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Un festival pas comme les autres !

Publié le par Bernard Oheix

Voici donc un article paru dans l'excellente revue culturelle de la Côte d'Azur, La Strada (N° 295 du 4 juin 2018). Son  directeur, Michel Sajn, mon ami, m'a demandé de faire un papier sur le Festival du Film de Cannes. Avec 40 films au compteur j'avais peut-être, selon lui, une certaine légitimité à faire un bilan. Le voici donc... à vous de juger !

 

Un Festival pas comme les autres !

 

 

Et je ne parle pas seulement du virage de la sélection, des nouveaux auteurs qui font irruption cette année et de l’absence (justifiée ?) d’un lot  d’icônes récurrentes du Festival et plus généralement des américains…

Non, je parle aussi de la capacité extraordinaire pour un cinéphile lambda comme moi de faire son propre marché en voyant 40 films en 9 jours dont les 3/4 de la compétition, presque tous les films de la Semaine de la Critique, la majeure partie d’Un certain regard et quelques sélections de la  Quinzaine où autres catégories (cinema des antipodes, acid ect…

C’est le privilège accordé par le badge cinéphile à ceux qui refusent de monter les 24 marches du tapis rouge pour aller dans les salles périphériques de la Bocca prendre leur over-dose d’images du monde, de sujets brûlants et de visions paradoxales.

 

La sexualité déclinée

 

Et en ce mois de mai 2018, nous avons été particulièrement gâtés. Année du renouveau ? Peut-être, même si le cinéma produit par les témoins d’un monde en convulsion ne peut que refléter l’état d’urgence de notre société a entamer sa grande mutation vers un monde meilleur.

Deux thèmes vont parcourir ces films en écho d’une planète du 7ème Art, parcourant tous les recoins d’une planète bien étroite quand il s’agit de celle des idées, du Mexique au Japon, de la Russie à l’Egypte… Le premier concerne une déclinaison permanente de la sexualité sous toutes ses formes, du trans-genre à l’homo, de la passion assumée à l’indicible constat de son appartenance hors les normes. Toutes ces variations tentent de faire resurgir l’humain et sa fragilité derrière son sexe, de décliner une identité nouvelle brisant les tabous. Avec réussite et élégance dans Plaire, aimer et courir vite de Christophe Honoré où rode l’ombre du Sida ou chez Mario, le jeune footballeur épris de son coéquipier de Marcel Gisler. Il est plus tragique dans l’excellent Sauvage de Camille Vidal-Naquet (la descente en enfer d’un jeune prostitué drogué que rien ne pourra sauver, même les mains tendues) ou totalement déjanté dans le quatuor amoureux et savoureux de A genoux  les gars du réalisateur Antoine Derosières, ou une cité sert de laboratoire à l’apprentissage du sexe chez 4 adolescents. Verbe et jubilation ! Chez Ryusuke Hamaguch, Asako 1 et 2 va tomber amoureuse d’un garçon sosie de son premier grand amour Bakou… celui-ci fait un retour  dans sa nouvelle vie et va remettre en cause toutes ses certitudes… dans le formidable Shéhérazade de jean-Bernard Marlin, un couple improbable, lui jeune délinquant et apprenti proxénète, elle sa première pute, vont connaitre le grand amour jusqu’à briser tous les codes d’honneur de la délinquance en assumant le statut de « balance » pour que leur passion vive et s’épanouisse dans l’espoir d’un futur !

Mais c’est avec Girl du Belge Lukas Dhont que le Festival subira un de ses choc le plus poignant et émouvant! Une jeune fille mène de front son apprentissage de danseuse dans une académie de danse où elle martyrise son corps pour atteindre l’excellence et son chemin vers une transformation physique destinée à lui ôter les attributs masculins d’un sexe qui n’est pas le sien. Le jeune acteur Victor Polster habite ce personnage d’une grâce, d’une énergie et d’une certitude qui balaient tous les poncifs autour de cette mutation. Entouré d’un père aimant et d’une équipe médicale attentive, elle va provoquer le destin dans un acte final à couper le souffle ! Prix et interprétation pour l’acteur. Le choc du Festival !

