titre et son
challenger Garry Kasparov. Depuis, ce chef d'Etat de la seule République bouddhiste d'Europe, sorti de l'HEC russe, qui avait surfé sur la vague du libéralisme embrasant la Russie pour accumuler
une fortune colossale, ami de Wladimir Poutine, était devenu le bailleur de fonds d'un sport échiquéen surmédiatisé mais qui n'arrivait pas à drainer les moyens financiers nécessaires à son
développement.
J'avais rencontré le Président Ilyumjinov à Istanbul, pendant les olympiades d'échecs qu'il sponsorisait avec largesse, dans la période de préparation du Championnat du Monde et je le
revoyais, avec ses lunettes noires, jeune, visage de Yakusa égaré dans un costard noir qui lui cintrait une taille fine et des muscles d'acier, tout droit sorti d'un film de Kitano, ses deux
porte-flingues à ses côtés, le regard absent ne s'animant qu'à l'annonce que Kasparov allait réintégrer le giron des compétitions internationales et serait présent pour cette coupe du monde
organisée à Cannes sous son égide, après plus de cinq ans de brouilles et sa tentative avortée de créer une fédération concurrente.
Le champion n'a pas eu besoin de départage, ces parties complémentaires que l’on doit jouer en cas d'égalité au score, tant il s'était programmé pour vaincre. Pour la finale, les deux
compétiteurs trônaient sur une estrade, séparés par une table qui supportait un échiquier et la pendule électronique où s'égrenaient les vingt minutes de base octroyées à chacun, auxquelles
s'ajoutaient dix secondes par coup joué pour l'emballage final. Des caméras reprenaient leur visage et fixaient leurs attitudes sur l'écran gigantesque où avaient été projetés les plus grands
films de l'histoire du cinéma. Entre les images des joueurs, un échiquier géant télécommandé par informatique permettait de suivre la partie en direct pendant que Damir Levacic, en cabine,
commentait les coups relayé par des écouteurs HF, expliquant les positions et les choix stratégiques, faisant participer le spectateur au suspense de cette finale arbitrée par un Canadien,
Stephen Boyd, au flegme tout britannique. Dans la première manche, Kasparov avait tiré les noirs et résistait dans une partie anglaise où les pions C4-C5 maîtrisent l'espace central, donnant une
force aux blancs et instaurant un avantage positionnel microscopique mais durable, une approche du jeu exploitable par un jongleur du type de l'opportuniste Bareev, grand spécialiste de cette
ouverture. C'est un style de jeu karpovien que Bareev développait, un Karpov auquel il ressemble physiquement, même maigreur, même taille, yeux clairs, cheveux blonds sur le côté, attitude
nonchalante dissimulant une volonté de fer. Au bout d'un combat acharné, Garry arrachait la parité, un bon résultat qui le positionnait en force pour la revanche où il récupérait les blancs et
l'avantage de l'ouverture, produit d'un combat où rien n'avait été cédé, où les défenses avait pris le pas sur les attaques dans une véritable guerre de tranchées où chaque interstice dans les
positions donnait lieu à un affrontement pied à pied menant vers une neutralisation finale.
J'étais sur scène avec l'arbitre de plateau, l'oreillette me permettant de suivre les commentaires enflammés de Damir, micro à la main, prêt à intervenir. Avec les blancs, Garry ouvre d'un
E4 sur lequel Bareev opte pour le E6 de la défense française. Un flottement, une rumeur incrédule est montée de la salle stupéfaite par ce traitement de l'attaque d'ouverture, Kasparov allant
provoquer son adversaire sur son terrain de prédilection. C'est dans le style de Karpov que le champion venait chercher cette victoire, une confrontation inédite par échiquier interposé avec son
légendaire adversaire dont Bareev était le meilleur exégète. Kasparov savait que le départage lui serait favorable tant sa capacité d'improvisation et sa rapidité d'exécution étaient légendaires,
pourtant il impulsait une pression formidable, prenant tous les risques, usant de ses coups de boutoir qui l'avaient rendu célèbre, s'engouffrant par une brèche infime pour ne
plus lâcher sa proie, le talonnant jusqu'à la perte du temps, des repères et du sang-froid, dans un abandon final devant la trotteuse de la pendule. C'était la victoire d'un stratège au
zénith de ses moyens, à l'optimum de ses capacités sur un guerrier qui n’avait jamais abdiqué.
