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Histoire vécue (10)

Publié le par Bernard Oheix

Il y a des pages de votre vie qui ne peuvent se fermer. Ma rencontre avec Jean Delmas en est une, François Truffaut, une autre. Pour Truffaut il faudra attendre, je ne suis pas encore prêt. Jean Delmas était un grand monsieur, un intellectuel de cet après-guerre qui a marqué son époque. Il avait un franc parler, une vision du monde très personnelle qu'il assumait, un rapport aux gens basé sur la fidélité et l'attachement. Il a particulièrement compté pour moi, dans ces années de formation universitaire où tout semble possible, même le rêve !
Les larmes du temps
 
 S’enthousiasmer sur la distanciation Brechtienne d’un film réalisé par un obscur réalisateur hongrois sur un Poète Sandor Petofï, dont personne ne connaissait l’existence avant la projection, était le passage obligé d’une époque bénie où le choc des mots accompagnait celui des images. Nous étions en 1973, le mois de Mai continuait à fleurir d’une façon récurrente nos espoirs d’un monde meilleur et les salles de cinéma du Palais des Festivals, l’ancien, gardaient encore en mémoire l’image d’une jeune garde emmenée par Truffaut et Godard empêchant le rideau rouge de s’ouvrir pour la projection du film d’un Milos Forman complice. Au feu les pompiers venait de rater son entrée dans le monde du 7ème Art en étant la dernière séance d’une foire d’empoigne entre le monde des anciens et du nouveau.
Période bénie où les débats idéologiques permettaient des affrontements rhétoriques, où l’embrasement des idées autorisait toutes les contractions intellectuelles, où les théories fondaient le socle des pensées fertiles comme un terreau permettant aux fleurs de la révolte de s’épanouir. On était bien loin d’une mondialisation qui allait, des rouges aux blancs, transformer la vie en une fresque rose aux rêves frelatés d’un moule stérilisateur.
Bande d’étudiants cinéphiles, faux passes en poche imprimés en Corse par une filière non officielle, représentant d’une Voix du Nord dont je n’avais jamais lu une ligne et que je situais dans un no man’s land brumeux, je déblatérais avec délectation, repoussant les arguments de mes adversaires sceptiques, arrivant même à me convaincre que Petofï 73 était un grand film révolutionnaire en dégustant des œufs frites et en buvant des bocks dans une gargote du marché Gambetta. J’avais la tchatche ce jour-là.
Un petit monsieur nous écoutait avec ravissement et j’en jubilais de le sentir accroché à mes lèvres en train de me suivre dans mes contradictions outrancières. J’ai forcé la dose et j’ai escaladé un Everest de la révolution aux flancs de ce poète hongrois qui n’en demandait certainement pas autant.
Au café, à l’heure où les effusions sémantiques se transforment en vague torpeur, il s’est penché vers moi et s’est présenté. Il me proposait de coucher sur le papier ce que je venais de déclamer avec tant de lyrisme afin, peut-être, si c’était possible, si cela convenait, de l’éditer dans une revue de cinéma dont il s’occupait. Il ne me promettait rien mais lançait un hameçon. Je venais de rencontrer Jean Delmas et d’intégrer l’équipe de Jeune Cinéma même si je ne le savais pas encore. Je devenais ainsi un critique, avec sur mon épaule, l’ombre de Jean Vigo qui rodait pour m’insuffler son amour de la déraison.
Ce n’était pas ma première expérience dans le domaine de l’écriture. Pigiste à Nice-Matin, critique à l’Espoir, j’avais déjà ce goût des mots couchés sur le papier et un certain sens de la formule même si je ne le contrôlais pas toujours…dixit Jean Delmas.
Il m’a pris sous son aile, sans doute comme il l’a fait pour tant d’autres, mais en me donnant l’impression que j’étais unique, que nous entretenions des liens privilégiés. Il m’a conseillé, critiqué (souvent), glissant au dernier moment un mot d’encouragement pour me permettre de continuer à m’accrocher et à lui fournir de la copie.
A chaque numéro, entre Andrée Tournès, René Prédal, J-P et Françoise Jeancolas mes articles venaient agrandir mon horizon, me guidant par les mots vers les chemins de ma liberté. C’est ainsi. Jean Delmas était un pionnier, un dénicheur insatiable, un accoucheur de talents. Tous ses enfants n’ont pas grandi dans le sérail. Nombre se sont envolés. On ne trahit vraiment que ceux que l’on aime !
Au cours de mes pérégrinations pour la revue, j’ai eu le privilège de rencontrer François Truffaut qui venait de terminer La nuit américaine et de suivre une rétrospective de son œuvre intégrale. Moments d’une rare intensité où il s’est livré sans concession et dont on retrouve la partie initiale dans le numéro 77 de mars 1974 sous le titre « Le métier et le jeu »
J’avais étoffé cette interview par un article fleuve conséquent, véritable somme définitive (à mes yeux) de son œuvre. « L’éthique moraliste de François Truffaut » ( !!) et Jean avait annoncé sa publication fractionnée avec le reste de l’entretien. Las, il ne parut jamais ! Mon rédacteur ne l’aimait pas et j’en étais d’autant plus furieux que le réalisateur lui-même l’avait lu et semble-t-il, apprécié, allant jusqu’à me l’écrire. François Truffaut ajoutait avec une certaine perfidie et un sens prémonitoire (j’ai toujours sa lettre) qu’il doutait de sa parution dans Jeune Cinéma. Il m’écrivait « Franchement je n’arrive pas à croire que Jeune Cinéma publiera ce texte car il contredit trop leur ligne idéologique, mais je me trompe peut-être et, de toute façon, comme à chaque fois que je me prête à ce genre de dialogue, j’ai l’impression d’avoir un peu éclairci les choses, ne serait-ce que pour moi. »
J’en ai profondément voulu à Jean Delmas. Dans une lettre, il m’annonçait que le reste de cette interview et mon papier seraient publiés au moment de la sortie du prochain film de truffaut. Il ne les a jamais fait paraître. C’est dans cette lettre, à propos d’un compte-rendu du festival de San Remo, qu’il m’écrivait « C’est un éreintement, je ne sais pas si vous vous en rendez compte. Je connais des jeunes chats qui croient caresser en sortant leurs griffes. »
Nos relations se sont, petit à petit, estompées et quelques années après, je l’ai trahi pour écrire dans l’Huma, ma maîtrise a été éditée dans la collection Etudes Cinématographique sous la direction de mon maître es cinéma J.A Gili, et j’ai vogué vers d’autres cieux. Pourtant nous échangions encore des lettres, nous nous croisions dans les couloirs du Palais à chaque festival, et à chaque fois son sourire éclairait un visage que les années creusaient. Il m’aimait malgré tout, sans aucun doute parce que je n’avais pas la fidélité servile. La jeunesse n’excuse pas tout, sauf l’essentiel, la peur du vide. Jean le comprenait et je sais qu’il ne m’en a jamais voulu. J’ai fait ce que je devais faire, j’ai grandi.
En 1978, j’ai reçu une dernière missive de lui. Avec son humour décalé, il m’écrivait « souvent je me demande ce que tu deviens. Tu me diras que j’aurais pu aller voir » et me donnait rendez-vous à Vallauris, dans une maison rustique nichée dans les pins qui s’agrippait aux collines où il élisait domicile, dès qu’il pouvait descendre dans le sud. Nous nous sommes retrouvés avec émotion. Nous avons parlé de tout et de rien, de ma disparition et de mes rêves, nous avons bu, il faisait chaud et les cigales chantaient. La nostalgie d’un temps qui fuit me paralysait, j’avais ma vie à construire. Je l’ai quitté sans lui dire qu’il avait eu tort de ne pas publier mon étude sur Truffaut. 
Aujourd’hui, je le regrette, parce que c’est la dernière fois que nous avons parlé ensemble. La vie m’a aspiré. Il a continué à découvrir des talents et à offrir un espace de liberté à ceux qui trouvaient le monde imparfait, et puis il est parti définitivement. Truffaut aussi. Il ne reste plus personne à qui raconter cette histoire. Alors je la dédie à Jeune Cinéma, à ceux innombrables qui ont tenté de donner un sens au monde en l’éclairant d’un jour nouveau. C’était il y a si longtemps, hier seulement. Une époque bénie où écrire sur le cinéma était parler de la vie, du monde. Toucher les autres, c’était se découvrir ! Jean Delmas et Jeune Cinéma était un rayon de soleil fragile. Puisse cette lumière vacillante maintenir une lueur d’espoir dans un monde d’obscurité que les écrans viennent trop rarement illuminer !
Que vive Jeune Cinéma !
 

