Hartmut Riehm : notre germain cinéphile bien aimé !
Les plus désespérées sont les chants les plus beaux.
Et j'en sais d'immortels qui sont de purs sanglots.
C'est par ces vers d'Alfred de Musset que j'ai le désir de parler de notre ami de toujours qui vient de s'éteindre à Bonn où il vivait auprès des siens. Hartmut, avec ce nom qui respirait la force vient de perdre contre une maladie qui ne lui laissait que peu d'espoir. Pourtant, il a lutté de toutes ses forces, il a gardé sa lucidité jusqu'au moment ultime et a encore sourit à la lecture d'un des derniers messages transmis par Thérèse et moi sur son lit d'agonie.
1969 : Le cinéma au rythme de trois séances par semaine, dans les salles obscures avec la même bande de copains. Et toujours un immense olibrius, solitaire, les cheveux blonds cascadant sur les épaules, assis au centre du 1rrang comme une vigie que l’on ne peut que remarquer.
Ce grand blond aux chaussures noires qui semblait avoir les mêmes goûts que nous dans le choix de ses films, et que l’on voyait repartir après le mot fin et le défilement du générique au complet, dans sa coccinelle pétaradante, toujours aussi seul, ne pouvait que nous interroger ! Mais qui était-il ?
C’est sur la Promenade des Anglais, après une séance dans la salle du Cap 3000 qui venait d’ouvrir, que notre 2CV poussive fut allègrement dépassée par la reine des transports teutons… Appels de phare et grands saluts de la main. Rendez-vous était pris avec ce blond amateur de films bizarres.
Nous avons donc commencé à échanger avec ce Germain étudiant à l’Université des sciences de Nice qui était particulièrement réputée pour son école niçoise de mathématiques, d’abord sur les films, puis plus généralement autour de pichets de bière, et enfin, en l’incluant comme invité permanent de nos sorties nocturnes, son véhicule étant particulièrement apprécié pour le transport de cinéphiles démunis de moyens de locomotion.
Il faut avouer qu’il était particulièrement passionnant et que son français rocailleux véhiculait des analyses pertinentes étoffant avec brio le niveau de nos débats d’après-séance mais d’avant tournées de bières.
Hartmut Rhiem arrivait directement de la Bavière et préfigurait cette Europe des étudiants en train de s’ériger et notre amitié allait se sceller dans l’airain et échapper au temps… mais nous ne le savions pas en cette période où chaque jour chassait l’autre dans une inconscience et une jouissance permanente déclinées au quotidien.
Et les années ont passé, les films se sont enchainés. Hartmut est retourné dans sa Bavière et nous nous sommes perdus de vue jusqu’à un mail que je reçus en cette fin du siècle dernier.
Il avait retrouvé ma trace grâce à Internet et me demandais si je me souvenais d’un certain Hartmut Rhiem ? Il était heureux de savoir que j’étais devenu Directeur au Palais des Festivals, me donnait de ses nouvelles et en prenait des miennes. Il m’embrassait chaleureusement avec Thérèse et nous souhaitait tout le bonheur du monde.
Dire notre émotion à la lecture de ce mail. Le passé surgissant des limbes de notre jeunesse pour faire revivre l’amitié des temps d’insouciance. Je lui ai répondu dans la foulée et nous avons repris contact jusqu’à ce que je lui propose de venir au Festival de Cannes, de loger à la maison et d’être assuré d’avoir des places sans avoir besoin de faire de fausses cartes ou de supplier les hôtesses dès potron-minet !
Et depuis 25 ans, Hartmut fait partie de la tribu qui envahit mon home, chaque mois de mai, entre des burgiens et des corses, mes enfants et les ami(e)s de mes enfants, quelques cinéphiles italiens égarés, tous se remplissant de pellicules dans la salle de La Licorne, située juste en face de mon jardin, avec des repas et des discussions sans fin sur les quatre à cinq films quotidiens ingérés et même quelques parties de cartes pour terminer dans la nuit.
Quand je l’ai contacté pour lui annoncer que je réalisais ce Journal d’un Cinéphile, il m’a répondu par ce mot :
C’est vers la fin de 1969 que nous sommes devenus amis à force de se voir dans les salles de Nice. Et c’est pendant le Festival du Film de 1970 que l’on a vraiment développé notre amitié. Bernard, tu m’avais assuré connaître des gens importants, un bijoutier, un charcutier de la rue d’Antibes et tu te faisais fort de m’obtenir des invitations…De plus, tu m’avais fourni un « passe presse » de La Marseillaise et j’en étais très fier, un journal de la résistance communiste !
Tous les matins, je prenais ma coccinelle et descendais de la résidence étudiante de Montebello pour rejoindre en 45 mn par la route nationale, le Palais des Festivals où je trouvais à me garer, juste derrière. L’heureux temps !
Tu connaissais toutes les hôtesses, jeunes, belles charmantes, qui distribuaient les cartons d’invitations. Nous les barbus, chevelus, on attendait à côté du comptoir et toi tu leur chuchotais : « -9h, pour Macunaïma ». Elles te répondaient « -combien ? » et toi, « -trois, possible ? » et quelques minutes après les invitations glissaient sur le comptoir. C’est une très belle scène que l’on ne peut oublier… surtout que le film fut génial !
Et il y en a eu d’autres. Tristana de Luis Bunuel, Les Choses de la vie de Claude Sautet et toute la bande de Woodstoock de Michael Wadleigh, le réalisateur qui n’a pas pu entrer parce qu’il n’avait pas LE nœud papillon !
En 1997, du côté de Gourdon pour nos retrouvailles. Plus de 20 festivals vont s'enchaîner sans que jamais Hartmut ne rate ce rendez-vous sacré !
C'est en 1997 qu'il est revenu dans la région avec son jeune enfant afin de nous revoir et que nous avons scellé nos retrouvailles pour le reste de notre existence.
Il travaillait dans l'informatique, avait rencontré Marie Louise sa femme et dévorait toujours autant de films sur les écrans de sa passion. Et c'est ainsi que nous avons repris le rythme de notre festival cannois annuel, 30 à 40 pellicules par édition, lui débarquant deux jours avant dans son combi ww, s'installant dans une chambre, et partageant notre vie comme si les années de séparation n'avaient jamais existé, que le temps avait repris son cours naturel et qu'il s'étirerait à l'infini jusqu'à la nuit des temps et au mot "The End" s'affichant sur un dernier plan.
Il vient de s'inscrire ce mot terrible que l'on ne peut raturer et la musique de son parler à l'accent rugueux vient de s'arrêter. Il nous manque notre Hartmut Rhiem, notre complice des temps heureux et de l'insouciance.
On est loin des cheveux blonds sur ses épaules... 2017 sera l'un des ses tout dernier festival. Il a oublié son badge en partant et quelque temps plus tard, de Covid en cancer, nous n'avons échangé plus que par téléphone. il avait le projet de faire sortir "Café Croisette" qu'il avait adoré, en Allemagne, mais nous avons perçu cette fatigue et cette usure le priver de tous ses moyens. Alors, à se revoir notre ami de toujours !