Kasparov avait le regard fixe et haineux, le corps ramassé et noueux, les veines de ses mains d'homme de la terre d'Azerbaïdjan couvertes de poils noirs, palpitaient pendant qu'il les
frottait l'une contre l'autre. Il semblait prêt à jaillir de son siège, comme si cette position assise en ce final à couteaux tirés lui devenait insupportable, comme si son énergie ne lui
permettait plus de contrôler les mouvements sporadiques qui ne se calmaient que quand sa main saisissait une pièce et la déplaçait sur l'échiquier, plongeant toujours plus son challenger dans le
doute et le désarroi, parachevant sa victoire d'une maîtrise du temps qui laissa pantois l'ensemble des spécialistes garnissant les fauteuils de la salle, médusés par ce combat de légende.
C'est à ce moment précis, en le voyant sous mes yeux, dans une proximité qui me permettait de ressentir physiquement ses réactions, que j'ai perçu à quel point les champions hors norme échappent
aux codes en vigueur chez les communs des mortels. Dans ce jeu, il n'y a, au monde, qu’une poignée d'hommes à être capables de transgresser les règles, de les faire évoluer, une minorité seule a
le talent de l'inconscience et peut atteindre à la grâce sublime de ceux que l'aile du génie effleure. Je me suis demandé si mon ami Massoud, qui avait été formé dans le même moule, qui
avait côtoyé tous ces grands champions, qui avait été nourri des sources de cet enseignement, aurait trouvé sa place sur l'échiquier de la vie si le conflit absurde dans lequel les soviétiques
s'étaient enlisés en Afghanistan ne l'avait irrémédiablement chassé dans les limbes du jeu, dans un hors case qui avait ruiné les chemins de sa destinée et conduit vers la solitude et l'abandon.
Quelques heures après cette victoire, Garry me fit porter un pli par son secrétaire particulier, sparring-partner et homme de confiance qui le suivait comme son ombre. Il m'invitait à souper avec
lui à La Belle Otero, un restaurant panoramique qui dominait la baie de Cannes au septième étage de l'hôtel Carlton et dont le chef avait deux étoiles. Autour du maître et de ses deux
assistants de jeu, le président de la Fédération Française et Damir Levacic m'attendaient en dégustant un verre d’un Grand Cru classé qui trônait sur la table miroitante d'argenterie et jetait
des éclairs sanguins sur la nappe immaculée. Kasparov était en train de commenter les noms de ses rivaux, à la recherche d'un successeur potentiel qui saurait l'abattre et récupérer le sceptre
qu'il venait de reconquérir. D'Annand, l'Indien trop inconstant et fragile à Kramnik, le Russe manquant d'imagination selon lui, aucun de ses dauphins naturels ne lui semblaient posséder la
capacité de le battre sur le temps, et dans la suffisance et la morgue de sa victoire, Garry le Magnifique plastronnait, dégustant à petites lampées son nectar, déclamant des sentences à la cour
qui l'entourait et l'écoutait religieusement. Tout au plus la nouvelle génération à l'image d'Etienne Bacrot, le surdoué français qui avait porté le titre de plus jeune grand maître de
l'histoire des échecs ou le talentueux Ponomariov, une nouvelle pépite de l'école russe, trouvaient-ils grâce à ses yeux et, bien que trop tendre pour l'heure, lui donnaient l'impression de
prendre date avec le futur. En se projetant ainsi dans l'avenir, "l'ogre de Bakou" niait le présent et en gommant une génération, inconsciemment, perpétuait son règne et s'octroyait un peu de ce
temps qui lui filait entre les doigts, sonnant l'heure d'une retraite inéluctable et la victoire des années qui s'écoulaient sur sa volonté de fer. En aparté, Damir me confia qu’il
l'avait vu recevoir de Moscou des fax qui analysaient les parties de l'Ambler Tornement qui se déroulait, avec quelques-uns uns de ses principaux rivaux, à Monaco, trente kilomètres plus loin.
Garry, derrière le talent brut, est aussi une bête de travail et un monstre d'organisation, utilisant les moyens techniques les plus sophistiqués, recrutant les meilleurs assistants et les
stratèges les plus performants afin de les mettre à son service et de les utiliser au profit de la construction d'un mythe qu'il s'attelle à bâtir tous les jours et qui porte son nom en
lettres d'or.
