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Un peu de Musique...

Publié le par Bernard Oheix

Et tout d’abord, l’un des plus beaux CD de ces dernières années, une oeuvre crépusculaire composée par un chanteur en train d’observer sa fin venir et qui jette dans son ultime opus, comme un cri à l’humanité, toute sa tendresse et son désespoir, une lucidité froide et désespérée, un hymne à la beauté déchirée d’un monde qu’il est train de quitter, rongé par un cancer.

Ces dernières représentations à la télévision le montre affaibli, lunettes noires et chapeau noir sur son crâne chauve, ivre de ses ultimes parcelles de vie. C’est un rocker qui a transmis quelques uns de plus beaux textes au public, qui a enchanté par sa poésie instinctive, ses rythmes syncopés, ses orchestrations ciselées comme des bijoux d’or, une musique populaire et intelligente composée pour «Gaby, le long des golfes pas très clairs...» !

Alain Bashung dans Bleu Pétrole, le CD que vous devez impérativement emmener avec vous sur une île déserte et pour lequel il faut réinventer la fée électricité afin de pouvoir l’écouter à satiété !

De Je t’ai manqué à Il voyage en solitaire, ce ne sont que des perles serties que l’on peut écouter en boucles, les remettre sans arrêt sur le métier, tant elles s’éclairent à chaque passage, d’une luminosité et d’une puissance insoupçonnable.

J’ai eu le privilège de le voir plusieurs fois et de le programmer dans mes saisons à Cannes à deux reprises. La dernière fois, il était déjà assis au bord du vide... J’en ai le souvenir d’un homme de coeur, d’un homme qui ne faisait plus tout à fait partie du monde mais se savait éternel et si vous voulez le retrouver, achetez Bleu Pétrole pour un dernier voyage, non plus en solitaire, mais aux côtés d’un poète qui jonglait avec les mots et les notes comme si la vie n’était que poésie !

Tout aussi travaillé dans l’orchestration, et sans doute sur le même fil tendu entre les mots et les notes, Love de Julien Doré est à découvrir. Je vois déjà certaines moues et des rictus méprisants... et pourtant ! Dans son précédent CD, Bichon, il nous avait ébloui avec des morceaux comme «Glenn Close», un long poème scandé où la musique monte au zénith par vagues successives. Avec «Corbeau Blanc», il récidive, poème épique à clefs, musique orchestrée avec minutie, voix à l’intérieur de ses mini-symphonies qui laissent l’imagination déborder et la raison se perdre.

Il faut écouter attentivement chaque vers, chaque plage de musique, pour en saisir toute la subtilité et l’incroyable puissance naturelle. Il y a bien un poète moderne derrière ces phrases branchées sur la réalité mais qui en deviennent magiques par la force de leur souffle.

Julien Doré, issu du moule formaté des émissions de télé, a su s’en échapper, rompre avec le conformisme, imposer un authentique style pour devenir un héraut du monde moderne, un conteur de la vraie vie, celui du monde dans lequel nous vivons et qui nous étouffe. Il éclaire nos cauchemars de ses mélodies et de ses mots afin de les rendre plus supportables.

C’est Sophie Dupont, la Directrice-Adjointe de l’Evénementiel au Palais des Festivals de Cannes qui me l’avait fait découvrir. J’ai eu le privilège de le programmer dans ma dernière saison à Cannes en novembre 2012. Il fut adorable, disponible, acceptant même une interview par de jeunes collégiens pour la radio de l’établissement. Sur scène, c’est un vrai battant, son show est à son image, sophistiqué et chaleureux, des lumières théâtralisées, une gestuelle naturelle et énergique, son rapport au public immédiat et sincère...

Si vous en doutez, écoutez Le Corbeau Blanc... et dites-moi comment il est possible de résister à cette musique !

Comment situer Agnès Jaoui y El Quintet Oficial avec leur CD Dans mon pays. J’ai souvent été sceptique sur ceux ou celles qui touchent à tout, ont tant de cordes à leur arc qu’il me semble anormal d’être génial partout... Et disons le, pour moi, Agnès Jaoui et son complice Jean-Pierre Bacri sont d’authentiques cinéastes, des conteurs d’histoires à l’image de la vie réelle, un cinéma à la Française comme nous l’aimons, avec des scénarios ancrés dans la vie, mis en scène avec soin, qui renvoie vers une réalité transcendée, ouvrent les portes du possibles, où l’on peut à la fois être ému et sourire, attaché et distant. J’aime leur cinéma «intuitif» et si Agnès Jaoui m'intéressait, c’est plus en rapport à son statut de cinéaste dans la ville du cinéma que pour ses qualités de musicienne et de chanteuse...C’est au Babel Med à Marseille, un Festival des Musiques du Monde, que j’ai eu l’occasion de parler avec son tourneur «les visiteurs du soir» de l’hypothèse d’une programmation sur les Nuits Musicales du Suquet en juillet 2015. Il m’a transmis son CD en me recommandant de l’écouter.

