Festival du Film (suite et fin)
Voilà donc la fin de mes aventures en terre cinéphilique. 35 films en 12 jours,
une colonie d'Allemands, de Burgiens et de Corses investissant ma maison, quelques parties de cartes entre pellicules, beaucoup de parlottes et boustifailles, un temps entre parenthèses pour
parcourir le monde des écrans avec des yeux d'enfants. Je n'ai pas désiré écrire sur tous les films visionnés, un zest de commisération pour m'empêcher d'exercer mes talents de polémiste sur
les reliefs du grand banquet cannois du 7ème Art. Conservons intact le mythe d'une fête cinématographique permanente !
Bon, quelques jours de vacances bien mérités m'attendent... avant de vous retrouver pour de nouvelles aventures littéraires !
Delta du Hongrois Kornél Mundruczo me posait à priori un problème complexe. Hongrois mutiques, dialogues au lance-pierre, mauvais bouche à oreille, critique réservée… J’ai décidé de tenter
malgré tout l’immersion dans les flots du delta du Danube, avec, derrière moi, l’idée de retrouver les miens pour des spaghettis aux épinards succulents offerts par la Pasta... après une
demi-heure de film ! Objectif largement tenu puisque je ne suis pas sorti de la salle avant le mot "fin". J’ai même pris un certain plaisir à ce film esthétisant, histoire glauque d’hommes
frustres, mise à mort de l’innocence. C’est une belle fresque aux accents symboliques qui fonctionne parfaitement, n’en déplaise à tous les critiques chagrins qui l’ont descendue en flammes, ce
qui pour une œuvre qui se passe à 80% dans l’eau, n’est pas vraiment mérité !
Choc. Johnny Mad Dog de Jean-Stephane Sauvaire aurait eu toute sa place dans la compétition officielle et offert un focus sur un drame actuel. Une bande d’enfants soldats manipulés par quelques adultes qui organisent un coup d’état dans un pays d’Afrique, le Libéria. Enrôlés de force à 10 ans, bourrés de drogue, maraboutés jusqu’à se croire invincibles, ils tuent comme ils respirent et sèment la mort tout au long de leur passage. Jeunes, vieux, femmes… personne n’est épargné dans cette foudre hallucinante qui s’abat sur les habitants, ces sourires d’enfants transformés en rictus de haine. Tout est violence absolue et prétexte à laisser la fureur se déchaîner. Le savoir, la religion, l’amour sont des obstacles qu’il faut balayer par les balles et le sang. C’est insoutenable et jamais voyeur, juste un constat mis en scène afin de déclencher une prise de conscience.
Une séquence pourrait rester en mémoire de notre lâcheté et de notre obstination à fermer les yeux devant les monstruosités engendrées. Le convoi de l’ONU quittant l’hôpital devant les enfants soldats qui vont pouvoir pénétrer dans ce mouroir pour achever les blessés, femmes et enfants. Dans ce convoi d’hommes puissamment armés qui s’effacent devant des enfants soldats, il y a toute l’ignominie des nations civilisées qui ne veulent pas ouvrir les yeux et acceptent la part inhumaine du mal. Le diable est dans le cœur de notre apathie et dans notre volonté de détourner le regard.
Notons que c’est Mathieu Kassowitz qui est coproducteur du film, il sauve un peu le cinéma français à la dérive en cette année 2008 à marquer d’une pierre noire !
Il divo de Paolo Sorrentino est un film sur les affres de la politique italienne des années 70/80, quand les gouvernements de Giulio Andreotti valsaient aux sons d’étranges compromissions avec la Maffia, que le pouvoir devenait le siège d’un théâtre où tous les coups étaient permis, et que la démocratie était la seule victime d’une mise sous tutelle de l’Etat au service d’intérêts privés. Dans une forme très moderne, le montage alterne un rythme fractionné, clip kaléidoscopique d’images chocs et de séances de violence, avec des séquences introspectives au déroulement plus lent. Le regard d’Andreotti tente l’autojustification, celui du réalisateur prend en charge les innombrables traces de sa collusion avec l’industrie du crime. Des images somptueuses, modernes, effets spéciaux, couleurs, musique agressive ou contemplative collent au déroulement et à la tension de la mise en accusation de l’homme politique le plus important de l’après-guerre.
Au final, il sera gracié, lavé, exonéré de toutes ces charges. La politique devra en payer le prix !
Tulpan réalisé par Sergeï Dvortsevoy, est le nom d’une jeune fille que l’on ne verra jamais, espoir de fonder un couple pour un jeune berger Kazakh qui la courtise en faisant son apprentissage de la vie sur ses terres plates et désolées où paissent les troupeaux de son clan. Il refuse l’idée de s’expatrier à la ville et de quitter cette terre qu’il aime. Il va sauver un agneau en train de naître et symboliquement décider de rester et d’affronter sa vie. Le désert est le personnage principal du film, un horizon plat qui laisse les sentiments s’emballer. Film expressionniste sur la nature, il y a du cinéma de cette période révolue du réalisme onirique des Dojvenko et Préobrajanskaïa dans cette peinture attachante d’un monde rural et pastoral refusant de disparaître. C’est une page sépia de l’histoire du cinéma qui s’entrouvre pour nous permettre de retrouver les émotions de notre passé. Film émouvant et attachant sur l’éternelle histoire du combat de l’homme pour son bonheur et sa survie.