A table, confortablement installés, il nous régala de quelques anecdotes sur les innombrables tournois qui l'avaient entraîné aux quatre coins du monde, d'un avion à l'autre, d'un hôtel à un lit
de hasard, avec toujours cette réputation de tueur qui le précédait et dont il tirait une réelle jouissance, se repaissant du visage apeuré de ses adversaires, des rictus nerveux au moment de la
mise à mort, de la sueur et du goût de sang qui concluaient les mouvements compulsifs des mains sur l'échiquier, de cette dualité d'un monde où le noir et le blanc des pièces de bois bornent
l'horizon d'une frontière infranchissable. L'histoire des coqs nous fit rire aux larmes tant sa façon de la raconter, son sabir mêlant un fond de russe sur des pans d'anglais saupoudrés de zestes
de français, espagnol et italien, épiçait cette farce d'un KGB qui, en 1990, à Lyon dans la revanche du championnat du monde qui l'opposait à son éternel rival, Anatoly Karpov, avait payé les
paysans qui habitaient autour de sa résidence pour que des dizaines de coqs chantent dès les premières lueurs de l'aube et l'empêchent de dormir.
Je dégustais un foie gras poêlé en chapelure d'oignon qui fondait dans la bouche, le vin coulait comme un ruisseau de vie dans notre gorge et lui, plus que jamais certain de sa toute puissance,
nous affirmait qu'il règnerait encore dix ans sur l'homme et que Deep Blue, l'ordinateur diabolique, ne l'avait battu que sur l'abandon de son physique et la trahison de son corps. Il resterait
pour l'éternité le 13ème Champion du Monde, celui qui, au 13ème coup de la 13ème partie avait proposé une innovation théorique qui avait stupéfié tous les commentateurs et
analystes de ce jeu, celui qui ne pouvait dormir dans un hôtel qu'à la chambre 13 et ne sortait jamais sans ce chiffre 13 caché dans une de ses poches, sur un porte-clefs dont il ne se séparait
jamais. Au fond, sa vie réelle n'avait que peu d'importance devant la richesse de sa vie rêvée et il n'était pas indispensable de savoir que ce symbole de la révolte, cet étendard de
l'anticonformisme avait été inscrit aux Jeunesses Communistes avant de rejoindre le camp de Gorbatchev sous Brejnev, puis d'être Eltsinien sous Gorby, de prôner Lebed à la disparition de Eltsine
et de chercher sa place sous Poutine, toujours ailleurs, jamais présent, la tête dans les nuages à côtoyer des dieux désincarnés et à se perdre dans les arcanes des stratégies et des recherches
d'un geste impossible et d'une perfection inhumaine.
C’était il y a 7 années, pendant un Festival des Jeux qui avait drainé dix mille joueurs venus de 37 pays de la planète, permis à 1250 scrabbleurs de s'affronter, à 600 bridgeurs de
surenchérir, aux Africains de l'awalé de découvrir les subtilités du go, aux taroteurs de faire rouler les dés du Backgammon et à toutes les générations de se confronter en une gigantesque foire
d'empoigne dans les règles de l'art. C'est une vraie ville éphémère de province qui se constitue, une ville de 10 000 habitants où seuls les joueurs peuvent s'établir, qui possède ses codes
et ses habitudes, ses vainqueurs et ses perdants, ses drames et ses joies, son fair-play et ses tricheurs. Depuis 1987, pendant une semaine, Cannes devient la capitale incontournable des amateurs
de jeux, des classés aux débutants, jeunes, vieux, hommes, femmes, ils viennent tous par milliers afin de se frotter aux meilleurs et de mesurer leur niveau. Ils dorment en jouant et se
nourrissent des aspirations les plus étranges, sous perfusion d'un alchimiste pervers qui leur aurait inoculé le vice du jeu, les vertus du dérisoire.