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La ville hors du temps

Publié le par Bernard Oheix

La visite de Venise ne me laisse jamais indifférent. A chaque fois que je me rends dans cette ville (c'est la sixième !), je sens la morsure du temps, les vagues d'une mémoire qui échappent à la compréhension de l'homme. J'aime Venise et je m'y sens éternel, ancré dans une humanité capable de produire le meilleur d'elle-même. Mais Venise, c'est aussi se retrouver devant sa petitesse, savoir que l'on n'est qu'un pion sur un échiquier qui nous dépasse, un trait d'union entre le passé et le futur. C'est comme se retrouver au bord d'un prépice, l'histoire nous mord la nuque et le mur de l'indifférence se brise sur les arêtes de ces palais émergeant de la nuit des temps en nous invitant au rêve !  Dans ce texte, je me venge de Venise parce que j'ai peur de l'avenir. J'aimerais être persuadé que nous sommes capables de perpétuer la mémoire de l'homme pour les siècles futurs !

 

Toute la journée, les nuages noirs s'étaient accumulés au-dessus de la ville, énormes masses roulant les unes sur les autres, jouant à se chevaucher, s'entrechoquant en faisant courir des frissons électriques qui nimbaient l'air d'un voile d'angoisse. Le jour semblait se dissoudre dans la nuit, une clarté obscure enveloppait les silhouettes fantomatiques qui se dressaient dans la lagune. C' était une journée de fin du monde, un de ces moments qui échappent au pouvoir de l'homme et lui fait sentir l'immensité du vide qui l'étreint. Les rares passants courbaient l'échine, la tête dissimulée par des fichus noirs, ils sombraient dans les ruelles vides, disparaissant dans les trous des portes cochères, comme avalés par les bâtiments repliés sur eux-mêmes. L'eau des canaux stagnait, des rides parcouraient sa surface, humbles frémissements que l'étrave de quelques rares embarcations venait briser en jetant des éclats froids dans l'obscurité qui gagnait.

