La Villa de Robert Guediguian
On aurait souhaité avoir aidé à construire cette villa pimpante accrochée aux pentes d’une calanque dans une baie de Marseille transfigurée. Avoir été à l’origine de tout, à la naissance de l’espoir. On aimerait pouvoir renoncer au monde et s’y réfugier avec cette bande de vieux potes née il y a plus de 30 ans derrière l’objectif d’un cinéaste en train de forger son style et de trouver son inspiration dans la vie quotidienne de personnages ancrés dans un sud coloré et plein de vie.
Il y a la belle Ariane Ascaride qui a survécu à la mort de son enfant noyée 10 ans auparavant dans cette Méditerranée où elle a grandi et qui retrouve un clan forgé dans ce deuil. Il y a le grand frère Gérard Meylan que tout être aurait le désir d’avoir comme tuteur protecteur. Il est resté ancré dans cette calanque et ouvre toujours ce petit restaurant avec des plats typiques et «pas chers», perpétuant la tradition d’un père vieillissant dont il s’occupe et dont l’accident vasculaire va déclencher ces retrouvailles. Il y a Jean-Claude Darroussin, frustré d’une carrière littéraire avortée, dont l’ironie acerbe est une façade pour cacher sa peur et qui décide enfin de s’assumer et de rêver son destin.
Et d’autres personnages aussi à la lisière de ces retrouvailles qui vont apporter un grand souffle de l’ailleurs. Une belle jeune femme qui a accompagné Darroussin sur ses pas et va décider de le quitter pour ne pas le prendre en pitié. il y a le fils docteur qui a réussi et ouvre des labos en série. Il est là pour aider ses parents qui se décident à lâcher prise et se suicident, main dans la main, pour nier le temps qui passe et ne pas voir la mort en traitrise les séparer. Ils ne se reconnaissent pas dans cette fuite du temps qui les ronge et préfèrent s’en aller de concert. Il y a le jeune pêcheur amoureux du théâtre et de sa muse Ariane, lui déclamant du Claudel en comptant les poissons emmêlés dans ses filets. Il va lui redonner un peu de cet espoir que la mort d’un enfant lui avait dérobé en lui offrant un désir sincère et un élan d’amour régénérateur.
Il y a aussi des patrouilles de soldats qui passent régulièrement à la recherche de ces migrants vivants ou morts débarquant sur ces côtes déchirées, chassés par la guerre et la faim, à la recherche d'un abri et d'un peu d'espoir.
Il y a surtout, cette enfant fragile qui nourrit ses jeunes frères, cachés sous des rochers dans un abri de fortune. Elle dérobe un peu de confiture et confectionne une pâtée avec les graines des mangeoires d’animaux et l’eau rance des réservoirs. C’est eux qui vont être les détonateurs du renouveau ! Ils vont devenir les témoins privilégiés de la renaissance en cours. Le soleil qui réapparait pour rétablir l’ordre des choses. De nouveaux élans pour gommer les stries d’un passé morbide. L’espoir d’un vent libérateur qui, dans les échos des noms renvoyés par l’arche d’un pont sur lequel passe une micheline, confond le passé et le présent pour offrir un avenir aux survivants. C’est une ode sur la mort au travail, mais aussi sur l’espoir d’un temps qui s’écoule. Et les cicatrices passées ne peuvent que soulager les blessures de la fuite du temps.
Et le père aphasique va retrouver un élan de vie, comme pour transmettre une dernière fois son patrimoine d’humanité et son amour d’éternité.
Robert Guédiguian qui trace son chemin à l’écart des chapelles n’est jamais aussi bon que quand il parle de ce qu’il est, de ceux qu’il aime. Et il y a un amour infini dans cet espoir d’une petite fille abandonnée sur les routes d’un exil qui trouve un foyer dans la chambre dévastés de celle que la mort a emportée ! Ode à la vie, à l’espoir et au renouveau, La Villa est un hymne à l’espérance et à la nature luxuriante de ce coin de paradis que les temps nouveaux tentent de dévaster mais qui résiste dans l’humanité profonde de ses habitants.