Situons bièvement le contexte...Un Festival de Musique Classique perché sur les hauteurs de Cannes, en fronton de
l'Eglise, 700 places en écrin sous les étoiles. Un art de vivre à l'image d'une version champagne de la Côte d'Azur. Depuis 35 ans, un Directeur Artistique compose des programmes à l'image d'une
musique classique...toujours un peu plus poussièreuse au fil des années, reflet d'un âge d'or révolu des années 70/80, pour un public vieillissant inexorablement et dont chaque année, quelques
sièges vides, rappellent que le temps poursuit son oeuvre en utilisant "métronomiquement" sa faux aiguisée à couper les têtes grisonnantes ! Depuis 22 éditions je produis le Festival
avec l'équipe de l'Evènementiel !
Solistes, ensembles, cérémonial et frac du pauvre, échange de bons procédés entre organisateurs de Festivals, et
par-dessus tout, salaire hérité d'une époque glorieuse... Terrain miné pour une musique classique en train d'étouffer sous le conformisme des rides. Souvenons-nous de la charge de Duchable,
jetant son frac aux orties et balançant, d'hélicoptère, un piano dans un lac de la Vallée des Merveilles ! La révolte pouvait gronder !
Le temps du changement était venu et quand ma direction m'a demandé de reprendre le Festival (sans augmentation de salaire
!) et de le moderniser, j'ai accepté pour deux éditions, par le challenge alléché, d'une dernière pierre à bâtir sur les remparts de ma Ville avant mon départ à la retraite ! On était à l'automne
et les fleurs de la calomnie allaient s'épanouir sur les pavés de mon chemin de croix !
Que dire de la tempête dans un verre d'eau qui embrasa les médias locaux cet automne. Que d'articles en expressions libres
dans Nice-Matin, un quarteron d'aficionados de l'ancien directeur artistique se leva pour jeter l'anathème à mon encontre ! Que les journalistes par l'odeur alléchée, entretinrent (à juste titre)
une pression en convoquant le banni au rang du témoignage, que d'autres lancèrent aux cieux que la perte était irréparrable et que le "people", la "mode" et l'incompétence venaient de triompher
de la sagesse et de la connaissance ! J'ai donc dû répondre et je vous livre mon "droit de réponse" paru dans Nice-Matin. Vous avez ici sa version originale, sa longueur ne pouvant lui permettre
d'être publié en l'état, le journaliste effectua des coupes (intelligentes) afin de le formater.
BO/MAP
Objet : Réponse à
Nice-Matin
Nuits Musicales du Suquet
Monsieur,
Pour faire suite à votre article paru dans Nice-Matin du samedi 9 Avril et à la rubrique C’est vous qui l’écrivez !
du mardi 12 Avril 2011, je vous prie de bien vouloir trouver, ci-dessous, ma réponse à Nice-Matin.
Vous avez tous, je l’imagine, reconnu « l’incompétent chargé des destinées du Suquet ». Je me décide donc à
apporter ma pierre aux remparts du Suquet, un éclairage sur les raisons qui m’ont conduit à accepter les responsabilités de la programmation artistique sur les éditions 2011 et 2012, et sur
l’analyse que je porte de la situation actuelle et du rôle d’une direction artistique.
Je tiens tout d’abord à rassurer votre lectrice : Gabriel Tacchino est très bien traité et les Nuits Musicales du
Suquet resteront à dominante classique, fidèles à leur identité. Elles sont adaptées et dynamisées tout simplement. Car il en va des manifestations culturelles comme des êtres qui les
dirigent…elles évoluent, se contractent, se libèrent, trouvent des axes nouveaux, vieillissent parfois, rebondissent souvent, sont ouvertes sur le futur mais dépendent de leur propre
histoire.
Mais le temps nous rattrape toujours ! Et il y a bien longtemps désormais que la presse et la critique nationale ne
s’intéressent plus à notre Festival. Son aura médiatique s’est bien terni, hélas ! De même, l’affluence générale suit une courbe descendante depuis quelques années à la mesure d’un
non-renouvellement du public. Où sont les nouveaux spectateurs du classique ?
L’usure du Festival est bien là, elle se perçoit clairement pour ceux qui l’organisent et président à sa
destinée.
C’est Gabriel Tacchino, l'enfant du pays, qui avait eu l’intuition de ce lieu, la vision de ce Festival. Avec Georges
Dufour, l’adjoint au maire de l’époque qui joua un rôle déterminant, ils surent imposer la musique reine dans cette agora d’honneur.
Loin d’être seulement une charge, ce fut aussi un privilège pour Gabriel que de conduire pendant tant d’années une telle
manifestation : salaires, cachets, échanges d’artistes, considération générale, réputation, autant de facteurs qui influèrent positivement sur sa carrière, juste considération en retour de
son action !
Nous en avons vécu de belles heures, tous ensemble, avec des êtres de légende. Quelques noms tirés de ce livre d’or ne
peuvent cacher la richesse de ces plus de 200 concerts, myriades de groupes et de solistes, chaînes de la passion : Le Mozarteum de Salzburg, Les Virtuoses de Moscou, Le Royal de Wallonie, I
Musici di Montréal, L’Orchestre de Chambre d’Israël, I Solisti Veneti… accompagnés des Rostropovitch, Oistrakh, Pires, Rudy, Stern, Fazil Say, Repin, Sokolov…
35 années se sont écoulées entre les premiers essais d’un jeune programmateur et la machine à remonter un XXIème siècle
de fureur. Il était alors venu le temps de prendre un peu de recul pour lui, de laisser à d’autres le soin d’entamer une nouvelle étape, celle d’une adaptation aux nouvelles tendances, aux
contingences modernes.