La nuit fut effroyable, les forces se déchaînèrent, d'immenses éclairs zébraient le plan d'eau, illuminant les dômes des églises sous une clarté d'argent, drapant les vieilles pierres d'un manteau funeste. Et la pluie qui ne venait toujours pas, et cette conjonction du bruit insoutenable et des flashs à répétitions comme une anticipation de la fin du monde, d'un jugement final qu'elle aurait mérité. Qu'avait donc pu bien faire cette ville pour que les forces de la nature se livrent un tel combat en son arène ?

 

 Au matin, il y eut une accalmie, les roulements démoniaques s'estompèrent, une brise légère vint prêter main forte pour balayer le ciel de ses cumulus et les habitants sortirent, prudemment, avec des gestes hésitants, regardant autour d'eux, cherchant à comprendre. Le silence se fit absolu, les hommes et les femmes fixaient l'eau des canaux, certains se signaient en contemplant le spectacle de désolation qui s'offrait à leurs yeux dévorés d'angoisse.

Les poissons avaient surgi des profondeurs. Ils flottaient à la surface de l'eau, dévoilant leur ventre blanc, bercés par les roulis qui ridaient la surface en une danse macabre. Leurs gueules ouvertes figées sur l'éternité, leurs yeux morts avaient cessé de contempler les êtres qui avaient érigé cette ville hors du temps. Une odeur rance se dégageait de ces millions de cadavres qui gagnaient chaque recoin des canaux sillonnant la cité. Toutes les variétés des fonds s'exhibaient ainsi, impudiques, défi à l'esprit de l'homme et les questions ne trouvaient pas de réponses aux interrogations angoissées. La panique s'était emparée des Vénitiens, l'inconcevable prenait forme dans cette faune dévastée par un mal mystérieux que l'on ne pouvait imaginer.

Il fallut plus d'une semaine pour nettoyer la ville de ses cadavres envahissants, chaque recoin de la cité des doges fut récuré jusqu'à faire disparaître le souvenir même de cette nuit de cauchemar, mais le mal était profond et dans les eaux privées de vie, il y avait une vague prémonition de ce qui allait advenir. Nous n'étions qu'au début de cette agonie entamée par la mort des espèces lagunaires, il importait désormais de compter avec les forces souterraines qui tramaient leur sombre dessein dans les profondeurs aquatiques. Ce ne fut que le premier des actes qui scellèrent le sort de cette ville.

 

La presse et les médias se précipitèrent sur cet événement, trop de symboles étaient attachés à Venise pour que cela ne devint un exercice de style imposé pour tous les journalistes en mal de copie, d'écrire sur le mal étrange qui l'avait meurtrie. Chacun y alla de son couplet, fit intervenir des spécialistes de l'écologie, des prêtres exorcistes, des hommes politiques tentaient de récupérer l'affaire, le monde avait tant besoin de ces sources d'ignorance pour continuer à errer dans l'inconnu. C'est ainsi, devant l'insondable, les vérités sont toujours premières et des tas de raisons vinrent conforter chaque camp dans son incapacité à comprendre ce qui s'était passé dans cette nuit froide.

 

La vie reprit son cours. Parfois, dans le regard qui se tournait vers la ligne d'horizon, dans l'interrogation chargée d'inquiétude des habitants le nez en l'air à la recherche d'un signal prémonitoire, on sentait poindre cette inquiétude profonde qui rongeait les habitants devant leur futur. Apparemment, tout était rentré dans l'ordre, les trains avaient repris leurs rotations, les bus arrivaient en chapelets ininterrompus, déversant leurs cargaisons de touristes ébaudis devant le charme des vieilles pierres qui se fondaient dans l'eau opaque des canaux tissant une toile d'araignée que les gondoliers parcouraient à coups de leur longue rame qu'ils maniaient avec dextérité. Le ciel avait retrouvé son éclat et les oiseaux venaient picorer dans la main des touristes ces graines qui se vendaient auprès des marchands, remplissant l'air de leurs cris et s'envolant en groupes désordonnés réagissant à de mystérieuses impulsions.

Le premier oiseau qui tomba comme une pierre par un après-midi si clair de septembre, pendant que la Mostra du cinéma déployait ses fastes dans un Lido transformé en temple cinéphilique, ne provoqua qu'un étonnement de circonstance, juste une poignée de touristes légèrement dégoûtés de voir ce tas informe de plumes et d'os perdre sa grâce et rejoindre la pesanteur terrestre en chutant sur les pavés de la « calle dei assassini » Ils levèrent la tête et contemplèrent les nuages blancs qui voguaient dans le ciel d'azur et reprirent le parcours de leur visite sans s'occuper plus de cet incident.

Cette semaine là, les pigeons plurent comme des flocons de neige dans une tourmente, par grappes entières, un dernier cri et leur trajectoire se brisait pour plonger à la verticale et recouvrir le sol de leurs débris ensanglantés. Les millions d'oiseaux qui peuplaient le ciel de Venise venaient tapisser les ruelles et les canaux de leurs cadavres désarticulés, comme un linceul gris où les taches rouges éclataient en fruits trop mûrs. Tous les matins, les équipes de nettoyage et les particuliers entamaient leur journée par le ramassage laborieux des volatiles morts. Les bennes se remplissaient de cadavres informes qui attiraient une ronde de mouches et dégageaient une odeur pestilentielle qui planait sur la ville comme une chape indélébile. En quelques jours, le ciel se retrouva vide et la vie disparut des cieux chargeant le coeur des hommes d'une langueur morbide.