25 000 m2 de stands, de moquettes, de salles aménagées avec des tables et des chaises, et du matin à tard dans la nuit, cette foule d'yeux impatients, de mains avides, de cette sueur qui sourd
quand le moment décisif du choix intervient, de ces gestes frénétiques qui rythment l'existence du joueur et le coupent de la réalité. Le joueur est un être qui vit sur une autre planète, perdu
dans les arcanes de l'initiation et qui se reconnaît une famille composée, s'invente des histoires et brave la destinée des mortels en tentant de lire les signes du ciel. Il espère arracher des
bribes d'immortalité aux jours qui s'écoulent, cherche toujours à transformer l'échec en un cheminement vers la perfection et quand il se campe au-dessus des lois, qu'il est le meilleur, le
vainqueur, alors il sent approcher la défaite et s'apprête à subir les affres de l'angoisse et du renoncement. Par un cruel paradoxe, c'est dans l'accession aux sommets des arts du jeu que les
grands se perdent et se laissent emporter dans les nuits glacées de la déraison. Bobby Fisher, génie absolu, en est un exemple, capable des coups les plus improbables, seul occidental qui a su à
dominer les Soviétiques en un demi-siècle d'opposition de style, vainqueur au finish d'un Boris Spassky à la dérive en 1972 à Reykjavik. Il entre en religion échiquéenne à l'âge de six ans,
quitte l'école à quatorze, devient le plus ignare des champions américains, étalant une inculture que seul son génie, les pièces de bois en main, pouvait compenser et, ceint de la couronne
mondiale, s'isole dans un silence austère et incompréhensible, se coupant du monde en un autisme définitif. Derrière la légende, on trouve le grand mystère de sa mère, cacique de l'école du Parti
à Moscou à la fin des années trente et de sa demi-sœur, Joan, née en URSS en 1938, jetant un voile trouble sur la victoire de l'Occident sur l'Orient.
Il en va ainsi pour tous ceux qui vivent leur vie dans les tournois, se transcendent pour une série, se dépassent pour un contrat et deviennent des géants parmi les hommes. La perfection d'une
stratégie, l'intuition sublime qui embrase, l'instinct définitif qui corrobore les éléments d'analyse, tout cela s'élabore dans la tension et la fureur de l'impuissance, entre l'imaginaire et le
réel.
Une pincée de culture...
Mon dernier voyage sur Paris s’était soldé par une compilation de pièces peu intéressantes, des brouillons vagues, sans désir. Je suis en retard sur ma programmation de la saison
2008-2009, ce nouveau rendez-vous avec les scènes de la Capitale était d’importance : allais-je enfin trouver ces pépites dorées que tout programmateur rêve de
dénicher ?
Mercredi 6 février. Carpentras. Salle polyvalente. Les moines de Shaolin.
Il existe autant de troupes de Shaolin que de Chœurs de l’Armée Rouge ou de Cirques de Pékin sur le marché. Il était indispensable que je visionne la troupe qui m’était proposée afin de vérifier
que j’avais bien de « bons » et « vrais » Shaolin. Mission accomplie. Dans une salle de gymnase mal aménagée (mais qui fait une belle petite programmation sur l’année), les
moines bondissent, se fracassent des barres de fer sur la tête, s’empalent sur des clous, des lances, exécutent des figures toutes plus improbables les unes que les autres, deviennent oiseaux,
tigres et crapauds. Cela reste beau, élégant, lumières soignées et chorégraphies particulièrement réglées. Un beau spectacle tout public à déguster en famille. Il y a même un soupçon d’élévation
d’âme dans les sentences de respect et d’accomplissement de soi prodiguées au fil des numéros. Pas de problème donc, les Moines de Shaolin trôneront dans ma programmation entre le Casse-noisettes
du Cirque de Dalian et un Festival International des Jeux 2009 à dominante asiatique.
Jeudi 7 février. Paris. La tectonique des sentiments. Eric-Emmanuel Schmitt.
Une pièce originale de Schmitt, mise en scène par l’auteur, avec Clémentine Célarié et Tcheky Karyo, ne peut, à priori, laisser indifférent. Pari réussi. Un texte étourdissant d’intelligence et
de finesse, marivaudage moderne sur deux êtres qui, ne pouvant se dire -je t’aime- (par pudeur, par fierté, par aveuglement ?), vont s’annoncer la fin d’un amour et entrer en guerre. Chaque
situation est décrite avec la précision d’une chirurgie des sentiments, un tableau somptueux de la tempête intérieure, le calcul le plus froid et l’incandescence des pulsions les plus primitives
en un dosage qui mène chaque individu vers sa propre frontière. C’est un jeu de l’amour et du hasard, une réflexion sur la patine de l’habitude et l’impossibilité d’être autre, sur des mots que
l’on ne prononce pas et qui se transforment en maux. C’est du théâtre à l’ancienne au verbe moderne.