Las ! Force m’est de convenir qu’Agnès Jaoui a bien aussi le talent d’une interprète, une sensibilité toute particulière née entre ses cultures diverses. Elle a une inconscience sympathique, une façon très personnelle de considérer le CD comme un moment de vie à partager ! Ecoutez les chutes intermédiaires laissées comme des ponctuations, ce ton mi-goguenard, mi-émouvant pour vous en convaincre !

Et surtout, découvrez la musique, cette langue espagnole portée avec son complice Roberto Gonzales Hurtado en des duos attachant et qu’elle met en valeur avec sa voix particulière, ce timbre rauque dissimulé dans une voix de gorge. Et si vous ne craquez pas sur Todo Cambia (le dernier morceau du CD), alors c’est que vous avez un coeur de pierre et que vous ne pouvez envisager qu’une vie de tristesse et de morosité en ce bas-monde !

Moi, j’aimais la cinéaste Jaoui mais désormais aussi la chanteuse qui a su me transporter dans son univers tout à la fois mélancolique et léger, latin et universel !

Et pour terminer cette chronique, un incunable, une des oeuvres majeures de ces dernières années, le groupe Archive dans With Us Until You’re Dead. La musique rock devient opéra, la modernité se pare des habits de la beauté incandescente du passé. Il n’y a plus d’âge ni de repères dans cet opéra moderne où les plages sonores fusionnent avec les voix, où les sons contemporains (batterie, basse, guitare) se mêlent aux claviers et à la pureté des voix pour décliner un monde de beauté funeste, un univers au bord de l’implosion que la musique transcende. Il y a quelque chose de frénétique dans leurs compositions, toutes tournées vers une lecture de la tension de notre univers. Scansions, enchaînements des rythmes, voix syncopées, richesse des fonds sonores... tout est là, à portée de main, en nous, et le CD entre en résonance avec nos peurs, notre angoisse d’un monde parcellaire où nous ne trouverions plus notre place. Déjà, dans leur précédente oeuvre, Controlling Crowds, ils avaient atteint un zénith dans la mise en abîmes de notre réalité, une maitrise absolue de leur projet de dé-construction du monde. Dans cet ultime volet, ils arrivent à transcrire une dimension poétique, plus «planante», à l’agonie sulfureuse d’un univers qui se convulse !

C’est à mes yeux, le groupe de musique majeur de ce siècle, un événement dans la culture du monde, et si vous en voulez une confirmation, précipitez-vous chez un disquaire (s’il en existe encore auprès de chez vous !) et achetez cet hymne à la beauté meurtrière du monde contemporain. Archive, le plus beau concert que j’ai produit dans ma carrière au Palais des Festivals, le 29 septembre 2007 avec l’Orchestre Régional de Cannes (cf. mon article sur Archive dans ce blog), le groupe le plus inventif de notre période contemporaine !

Récapitulatif :

Alain Bashung-Bleu Pétrole

Julien Doré. Love

Agnès Jaoui y el quintet oficial. Dans mon pays

Archive. With Us Until You’re dead

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La culture de la Castafiore !

Publié le par Bernard Oheix

La culture de la Castafiore !

Cela fait quelque temps que je ne parle plus de spectacles dans ce blog... Un effet pervers, il fait nul doute, de l’overdose des dernières saisons programmées au Palais des Festivals de Cannes et d’une détente soudaine entraînée par ma prise d’un congé permanent et de mon long voyage en Amérique du Sud à l’automne ! Quelques films, CD et ballets me donnent le désir de retrouver cette époque où je couchais mes impressions par l’écrit. Et tout d’abord, de renouer avec mes complices du Système Castafiore qui ont présenté en ce 4 avril, dans la salle de la Licorne, une reprise de deux oeuvres de jeunesse.

A mes yeux, le Système Castafiore est une des compagnies de danse la plus marquante de la période actuelle !