 

Qui peut s'intéresser à la mort de poissons et d'oiseaux, qui peut encore avoir le désir de comprendre ces forces qui s'affrontaient dans les marges d'une humanité déboussolée par un monde impitoyable qu'elle avait contribué à ériger ? Les médias n'accordèrent que quelques lignes de circonstance, comme si le sujet de Venise s'était épuisé dans la disparition de ses poissons, comme si d'autres préoccupations plus importantes éclipsaient ce qui se tramait dans cette ville des confins, entre le passé et le futur, entre la tragédie et la grandiloquence d'une pantalonnade.

La vie pourtant s'était emplie d'une inquiétude apparente dans les palais qui bordaient le Grand Canal, au fond des échoppes qui vendaient des souvenirs, des babioles en verre de Murano, des masques emplumés appréciés pour dérober le regard pendant le carnaval, des tissus imprimés de motifs colorés retraçant l'épopée de Marco Polo. Les discussions traînaient dans les bars qui réunissaient les Vénitiens, quand les flots de touristes s'évanouissaient à la tombée de la nuit, et chacun sentait bien que dans cette histoire inachevée, des réponses se devaient d'être apportées pour comprendre le destin funeste qui les entraînait toujours plus loin dans l'horreur. On cherchait des raisons d'espérer, des bribes d'explication, une lueur d'espoir mais la nuit régnait toujours sur le coeur des hommes transis.

 

C'est le 29 septembre que les gondoliers, en se rendant à leur travail, découvrirent toutes leurs embarcations la coque en l'air, exhibant leurs ventres ronds comme autant de coquilles vides, les bords ventrus plongeant dans l'onde glauque, les coussins de satin aux dorures d'argent flottant à la surface de l'eau, dessinant un tableau accouché par l'esprit torturé d'un génie du mal. Le bois d'ébène, les velours rouges, les cordages déliés plongeaient dans la lagune et seules émergeaient ces formes rebondies de squelettes trop pleins, cétacés morbides échoués sur les rives de l'horreur. Le cauchemar continuait, les églises se remplirent ce jour-là de femmes à la piété retrouvée, de génuflexions incessantes pendant la récitation d'actes de contrition, les dons affluèrent dans les troncs des basiliques où la rumeur s'enflait, entretenue par les voix des paroissiens qui imploraient un Dieu tout puissant et lui demandaient pardon pour des fautes inavouées. Les vaporettis refusant tous de démarrer, le moteur en berne, seules quelques barques sillonnaient la lagune, maniées avec des rames par des marins qui scrutaient la surface de l'eau en y cherchant les causes d'un mal inexpliqué, inexplicable.

Les autorités de la ville bloquèrent les cars de touristes et les trains à Mestre, interdisant tout accès à la cité, paralysant au grand dam des milliers de touristes, la région entière transformée en un gigantesque embouteillage, dans les hurlements de colère d'une population qui clamait son incompréhension en manifestant sa rage et sa hargne contre les édiles inaptes à résoudre cette crise. L'économie de la ville durement touchée par les événements précédents était au bord de la faillite, rien ne permettait d'imaginer l'issue de ce qui se tramait dans les abysses d'un mal qui rongeait Venise l'éternelle.

 

Le 1er octobre, l'île de la Giudecca frémit, secouée par un spasme qui la fit vibrer comme un diapason donnant le tempo d'une course contre l'horreur. Passée la première secousse, elle commença lentement et inexorablement à s'enfoncer dans l'eau qui la cernait. A raison de quelques centimètres par heure, les quais disparaissaient dans la lagune aux sons des hurlements paroxystiques des habitants épouvantés. Des scènes hallucinantes voyaient s'entrechoquer la population prisonnière de son île,  certains couraient porteurs de valises bourrées de valeurs qui rejoindraient les flots bourbeux, d'autres se traînaient à genoux sur les quais inclinés pour rejoindre la basilique du Santissimo Redentore et invoquer un Dieu tout puissant miséricordieux, tous gémissaient, criaient leur incompréhension pendant que la terre se faisait dévorer par l'eau. Les caves inondées depuis longtemps, les flots gagnant les étages au fur et à mesure que la langue de terre en arc de cercle était aspirée par les profondeurs, une population affolée et incapable de réagir se cognait comme des mouches au contact incandescent d'une lampe aveuglante, générant un chaos où seuls les plus forts survivaient.

Certains se donnèrent la mort et achevèrent leur parcours sur les rives encombrées de scories si humaines, d'autres se jetèrent à la mer pour rejoindre les rives du fondamento Zattere Ponte Lungo, tous vivaient la terreur comme si le jugement final était arrivé et qu'il fallait désormais solder les comptes de vies inutiles. Des milliers moururent, hommes, femmes, enfants, leurs yeux grands ouverts devant l'incommensurable, leurs corps dérivant à la surface en plongeant le regard sur une éternité de douleurs. Quelques uns survécurent et furent recueillis par les habitants d'en face, ceux qui tremblaient désormais devant le sort qui leur était réservé. Ils contemplaient les yeux exorbités le vide angoissant qui avait succédé à ce fleuron d'une Venise orgueilleuse, l'arc de la Guidecca évanoui, entre les fortins préservés de  San Giorgio Maggiore et de Sacca Fisola qui pouvaient maintenant se contempler par-dessus les détritus flottant sur la nappe grise d'une mer en train de reconquérir ses droits. Incongrue, comme pour se rappeler à la mémoire des hommes, la flèche du  Redentore émergeait des flots, seule trace de la mémoire des hommes, rappel de leur prestige passé, un doigt vengeur crevant la surface pour indiquer aux êtres humains la vanité de leurs efforts.