En conclusion, j’ai adoré mais je ne suis pas sûr, hélas, de sélectionner cette pièce. La première raison en est la dimension du décor qui impliquerait deux jours d’immobilisation de la salle
mais la cause principale réside dans le filet fluet de la voix de Karyo qui est, au demeurant, un excellent comédien. Les dialogues intimistes se perdraient dans la grande salle Debussy du
Palais. Un coup à avoir des rafales de« vieux » en train de hurler « –plus fort » en pleine tirade, et de recevoir une dizaine de lettres me demandant pourquoi on entend rien
dans la salle. Un truc à me gâcher tout le plaisir rien que d’y penser !
Vendredi 8 février. 15h. Réunion Zone Franche. (Musiques du Monde)
Je retrouve mes copines productrices, tourneuses, bookeuses et autres Delaporte and Co. Discussions. Se dessinent une soirée latino pour les Concerts de Septembre et une programmation espérée
de Diego Amador dans la saison pour une soirée jazz manouche branchée. A Suivre pour les amateurs.
21h. Le dindon. Mise en scène Thomas Le Douarec.
C’est mon ami JB Guyon qui produit cette énième version d’un Feydeau. Il m’avait averti…mais je n’avais pas vraiment entendu ! Le Douarec est connu pour ses adaptations déjantées. Il allait
nous servir ! Le lieu est étrange, un cabaret dans le quartier chaud de Pigalle, en face du Moulin Rouge, entre peep-show et sex-shops, de petites tables avec abat-jour, une scène ouverte où
trône un canapé et une série de portes comme seul décor.
Les acteurs vont démarrer à fond de cale et tenir pied au plancher pour un vrai divertissement, une loufoquerie sans retenue. C’est un Feydeau totalement enivré d’une jouissance communicative.
Même si le genre est périlleux et parfois frôle le mauvais goût, parfois dérape (les chansons mauvaises du début !), l’énergie des comédiens servis par un texte limpide, des situations
extrêmes et des retournements incessants, permettent à ce Feydeau d’être un pur divertissement. Banane de rigueur à la sortie ! Bon, on ne s’ennuiera pas la saison prochaine, le 25 avril
2009 au Théâtre Croisette !
Samedi 9 février.
Pari difficile pour cette journée de folie. Je vais visionner 4 pièces à 15, 17, 19, 21 heures dans 3 salles de Paris, avec quelques minutes seulement pour me rendre de l’une à l’autre !
Et dire qu’il y en a qui affirme que je m’amuse dans mon métier ! Et bien, c’est vrai ! Cela m’excite et je suis heureux en train de courir à la recherche de l’émotion perdue sur les
pavés de l’espoir !
15 h. Balé de Rua. Danse et percussions du Brésil.
Je n’étais pas convaincu en m’y rendant. TS3 m’avait poussé, me sollicitant instamment. Je m’y rendais en traînant les pieds, persuadé que je sortirais après une demi-heure afin de ne pas speeder
pour le prochain rendez-vous. Au fond de la scène, des échafaudages sur trois niveaux, une vingtaine de danseurs et une danseuse ( !), la musique, moitié enregistrée, moitié live, et la
sarabande peut commencer. Pendant plus d’une heure, ils vont accomplir une prouesse physique étonnante, dansant en un ensemble parfait à la limite de la rupture les rythmes les plus chauds de
l’Amérique du Sud. De la rumba à la samba en passant par la capoeira et le hip-hop, ils se déchaînent emportant tout sur leur passage. Les spectateurs du Trianon sont scotchés sur leur siège tant
une force tribale est en jeu, histoire d’un pays par sa danse brute. Certains tableaux sont surréalistes comme ces fleurs qui éclosent sur les échafaudages ou ces couleurs dont ils se parent en
se crachant dessus. C’est la fête des corps luisants, des muscles au service de la grâce dans un tempo de frénésie. Cela me fait penser au formidable Mayumana que nous avons reçu pour les fêtes
de fin d’année au Palais des Festivals. Je subodore une forte envie de les programmer… il va falloir en discuter avec la production. Le public se lèvera pour une ovation à la fin du show comme si
c’était enfin à nous de nous libérer de toute cette tension accumulée pendant 1 h 20.
En sortant, je prends le métro pour le Châtelet et me dirige vers la rue duTtemple. Au passage, je tombe sur les célébrations du nouvel an chinois. Comme dans un film de Cimino, les pétards,
le grand serpent qui ondule, les costumes magnifiques, les roulements de tambours, des centaines de Chinois et de Chinoises défilant dans les rues…la communauté asiatique en démonstration dans le
Marais. Cela vaut le coup d’œil !