Le public, qu’il soit dit élitiste ou populaire, les jeunes, les adultes de la génération actuelle ont des goûts, des
habitudes culturelles qui ont évolué avec le temps présent. Ils ne se reconnaissent pas toujours dans un concept purement classique. C’est ainsi que la ligne directrice de la programmation des
Nuits du Suquet se doit d’évoluer, afin d’être plus en phase avec ceux, nombreux, qui aiment le classique tout en étant dans la modernité.
L’édition 2011 fonde les bases d’un nouveau développement des Nuits du Suquet. Toujours classiques, et ouvertes sur
d’autres genres. Toujours classieuses, et en phase avec la culture d’aujourd’hui.
Enfin, c’est à moi, Bernard Oheix, Directeur de l’Evènementiel depuis 1992, que les responsables du Palais des Festivals
et des Congrès de Cannes ont confié la responsabilité d’accompagner cette mutation en douceur.
Jusqu’à preuve du contraire, les saisons « Sortir à Cannes », les plus de 1000 artistes et groupes, pièces de théâtre et ballets, cirques et opéras, concerts gratuits et grandes stars programmés par la Direction de
l’Evènementiel du Palais des Festivals et des Congrès ces dernières années ont écrit quelques belles pages de la vie culturelle cannoise.
Et cela continuera avec les Nuits du Suquet 2011…
Et même après mon retrait de la vie professionnelle, d’autres apporteront leur talent, leur finesse, leur passion pour
que la culture vive à Cannes, au Suquet comme ailleurs ! Car s’il est une chose que ma vie professionnelle m’a bien appris au cours de ces longues années, c’est que même si les individus
peuvent s’épuiser et disparaître, la réalité, elle, subsiste et perdure, possède une vie qui dépasse largement les intérêts de ceux qui sont en situation de responsabilités et vivent
sur les privilèges du passé.
Vous en souhaitant bonne réception,
Je vous prie de croire, Monsieur, à l’assurance de mes sentiments les meilleurs.
Bernard OHEIX
Directeur de l’Evénementiel
Les Nuits Musicales du Suquet ont eu lieu. J'ai entrevu le fantôme de l'ancien directeur errer entre les pierres séculaires. J'ai eu du mal pour lui, comme si cette histoire commencée
il y a 22 ans, ne pouvait s'achever que dans le goût amer de la déchirure.
Brigitte Engerer et l'Orchestre de Cannes furent égaux à eux-mêmes. Laurent Korcia apporta son souffle d'air frais. Monsieur Jean-Louis Trintignant dans des poèmes de Vian, Desnos et
Prévert en musique fit basculer le public dans l'émotion d'une vie déchirée, une voix inimitable pour un vieil homme encore debout comme un seigneur des temps modernes. Nemanja Radulovic fut
éblouissant, le meilleur du classique en boots, crinière au vent, percing et élégance ravageuse. Grand Corps Malade scella la réconciliation des deux publics, le classique et le moderne malgré un
repli dû à la pluie. Les Pianotokés importèrent des rasades de rires (l'humour en classique, cela existe !). Reste Dame Felicity Lott et Isabelle Moretti qui, malgré leur talent et leur
gentillesse, oeuvrèrent dans un récital conformiste dénué de souffle (ce qui est regrettable pour une chanteuse !). Alors le Suquet ne s'est pas écroulé, le vent et le froid n'atteignirent que
les gorges des plus fragiles et 2012 nous dira si le pari peut réussir d'allier le classique et la modernité pour enterrer toute guerre des anciens !
En prime et comme exemple, un mail et ma réponse (je réponds systématiquement !) comme un rappel de la crise passée.
Monsieur,
Les programmes des Nuits du Suquet ne sont plus ce qu'ils étaient depuis plusieurs années!
Programmes musicaux d'une rare qualité, ambiance festive et amicale!
Les Nuits ont perdu leur âme
C'est bien regrettable!
Avec mes salutations
Roger M....
Que les Nuits aient perdu leur âme est votre opinion...et je la respecte.
Mais est-ce à dire que vous n'avez pas aimé les concerts de Laurent Korcia et Nemanja Radulovic... Ou Brigitte Engerer avec
l'Orchestre de Bender, ou le récital de Felicity Lott...ou l'humour des Pianotokés...Et même l'extraordinaire présence de Jean-Louis Trintignant par cette voix portant des poèmes magiques sur un
accompagnement musical divin...
Bon, je vous accorde que question ambiance, le vent, la fraîcheur et même la pluie sur le dernier jour (mais cela n'a pas dû vous
gêner... ce qui est regrettable car le concert de Grand Corps Malade a fait l'unanimité de tous les publics présents !) n'étaient pas pour améliorer cette édition. On peut rajouter les termites
du Suquet, les fantômes du passé et espérer finalement que le temps saura vous convaincre que les Festivals ont une vie et doivent évoluer pour s'adapter et maintenir leur
lustre !
Cordialement.