 

Le lendemain, dans le chaos indescriptible provoqué par ce drame, le même frémissement parcouru la langue de terre comprise entre la darsena Arsenale Vecchio, le Canale Grande et celui de la Misericordia, une queue de terre ferme trouée de canaux qui portaient quelques-uns uns des signes majeurs du génie de l'homme. C'est là, dans ce quadrilatère que la piazza San Marco offre une vue panoramique sur toute la ville par son fier campanile au pied du Palais des Doges, que se situe le théâtre de la  Fenice   où en février 1851 la Traviatta de Verdi fut créée, l'Eglise San Giovani e Paolo regorgeant de tableaux de Tieppolo et des plus grands peintres vénitiens. C'est aussi dans ce paradis que l'hôtel Danieli accueillait les stars, que le Florian servait des capucino à 15 € aux sons de la musique de Vivaldi exécutée par des orchestres trônant sur des estrades décorées d'ors et de pourpre. Il n'y avait plus de salut pour les trésors de l'humanité que recelaient les palais grandiloquents, plus de pauses sur les balcons bordant le Canale Grande pour les fêtes prestigieuses qui réunissaient l'élite du pays, les régates historiques où s'affrontaient en habits de couleurs, les quartiers de la ville pour des joutes sans merci, plus de répit pour la terre qui frémissait en s'enfonçant dans la lagune froide.

Les plus malins n'avaient pas hésité une seconde, fuyant sans s'occuper de leurs biens par les ponts du Rialto et de l'Académia, comme si la peste s'accrochait à leur basque et que tous les démons de la terre réveillaient la terreur qui sommeillait en eux. Ils couraient encore quand, dans un mouvement progressif, la terre bascula sur le flanc, se coucha en se dressant par l'Est et se mit à s'enfoncer pour s'engloutir dans la nuit d'une eau qui reprenait ses droits. C'était comme si la terre s'ouvrait et dévorait le monde des hommes, engloutissait toutes les traces de sa présence.

Autant la Giudecca avait pris son temps pour sombrer, autant la glissade de cette nouvelle portion de Venise dans un abîme sans fond fut rapide, surprenant les habitants sur le pas de leur porte, en train de préparer leurs biens pour un exode définitif, persuadés qu'ils pouvaient encore sauver quelques maigres traces de leur passage sur cette terre en préservant leur vie. Ils n'avaient plus de choix, juste une fraction de temps pour une prière avant de rejoindre le monde des ombres. Une gigantesque clameur monta jusqu'aux nues, un cri poussé par des milliers de gorges terrorisées par l'inéluctable. Des mères se saisirent de leurs enfants, des vieilles femmes se signaient, des hommes se jetaient à l'eau et tentaient de nager pour fuir cette nasse dans laquelle ils étaient prisonniers. Si peu survécurent, si peu s'étaient préparés à affronter le dernier jour de leur éphémère existence que l'air bruissait de mille chants d'imploration, chacun réclamant la pitié d'un sauveur qui les avait abandonnés et ignorait leur détresse. On dénombra plus de deux cent mille morts en cette journée de révolte de la nature mais ces victimes étaient-elles toutes innocentes ?

La nuit fut interminable, de rares embarcations accourues des environs sondaient les flots à la recherche des vestiges de ce qui avait été le coeur d'une ville fière, dressée telle une sentinelle née dans la nuit des temps, qui avait assisté à la tourmente des guerres et des révoltes en se préservant de l'usure des siècles chargés d'histoire. Le pont de la Liberté qui reliait la terre ferme était encombré d'une population tremblante, fuyant en poussant des charrettes et des carrioles bourrées de colis et de valises remplies à la hâte. Quelques-unes , entravant la marche de cette colonne dévastée, furent versées dans les eaux froides. De grands feux rougeoyaient, illuminant la nuit de braises, des pleurs résonnaient en une litanie obscène, scandant les heures d'une oraison funèbre.

 

Au petit matin, alors qu'il semblait que plus rien n'arrêterait la marche du temps, c'est le dernier îlot de ce qui avait été Venise qui frémit et se convulsa avant de s'engloutir. Du Piazzale Roma à la pointe de Santa Maria de la Salute pour remonter jusqu'au Quartier San Polo, l'ultime corne encore émergeante entama sa course vers les profondeurs, se confondant avec la ligne froide d'horizon de cette lagune morte. Il n'y avait plus rien à espérer de cette cité, un gigantesque cimetière de toutes nos convoitises, du rêve de l'homme à dominer la nature, à la plier à sa volonté.

Des rives de Mestre, dans la clarté d'un soleil revenu, la nature enfin apaisée, les hommes pouvaient contempler le spectacle d'un bassin d'eau froide dans laquelle émergeaient, témoins des lustres passés, le cimetière de San Michele et quelques îles épargnées avec leurs dômes d'églises de guingois qui apparaissent incongrues à tous ceux qui percevaient encore la ville en surimpression de cette morne étendue désolée. Un pinceau fantasque avait gommé des siècles d'histoire, un architecte fou avait recomposé dans la frénésie d'une crise de démence, le paysage d'espoir d'une cité lacustre échappant au temps qui camperait éternellement tel un phare de l'humanité, un trésor serti entre la mer et le ciel, un repère pour guider l'homme sur les chemins de sa destinée.