Elle est dirigée par un duo fascinant, Karl Biscuit à la création, metteur en scène et compositeur de génie de bandes sons et Marcia Barcellos, sa compagne et son alter-ego en création, à la danse et à la scénographie. Marcia est à l’égale de cette cohorte d’artistes d’Amérique du Sud qui ont apporté un sang nouveau dans le rapport à l’image moderne comme Alfredo Arias, Copi et tant d’autres. En cassant les codes traditionnels, ils ont insufflé une dynamique novatrice, ont révolutionné la gestuelle dans le spectacle vivant.

Les «castafiore» se sont installés à Grasse dans les Alpes Maritimes avec l’espoir de fonder un centre, une base pour explorer les chemins de la création et déclencher une dynamique sur toute la région ! Las ! On est bien loin des cénacles parisiens et des centres de décision. Ils n’en tracent pas moins leur chemin avec constance et sont une des troupes qui tournent le plus à l’international.

A l’occasion de cette reprise de deux oeuvres de leur début de carrière, Karl et Marcia nous offrent une relecture dynamique des fondements de leur art.

Il y a dans Aktualismus Oratorio Mongol (1990) et 4 LOG Volapük (1993), tous les ingrédients qui vont assurer leur succès et qui seront développés et approfondis par la suite avec des moyens techniques plus ambitieux qui permettront à leur créativité de s’épanouir.

Chez Karl, on retrouve dans Aktualismus le travail soigné d’une bande son où des bribes de dialogues absurdes sont joués en play-back, noyés dans un opéra de sons modernes composé de bruits, stridences, répétitions, saturation du niveau sonore. Marcia greffe à cet ensemble hétéroclite, une mécanique d’un geste découpé, heurté, enchaînement ubuesque de scènes mimées où les répétitions tiennent lieu de ponctuation. Il n’y a pas une histoire mais des séquences ouvertes ayant un rapport, en bruit de fond, avec un discours dictatorial, comme si la modernité apparente des éléments scéniques, une machine futuriste, quelques gadgets dans les costumes toujours inventifs, un accessoire, une scène d’illusion avec un enfant nain ou des marcheurs à l’envers, devaient se briser sur les vestiges du conformisme et l’abomination d’un discours totalitaire.

Ce rapport à la dictature est encore plus lisible dans 4 LOG Volapük puisqu’il en est le sujet central. Là encore, Karl Biscuit réalise une prouesse (pour l’époque) puisque le décor se visionne en 3D grâce à des lunettes distribuées au public. Un écran projette sur la scène des constructions futuriste donnant une perspective à la «Métropolis». La bande son est composée de phrases extraites du théâtre classique où l’on peut reconnaitre pèle-mêle, Racine, Corneille, Molière... et sans doute quelques autres ! L’histoire est simple. Un dictateur et sa maîtresse adorée, 3 personnages qui décident de l’assassiner. Les costumes de Marcia Barcellos sont sublimes, dictateur ventripotent à moustache, garde chasse au képi à la Française, grands bourgeois couards qui trahissent leur maître... La caricature est poussée à l’extrême, y compris dans la danse en permanente recherche de déséquilibre, de rupture, ritualisée jusqu’à la parodie. Cela fait penser au «dictateur» de Chaplin et à sa danse avec la mappemonde. Mais il y a une vraie cohérence interne au projet, une réussite formelle indéniable qui martèle un message où l’esthétique baroque se met au service de l’émotion brute.

Au delà de la vraie prouesse esthétique que le duo développera au fil des années jusqu’à des chefs d’oeuvre comme «Récits des tribus omégas», «Stand Alone Zone» ou «Les chants de l’Umaï», (mais presque toutes leurs créations devraient être citées ici !), le rapport à l’humain et à l’oppression (qu’elle soit la dictature d’un homme, d’une technique, d’une pensée, d’un style...) est le fondement de leur processus créatif, la base même à partir de laquelle ils vont intervenir par le sens, (et souvent par le non-sens !) pour provoquer intelligemment le spectateur et l’obliger à réagir.

Refuser le conformisme du geste est au coeur de la nature foisonnante de leur art, jusqu’à entrer en résonance mystérieusement avec l’actualité d’une France qui accouche d’un monde où les idées de l’extrême semblent, tellement se banaliser, qu’on peut en élire des maires et envisager un futur au bleu marine, comme si les pestes noires n’avaient pas d’histoire !

Moi, j’aime les Castafiore et leur art qui me rend plus intelligent, qui m’aide à mieux comprendre le monde qui m’entoure, tout en créant un champ symbolique du possible, aux desseins à décrypter, afin de mieux lire le présent !

La culture de la Castafiore !
La culture de la Castafiore !

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