17 h. Café de la Gare. Le Tour du monde en 80 jours.
Pour moi, le Café de la Gare est un symbole des belles années, quand Romain Bouteille et son équipe inventaient une nouvelle façon d’être, un style différent tant sur scène que dans le
public. Le lieu n’a rien perdu de son charme désuet. Une cour bruissant des académies de danse qui mêlent des sonorités africaines, sévillanes, jazz…Un bar où les gens fument et consomment au
soleil. Un foutoir sympathique, un accueil décontracté. Sur les planches, c’est toujours la même chose. D’excellents comédiens dans un pastiche dérisoire où se marient en écho l’œuvre de Jules
Verne et les accents d’une actualité politique brûlante. C’est frais et amusant, un moment de détente sur les traces des aventuriers d’un monde en train de s’ouvrir au regard de l’Occident. Les
acteurs en font des tonnes et l’interprétation permet à la sauce de prendre. Spectacle tout public, les enfants rient et les parents aussi, pas toujours d’ailleurs pour les mêmes raisons !
19 h. Question d’envie.
En avais-je vraiment le désir ? En prélude à la pièce de 21 h, un objet théâtral non identifié. Un jeune homme parle au public et nous comprenons qu’il s’agit d’une émission de téléréalité
ou autre jeu. 3 filles le rejoignent et chacun sera dans sa bulle sauf pour des césures où ils se rejoignent en un procédé de rupture. Les archétypes fleurissent, la frustrée pour laquelle le
désir ne peut être que sexe, le jeune sûr de lui, heureux et vide de tout, l’écervelée qui rêve la vie sans la connaître, la femme qui a un enfant et dont le seul désir et de parler pour lutter
contre la peur… C’est séduisant, joué à la perfection par une brochette de jeunes comédiens talentueux. Les textes sont incisifs et collent aux personnages et aux situations. C’est brut comme un
exercice d’école de théâtre, frais et généreux, une leçon de chose sur une humanité inconsistante en train de fleurir sous les décombres d’une société de consommation qui a perdu le sens des
valeurs. Que vais-je bien pouvoir faire de cette pièce ?
21 h. La forme des choses. Neil Labute.
Une étudiante s’entiche d’un gardien de musée. Elle est belle, brillante. Il est laid, timide. Elle va le transformer, l’habiller, changer sa coiffure et faire opérer son nez. Il perdra 12 kilos
par la pratique du sport. Elle va le façonner comme de la pâte à modeler… mais voilà ! Comment vous dire la suite sans vous dévoiler un ressort qui doit rester caché ? Comment vous
amener à suivre les rapports ambigus entre les deux amants sans vous dévoiler ce qui doit être tu ? Sachez que cette pièce est un bijou, un chef-d’œuvre d’intelligence et de finesse, une
vraie plongée dans les rapports entre deux êtres que tout oppose ! Démonstration brillante autour du concept de l’art, du pouvoir de l’individu et de sa liberté, de l’échange et de
l’aliénation. Rendez-vous le 3 avril 2009 dans la saison « Sortir à Cannes ».
Le dimanche, j’avais prévu de me rendre au Palais des Sports afin de voir la dernière œuvre posthume de Béjart. Crise de lèse-majesté, dans la nuit après un sommeil difficile, je décide de
m’en retourner sur mes terres cannoises. Le Festival International des Jeux approche et je n’ai pas envie de tomber malade. Je cours me réfugier dans mon home comme un animal blessé afin de
récupérer quelques maigres forces. On ne devrait pas vieillir ! Tant pis pour Béjart, il nous a bien laisses orphelins, lui !
Informatique et sécurité...
Pourquoi donc ce texte si loin des préoccupations culturelles et ludiques de mon blog. La politique de sécurité, la nécessité de réprimer, des stratégies pour contrer les délinquants…
ce n’est pas vraiment moi, cela, cela ne me ressemble pas… comme dirait Lionel J.
Tout d’abord, quand vous arrivez au bureau et que vous avez 100 spams stupides cherchant à vous allonger le pénis, à vous vendre des montres ou à vous faire ingérer du viagra en
matant les fesses d’une Lolita slave… cela irrite quelque peu ! Une véritable mafia s’est structurée autour du commerce du Net et malgré mon peu de goût pour les règles, celles de la loi du
plus fort, dans ou hors du système ne sont pas pour me plaire.