Vous pouvez toujours vous rendre sur les rives de cette échancrure. Entre Chioggia et Jesolo, la mer a reconquit ses droits. Les oiseaux dessinent des trajectoires dans le ciel pur, croisant leur vol en poussant leurs cris de joie, les poissons sont revenus et glissent comme des vifs-argent, traits de lumière à la surface des flots sereins, ils volent au-dessus de l'onde, bondissant entre les vaguelettes qui rident le plan d'eau. Il n'y a plus de gondoles, les chants populaires des gondoliers ne montent plus dans le ciel pour charmer les touristes, il n'y a plus de touristes d'ailleurs et plus aucun bateau ne s'aventure dans ces eaux chargées de mystères qui rappellent tant de souvenirs à ceux qui ne veulent pas oublier.

Est-il possible d'ailleurs d'oublier Venise, cette splendeur qui rayonnait de mille feux ? L'homme n'a pas encore saisi quel étrange carnaval des dieux s'est déroulé dans cette semaine de septembre qui vit l'affrontement de tant de forces souterraines. Il sait qu'une partie de sa magie s'est évanouie définitivement et qu'il se doit de grandir pour apprendre à vivre avec les blessures ouvertes de son inconscient. En a-t-il encore le courage et la force ? Peut-il enfin devenir l'égal des Dieux ?

Il parait que la terre a tremblé du côté de San Francisco, que les oiseaux ont fuit le ciel de Tokyo et que la mer rugit d'étrange façon en se brisant contre les digues des polders néerlandais...

 

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Pourquoi écrire ?

Publié le par Bernard Oheix

Devant les thèmes paticulièrement scabreux de mes nouvelles et les descriptions parfois sanglantes et osées qui en parsèment les pages, nombre de mes proches me demandaient les raisons me poussant à me complaire dans le gore et le sanglant en étalant tant d'insanités au long de mes textes. Ce billet, situé en avant-propos de mes nouvelles, se veut une réponse. Sans les "mots" des autres mais avec mon vocabulaire, un essai maladroit de justification, une tentative désespéré de faire partager le sentiment d'injustice d'un monde dans lequel les droits sont violés et les plus faibles toujours méprisés. Que peut-on faire si ce n'est compatir... et ressentir l'injustice du monde !  Moi, j'écris et mes lettres tracent un chemin de révolte dans le vide. C'est ma seule arme !


Dans le domaine de l’horreur, la réalité dépasse largement la fiction et rien ne peut décrire la vraie douleur de quelqu’un qui souffre dans sa chair, dans son esprit. Les mots sont impuissants, les phrases inutiles, il ne reste que ce déchirement profond de l’être meurtri, cet impossible partage d’une souffrance indicible. Vous pouvez essayer de reproduire avec ce maigre alphabet les cris intérieurs, ils seront toujours assourdis, si loin de la crudité d’un hurlement qui doit jaillir en réponse au mal qui ronge.
Quand l’on regarde les actualités télévisées, quand on parcourt les feuilles d’un journal, plonge dans les reportages d’un magazine, on est appelé à croiser nos regards, nos pensées avec des évènements qui, chacun, représente une somme de douleurs et de drames incommensurables comme aucun scénariste, aucune fiction ne pourrait les rendre. Quoi de plus odieux que la situation au Darfour avec ses populations exterminées, ses enfants violés, cette faim qui dévore une partie de notre humanité ? Quoi de plus intolérable que ces femmes toujours voilées de l’Afghanistan, cette déforestation de l’Amazonie, la situation au proche orient, la haine du juif et de l’arabe, les ravages du sida en Afrique, le commerce de la chair en Thaïlande, le corps décharné d’un homme rongé par la drogue, le ventre vide et si gros d’un enfant au bord d’une route sans destination ?
Et pour tenter de comprendre ma démarche, établir un lien entre le regard apeuré d’un enfant au moment du sacrifice et celui de son bourreau fait-il de vous un propagandiste de ce drame ? Que peut-on découvrir derrière les prunelles exorbitées de l’auteur de cette sauvagerie barbaresque qui ne peut contrôler ses pulsions morbides et souffle sur les braises du cauchemar ? Existe-t-il un châtiment à la mesure de l’horreur accomplie ? Un million de victimes sous les yeux des occidentaux dans la région des grands lacs africains ont-ils valeur de symbole pour des sociétés repues dans leur conformisme et dans la paix illusoire de leurs frontières ?