My Magic du singapourien Eric Khoo est un film bizarre. Alcoolique, un ancien magicien tente de retrouver l’amour de son fils en s’engageant dans un cycle de spectacles et d’automutilations débouchant sur la mort. Une vie pour un rachat, pour sauver son enfant de la déchéance, pour retrouver celle qui est morte et qu’il aima à la déraison. Bricolé, de guingois, un grain sale comme la moiteur qui étouffe l’atmosphère, le film vaut surtout par cette problématique du corps comme objet que l’on maltraite, comme arène où les voyeurs viennent satisfaire leur goût morbide pour le sang et la violence. C’est un film dérangeant.
Dans ce supermarché incroyable de la pellicule foisonnant de lucarnes ouvertes sur la planète, l’objectif du cinéma national restera en berne ! Moi qui suis un fervent adepte du cinéma
français et qui pense que notre 7ème Art vaut bien n’importe quel film américain de l’année, force m’est de constater la déroute du cinéma hexagonal. La french touch était fatiguée en
cette édition 2008, les sophistications de ce nouveau cinéma se transforment en tics, les manières élégantes en maniérisme, les réparties tombe à plat, les scénarii convenus… comme si tout était
déjà écrit, filmé, en boîte ! Un ton faussement ironique révèle le vulgaire, une barrière érigée de technique empêche toute expression et
ressenti charnel, il n’y a qu’un jeu vide de sens qui tourne en rond à force de ne rien dire, rien filmer de la réalité. (passage écrit juste avant le dernier week-end !)
Et le sauveur tricolore fut… le dernier film de la sélection, le samedi 24 mai, veille du palmarès, dernier film programmé à la Licorne. Laurent Cantet dans un formidable Entre les murs, tiré du livre d’un enseignant François Begaudeau interprétant son rôle avec puissance et délicatesse au milieu d’un casting d’adolescents plus authentiques que nature. Film de la dernière heure du Festival, cette fiction investit la réalité en structurant l’image et le son comme pour un documentaire. C’est surprenant, plein d’humour, généreux, tendre, désespérant… c’est avant tout un vrai film de cinéma qui donne de l’espoir, qui offre une bouffée d’oxygène à ceux nombreux qui souffrent de voir le cinéma écartelé entre deux tendances : la fuite de la réalité ou son corollaire, le poids du sociétal comme horizon limite de la créativité.
Palme d’Or donc pour un film français après 21 années de disette. Palme d’Or surprise qui fera polémique…il fait nul doute mais attribuée à un vrai film de cinéma qui parle de la vraie vie pour des vrais spectateurs !
En forme de bilan de 12 jours de cinéma.
35 films pour se convaincre que le cinéma existe, une dizaine à éviter, une dizaine sur des problèmes de société par forcément très excitants, une dizaine de bons films qui font honneur au cinéma et au milieu, coulant telle une rivière de diamants, quelques bijoux à sertir d’avenir. Si je devais extraire les films qui me parlent le plus et qui rejoindront les pages glorieuses de mon 7ème Art, je citerais :
Walz with Bashir, le grand oublié du Palmarès à mes yeux.
L’Echange de Clint Eastwood.
Johnny Mad Dog de Jean-Stephane Sauvaire
Gomorra de Matteo Garrone
Le silence de Lorna des frères Dardenne.
Et bien sûr, la Palme d’Or Française Entre les murs de Laurent Cantet.
A cette liste, l’on pourrait ajouter tous les films dont je n’ai pas parlé, soldats inconnus à la flamme vacillante d’un art d’ombres et de lumières, projets s’échouant sur les rives de l’innocence, visions désordonnées de créateurs impuissants, manque d’idées comme manque de moyens, à-peu-près et facilité, laisser-aller et incapacité de contrôle… C’est la grandeur du cinéma de ne point être joué d’avance et de semer derrière chaque espérance, la grande incertitude du mystère de l’art. A la différence du sport, l’histoire ne retient pas seulement le vainqueur, elle conserve les traces de ceux qui échappent aux lois de la pesanteur pour rejoindre un paradis où les films s’épanouissent comme des fleurs d’enchantement.
Vive le cinéma donc, vive Manuel de Oliveira, son siècle et sa verdeur, le regard malicieux qu’il m’adressa au moment de signer la plaque d’argile où son empreinte s’était gravée. 1908/2008 inscrivit-il avec application en souriant du bon coup qu’il faisait au monde du cinéma. La jeunesse est éternelle pour ceux qui défient le temps avec l’arme de la création. Il restera sa mémoire comme pour nous rappeler que le temps est relatif et l’œuvre plus importante que son auteur. Elle échappe à tous les destins !
Et puis de ces nuits de partage, de ces heures blêmes, de ces paupières lourdes, de ces corps cassés, il restera comme un rappel à toutes les souffrances du monde, la magnificence des images volées à la monotonie et à l’ennui !
Vive le Festival 2009 !