Alors quand une amie m’a demandé de l’aider à faire une fiche sur ce thème pour son mémoire de fin d’études, je me suis passionné. J’ai foncé dans l’histoire incroyable des
nouveaux pirates du Net et je me suis pris au jeu d’être un gardien du temple. Je ne le regrette pas… même si je viens de terminer la saga des 3 volumes du Millénium. A ce propos, je vous
conseille de les lire instamment. Quand une république des hackers se dessine… (il faudra attendre d’avoir dévoré le 3ème tome pour comprendre cette phrase), quand les hackers ont les
traits et la personnalité de Lisbeth, quand l’effraction est au service de la vérité…alors, on ne peut que les aimer et accepter leurs contorsions avec les règles. Mais on est dans la
fiction ! Dans la réalité, une bande de vautours pillent, grugent, torpillent et volent les plus faibles, escroquent sans foi, profitent sans loi ! Le défenseur de la veuve et de
l’orphelin qui sommeille en moi ne peut alors que se dresser contre ces malfrats invisibles qui trament leurs méfaits à l’ombre d’une toile derrière laquelle ils sont tapis avec leur sourire
sanguinaire !
La politique de sécurité de l’information et des systèmes d’information pour les années à venir.
Le temps de l’amateurisme est révolu. La période où des « hackers » romantiques défiaient les systèmes de protection par bravade s’est achevée par des films Hollywoodiens. Depuis 2005,
aucune grande attaque de « ver planétaire » cherchant à paralyser un parc d’ordinateurs n’a eu lieu. Désormais, la criminalité cybernétique est le fait de réseaux structurés,
professionnels, en pointe de la technique, dont le but unique est la recherche de profits par tous les moyens illégaux. Les attaques cybernétiques se font plus discrètes, et sont d’autant plus
dangereuses. Elles sont le fait de « pirates » structurés à l’échelle internationale qui se radicalisent et opèrent avec des modes de fonctionnement de plus en plus sophistiqués. Les
entreprises en sont la cible principale. Une enquête récente du CLUSIF (club de la sécurité des systèmes d’information français) démontre que les attaques informatiques en 2006 coûtent déjà plus
cher que le vol dans les entreprises.
La situation dans les entreprises.
D’après cette étude du CLUSIF de juin 2006, 98% des entreprises de plus de 200 employés avouent une dépendance modérée ou forte devant l’informatique. Si les entreprises prennent réellement
conscience de leur dépendance, seules 56% sont dotées d’une PSI (Politique de Sécurité de l’Information)… même si cela représente une progression de plus de 15 points en 2 ans. Le point noir est
que seulement 38% des entreprises prévoient une augmentation de leurs budgets concernant la sécurité du système d’information.
Le système d’information s’appuie sur les technologies numériques d’information et de communication (le réseau Internet) facteur de compétitivité, vitrine de l’entreprise… mais qui rend
vulnérable l’entreprise à toute une série de manipulations et de détournements potentiels de fonds et d’informations.
L’entreprise se doit de :
1) Prévenir les diffusions intempestives d’informations confidentielles.
2) Agir contre les manipulations d’informations la concernant.
3) Empêcher la captation illégale de ses informations.
Pour ce faire, il est indispensable d’adopter une Politique de Sécurité de l’Information (PSI) afin d’assurer la disponibilité des ressources et des informations, l’intégrité des données et la
confidentialité des informations traitées.
Sa mise en place implique :
1) Etablir des règles, procédures et bonnes pratiques à mettre en œuvre.
2) Désigner les personnes en charge et les actions à entreprendre en cas de risque avéré.
3) Sensibiliser les utilisateurs aux menaces qui pèsent sur le système d’information.
4) Prendre les mesures nécessaires pour réduire ou assumer les risques.
Cette politique s’appuie sur une analyse des « actifs » (biens et ressources humaines de l’entreprise concernés par l’information). Ce dispositif doit être global, rattaché directement
à la direction générale. Il portera en priorité sur l’organisation interne et sur le système d’information, mobilisera le personnel et les partenaires de l’entreprise et couvrira l’ensemble de la
communication et la diffusion d’informations la concernant.
Des outils pour une stratégie.
Il existe des outils qui permettent de classer les actifs et d’apprécier les risques afin de les traiter. Ils ne sont malheureusement utilisés que par une entreprise sur deux et 1/3
seulement s’inscrivent dans une démarche plus large de management de la sécurité s’appuyant sur une norme ISO.