Dans toutes ces histoires, dans les emballements de ces élans mortifères, il y a toujours en point commun la décapitation des élites intellectuelles et des artistes pour des raisons aussi contradictoires que le pouvoir absolu, la domination de la matière sur l’esprit, le refus d’ouvrir une porte sur l’avenir par les gardiens qui en possèdent les clefs. Tous ceux dont les cris peuvent devenir audibles deviennent suspects, tous ceux dont l’écho peut transformer la souffrance en actes et la dévoiler aux yeux du monde sont des dangers pour les maîtres de l’horreur qui campent sur ces ruines gorgées de douleurs.
Derrière le masque de la religion qui autorise toutes les vilenies, derrière les potentats nationaux, locaux, les caïds de quartiers, il y a toujours le goût du pouvoir, les intérêts privés, la raison de la force sur la force de la raison, histoire éternelle où le plus démuni est toujours la victime. C’est ainsi que se construit le monde, que s’érige l’histoire de demain, dans la frénésie des passions exacerbées !
Ce mal ne touche pas seulement le tiers monde, les pays de la faim, l’obscurantisme des sans espoirs, il gangrène les riches qui entretiennent cette pauvreté, il corrompt les nations arc-boutées sur leur sang, leur race, leur histoire falsifiée, leurs légendes frelatées de héros inutiles. Brecht déclarait : « Bienheureux les pays qui n’ont pas besoin de héros », il se trompait, il n’y a pas de pays heureux, il n’y pas de société « humaine », juste une gigantesque arène où la partition de la mort est la seule conduite que nous avons trouvée pour aller vers le futur en boitillant, cahin-caha, éclopés de la vie, perclus des drames que nous refusons de voir et d’entendre, parmi les millions de morts et de bouches avides qui appellent au secours désespérément sans que jamais on les entende.
Que reste-t-il de ces drames si réels ? Quelques photos jaunies par le temps toujours chassées par d’autres documents encore plus cruels, l’horreur n’ayant pas de frontières et reculant les limites de l’indicible, de l’inaudible ! Le sentiment confus d’un marasme avec en revers cette capacité de fermer les yeux, de clore nos oreilles, de fermer nos bouches afin de ne pas désespérer de nous-mêmes et de continuer à vivre malgré la cacophonie ambiante dans l’atonie la plus totale.
Il n’y peut-être rien à faire. Nous avons accepté la dérégulation sauvage pour une rentabilité à court terme et l’exploitation des plus faibles au profit des nantis, nous nous aidons d’une religion comme une béquille qui nous garantirait la vie éternelle en rémission d’une vie de souffrance, nous acclamons les forts et les portons au pouvoir en démissionnant de notre droit de contrôle, blanc-seing dont ils usent largement devant notre apathie, nous abandonnons notre planète à nos déchets, faisons mourir nos rêves parce qu’il est plus facile de se laisser porter par les flots tumultueux de nos faiblesses que de se battre pour une liberté qui ne serait pas seulement la nôtre, mais un bien de partage, un trésor commun qui impliquerait une vigilance de tous les instants. Il y a si peu d’humanité en l’homme que l’on peut désespérer de lui.
Alors que faire ? Le temps des révolutions est bien terminé, elles ont si peu accouché d’un monde meilleur que l’on peut légitimement s’interroger sur leur utilité. Fermer les yeux et rejoindre la grande masse de ceux qui privilégient l’illusion d’un confort parce qu’ils sont nés du bon côté de la frontière et ne veulent pas sentir la colère gronder dans le ventre de ceux qui n’ont rien ? Léguer à nos enfants un monde où le cancer de l’égoïsme se développe, tenter de vivre tout simplement ? Savoir que l’on a si peu de place et d’importance qu’il n’est nul besoin de revendiquer d’exister et de trouver un sens à sa vie pour aspirer au bonheur.

Peut-être un peu de tout cela ! Etre capable de dire non, de pleurer devant la souffrance des autres, de s’émouvoir et de rêver, de rire et de respecter. C’est par les mots que je veux lutter, en dessinant les contours d’un univers incomplet, en mettant en exergue les plaies de notre tissu social, les déchirures de nos rapports à l’autre, en décrivant la souffrance de la victime tout en tentant de saisir les revers cachés de celui qui commet l’irréparable, en riant de ne pas me prendre au sérieux tout en offrant la description de quelques moments d’inhumanité à la sagacité du lecteur qui me suit dans le parcours erratique de ces troubles si inhumains. Puisse-t-il partager un soupçon d’émotion et panser quelques plaies, puisse-t-il offrir un peu de réconfort à ceux qui en sont trop démunis.
Si le stylo était une arme, il pourrait venger bien des humiliés, si l’esprit primait sur la matière les larmes se fondraient en un océan de douceurs, si le soleil se décidait à briller pour tout le monde, les exclus se retrouveraient exposés à ses caresses. Les mots restent des mots, les idées des idées, mais la douleur est tangible, les blessures saignent et nous avons si peu de temps pour apprendre à grandir et aimer.
Voilà donc un chapelet de nouvelles qui ont pour but de vous étonner, de vous émouvoir, parfois de vous entraîner sur les rives escarpées de l’horreur au quotidien. Partageons-les comme le pain qui accueille ceux qui ont faim à l’issue d’une grande traversée du désert. Rappelez-vous, ce ne sont que des mots, des lettres de papier, des signes tracés sur une feuille blanche. Mais derrière ces mots, on trouve une réalité que même les phrases les plus sincères ne peuvent pas décrire : celle de millions et de millions d’êtres humains qui souffrent dans leur chair et dont les rêves sont bornés par l’ignominie de leurs frères.
De l’écrivain qui compose une partition définitive destinée à venger son talent méconnu au cerveau torturé d’un bourreau exécutant les victimes innocentes d’un génocide, d’un sniper se complaisant dans la brutalité et jouissant de la torture à une naissance en accéléré au bout d’un cordon qui s’avèrera comme un film en raccourci d’une vie incomplète, d’une malle bourrée de chefs-d’œuvre inconnus aux yeux d’une proie terrienne dans un café galactique, de Betty, hantée par les camps de la mort à cet enfant de la guerre à la recherche d’un ennemi fantôme, de tous ces personnages, il ne restera sans doute que l’amertume d’un monde à construire pour que vivent les hommes et qu’ils apprennent à se regarder comme des êtres humains, se détachant de ces liens tragiques qui les réunissent et sont le dénominateur commun de leur incapacité de vivre en harmonie.