Les principaux modèles permettant d’élaborer une PSI existants sont :
-Le MEHARI (Méthode Harmonisée d’Analyse de Risque) qui est développé par le CLUSIF.
-L’EBIOS (Expression des Besoins et Identification des Objectifs de Sécurité) qui est développé depuis 1995 par la DCSSI (Direction Centrale de la Sécurité des Systèmes d’Information).
-Le COBIT ( Control Objectives for Business § Related Technology) de maîtrise et d’audit des systèmes d’information éditée par l’ISAC (information System audit et control)
D’une façon plus globale, il existe des normes ISO portant sur la sécurité des systèmes d’information.
La norme ISO/IEC 17799 : 2005
Cette norme internationale constitue un « guide des bonnes pratiques » en matière de sécurité de l’information.
La norme ISO/IEC 27001 : 2005
Cette norme spécifie un Système de Management de la Sécurité de l’Information (SMSI).
Conclusion.
Bien que les entreprises prennent conscience et progressent dans la gestion du risque notamment en formalisant des chartes de sécurité, en recensant les actifs clés, en développant des conduites
d’analyse de risque ou d’actions d’audit et de contrôle, la situation risque de s’aggraver devant les défis lancés par des réseaux de cybercriminalité de plus en plus sophistiqués.
Afin de maîtriser son avenir, le monde de l’entreprise se doit de parer à la menace terrible qui pèse sur son réseau d’information. Les profits colossaux des criminels nous font bien sentir la
dimension de ce risque et le facteur de déstabilisation induit par la puissance des attaques sur ce talon d’Achille du monde de l’entreprise. La riposte doit être à la hauteur de cette menace.
Il est désormais indispensable d’investir massivement dans le secteur de la protection de l’information au niveau de chaque entreprise.
Il est indispensable que les directions générales décrètent un état de guerre économique concernant la protection de leurs réseaux d’information. Les entreprises se doivent d’élaborer des PSI
(Politique de Sécurité de l’Information) plus rigoureuses. Le plan de continuité d’activité et les tableaux de bords sont indispensables pour lutter efficacement contre toute intrusion dans le
réseau d’informations à protéger.
Mais l’action des entreprises doit absolument être complétée par une démarche de réglementation provenant des états et des instances internationales. Dans cet espace de liberté que représente
Internet, l’espace des criminels cybernéticiens doit se réduire et leurs actes délictueux trouver une sanction.
Un immense chantier attend les hommes d’états et les chefs d’entreprises. C’est à ce prix que la gestion globale du risque devrait amener une amélioration de la situation et une sécurisation des
réseaux d’informations.
Et dire que j’en suis arrivé là ! En me relisant, je me souviens de l’espoir fou qu’avait engendré la naissance de l’informatique. J’avais 30 ans en 1980 quand sont apparus les
premiers ordinateurs. C’était une révolution dont nous pensions vraiment qu’elle allait permettre l’émancipation des travailleurs, l’expression plus large d’une population en souffrance de moyens
de communiquer, une démocratisation de la communication.
Comme tout le monde, j’ai suivi des stages d’initiation au langage informatique, d’utilisation de ces machines à rêves. J’ai participé à des débats, pondu des textes sur cette
formidable déflagration que nous vivions en direct ! Qu’en reste-t-il plus de 25 ans après, sinon que la vie a changé profondément en une poignée d’années, que cette révolution a vraiment eu
lieu… sans que nous nous en soyons rendus compte et pas forcément pour le bien de l’humanité !
L’entreprise, la maison, l’esprit même se sont formatés à la présence d’une informatique de plus en plus totalitaire. La carte bleue, les soins médicaux, les paiements en ligne, les
systèmes les plus sophistiqués des entreprises, des administrations, les jeux d’écritures (5 milliards d’€ envolés à la Société Générale par une manipulation de quelques lignes en compensation et
au mépris de toutes ces sacro-sécurités dépeintes dans cet article), toute notre vie est désormais dépendante de quelque chose qui est devenu totalement hermétique et que l’on sait absolument
perfectible.
Il n’y a que les pauvres pour croire que le monde peut changer, les riches eux, savent que la nature est ainsi faite que seuls les possédants peuvent accéder à la puissance.
L’informatique n’est alors que le reflet déformé de nos faiblesses, une jungle dans laquelle il n’y a aucune raison pour que les loups ne dévorent point les agneaux !