Bonne lecture.

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2007, a(p)née nouvelle

Publié le par Bernard Oheix

Mes vœux…pour 2007.

Les hommes et femmes politiques enfin au service de l’être humain pour créer un monde plus juste.

Du travail pour nos enfants, un salaire pour l’espoir et des responsabilités pour s’inscrire dans une société qui avance grâce à ses jeunes.

Que la mort épargne les plus faibles et démunis, ceux qui n’ont pas encore pu rêver et ne connaissent du monde que son versant noir.

Que les savants s’inclinent, enfin, devant un principe de réalité… celui de notre planète qui souffre des effets pervers de cette économie dévorant la matière première en aliénant son futur.

Que chaque viol, violence, blessure et accident soit ressenti par les victimes comme par les bourreaux. A part égale de souffrance, on peut rêver d’un bras qui s’arrête au moment de frapper.

Que les patrons cessent d’être rétribués au prix des marges préservées pour leurs actionnaires en licenciant le personnel et qu’une prime leur soit offerte chaque fois qu’ils créent un emploi.

Que chaque larme ait son contrepoids en rires.

Que la solitude ne soit que le produit d’un choix et que chaque femme rencontre un homme, au-delà de la beauté de ses traits et de son intelligence : juste en partage !

Que les églises ferment leurs portes, les religions prêchent enfin la tolérance et les textes sacrés exposés dans les musées afin d’apprendre aux enfants à aimer leur prochain.

Que plus aucun coup de tête ne vienne affirmer le prima de la bêtise sur l’esprit et le corps : Zizou, je t’aime quand même… mais faut pas déconner, qu’est-ce qui t’as pris ce jour-là !!!

Que les beaux matins et la douceur hivernale ne soient pas la production d’un réchauffement climatique pernicieux. Je veux continuer à me baigner les 31 décembre et  1er janvier par plaisir et non par nécessité.

 

Enfin, que tout le monde, (moi y compris !) soit riche, beau et intelligent. Et que chacun écrive, peigne, danse, chante chaque jour de cette année 2007 comme si cela devait être le dernier jour de l’humanité... le plus beau !

PS : Et spécialement pour mes 59 bloggés (chiffre officiel au 31 décembre 2006), la santé, l’amour et l’argent avec un soupçon d’acharnement pour continuer à suivre mes pérégrinations dans le monde des mots !

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Voici un texte paru le 1er janvier 1983, à la Une du Courrier de l'Ain, comme une madeleine exhumée des tiroirs de la mémoire. A l'époque, je sévissais sur les rives de la Reyssouse en arpentant les étangs de la Dombe. J'étais jeune et déjà persuadé que le temps me mordait la nuque et m'en voulait personnellement. Je ne savais pas encore ce que vieillir voulait dire ! Je ne le sais toujours pas, mais j'ai vraiment peur maintenant !

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Bonne Année ….

Ce n’est pas parce qu’on n’est rien qu’il ne faut rien faire… ou ce n’est pas parce qu’on n’est rien qu’on peut tout faire !

Imaginons, né dans la nuit des profondeurs, ce gigantesque bang originel. Une contraction violente de l’espace dans le torrent tumultueux du temps infini. Une boucle libérant une énergie fantastique dans une cascade vertigineuse.

 

Galaxies, soleils, étoiles, planètes ne sont qu’un devenir dans cette vague déferlante.

Plus près, grains de sable déjà avec des filets d’atmosphère : le hasard malicieux.

Plus bas encore, des croûtes légères de pierre et de terre, minces parois qui filtrent les flammes, nous y sommes presque, pour de la chair et du sang.

L’homme, impondérable produit d’une alchimie involontaire vient de naître. C’est toujours un enfant, gavé de terreurs enfantines et dans ses cauchemars, le bang résonne douloureusement. Il s’en souvient, c’est sûr.

La terre est née il y a un an, jour pour jour, échos répétitifs d’un bang toujours premier.

Et chaque année, disons le premier janvier (mais c’est peut-être un autre jour !), le bang tonne de nouveau, toujours présent, toujours aussi violent.

Je vous vois. Vous avez 25 ans. J’ai 33 ans. Il a 56 ans. Prouvez-le-moi. Cherchons notre passé. Photos, articles, souvenirs intacts de dates et d’objets : objets sans histoire, photos qui figent le temps pour mourir avec lui, souvenirs troubles et flous. L’unité est illusoire.

Alors, vous vous projetez vers les autres, garantie de votre existence dans cet univers où chacun dépend d’un tiers invisible : classes sociales, civilisations précolombiennes, art primitif, classes d’âge, lieux de naissance, couleurs de peau, famille de naissance ou famille de coeur…

Il parait que c’est sûr. Il semblerait qu’il faille le croire puisque les autres le disent.

Mais au fond de vous-même, dans votre lit d’ombre, vous entrevoyez ce combat entre la vie et la mort, qui, tous les 365 jours de l’année, vous fait progresser vers votre point de départ : le bang ultime.

Et cela vous terrorise, comme l’enfant a peur de l’ombre.

Et chaque 1er janvier, résonne le bang originel que nous refusons d’entendre.

Et chaque année une nouvelle boucle revient faire un croche-pied au temps.

La spirale se resserre en nous. Quand cette spirale deviendra une étoile filante, nous saisirons que nous ne sommes rien, et nous aurons l’avenir et l’espace en nous… pour nous.

 

 

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