 

L’enfance en filigrane

 

Le deuxième thème tourne autour de la situation des enfants et des adolescents, trop souvent maltraités, victimes et observateurs, dévoilant les injustices de leur environnement hostile. Parfois aimés comme dans la Palme d’Or (quelque peu sur-valorisée !) de Kore-eda, La petite famille où des enfants sont recueillis et deviennent des apprentis voleurs, où dans le formidable et injustement oublié du palmarès, Yomédine de Abu Bakr Shawky en orphelin compagnon d’un lépreux sur les chemins d’un voyage initiatique vers un passé douloureux. C’est l’enfant kidnappée qui provoque le drame de Everybody Knows de Asghari Farhadi, l’excellent film d’ouverture du festival, dont l’absence au palmarès est bien étonnante. Dans Wildlife de l’américain Paul Dano, c’est dans les yeux d’un adolescent que l’on voit le délitement d’un couple dans une société américaine désemparée et sans illusions. Les futur électeurs de Trump sont en gestation dans ce Montana des années 70… Dans Ayka, film russe de Sergey Dvortsevoy, l’enfant est abandonné à la naissance par une immigrée Kirghize au bord du gouffre, exploitée par des marchands de sommeil, des patrons véreux et pourchassée par des prêteurs sur gage qu’elle ne peut rembourser. Dans sa plongée vers l’horreur, elle va retrouver ce bébé pour se libérer de sa dette en le vendant aux truands…mais réussira-t-elle à s’en séparer ? Un prix d’interprétation féminine consacre ce film haletant et poignant où, dans un Moscou sous la neige, le sort des immigrés vient en écho de  leur situation dans tous les pays du monde ! Dans Capharnaüm de Nadine Labaki, récompensé par le jury, l’enfant intente un procès à ses parents pour l’avoir fait naître dans ce monde de souffrance et d’horreur pour les plus faibles.

 

La société française en miroir

 

Mais le festival de Cannes, en cette édition 2018, c’est aussi un formidable miroir à l’international d’une série de films Français renvoyant à la réalité si dure d’un pays qui cherche un sens à son avenir. Nos Batailles de Guillaume Senez et En Guerre de Stephane Brizé consacrent un genre bien politique du cinéma français. De la réalité à sa mise en fiction, ces deux films sur la dureté du monde de l’entreprise et la lutte pour survivre se voient comme des films haletants et des aventures humaines sans complaisance. Romain Duris et Vincent Lindon sont formidables en héros d’un peuple que la pression de l’entreprise et la logique de la rentabilité renvoie à la casse sociale des laissés pour compte ! Films avant tout.. même s’ils renvoient à un présent que nous aimerions bien voir changer !

Et notons que les évènements si proche de la Vallée de la Roya autour des migrants auront eu un écho dans deux films. La traversée de Goupil/Cohn-Bendit où le couple part sur les chemins de France à la recherche des racines de l’histoire contemporaine. Déambulation testamentaire des héros soixante-huitards, le film alerte le meilleur (la scène de l’ouvrier retournant dans son usine désaffectée, le retour aux chantiers naval de St-Nazaire) mais manque parfois de clarifications à des rencontres sans réponses (Ménard, Le repas avec les sympathisants du FN). Un des moments de grâce du film reste les interventions des habitants de La Roya confrontés au problème des migrants, l’humanité profonde qui se dégage de ceux qui vivent au contact de ces êtres perdus errants sur les routes du désespoir.

Et bien sur, en séance spéciale du Festival, Libre, le documentaire réalisé par  Michel Toesca avec Cedric Hérrou où pendant 3 ans, caméra à l’épaule, le réalisateur va suivre son ami et tous ceux qui se sont engagés au delà des clivages, pour assister et soutenir ces ombres qui marchent coincées dans cette vallée du Sud-Est par la loi des logiques d’état contre celles du coeur !

 

Voilà donc un panorama de ce qui vous attend dans les prochains mois sur vos écrans. 40 films visionnés en 9 jours sur les centaines de films présentés… c’est peu certes mais suffisant pour donner une image de la production mondiale. Et si les commerçants de Cannes tirent la gueule sur cette édition en constatant les chiffres d’affaires en baisse, les cinéphiles eux affichent le sourire satisfait d’une attente récompensée. Allez les les sélectionneurs, continuez à nous faire rêver et le monde de l’économie retrouvera les chemins de l’espoir !

Le Festival du Film de Cannes reste le plus grand évènement mondial du cinéma, n’en déplaise à quelques américains confiants  dans leurs certitudes !

 

PS : Et si vous voulez vivre un vrai moment de cinéma pur, pensez à aller voir dès qu’il sortira Artic, de Joe Penna avec au générique un Mad Mikkelsen éblouissant… et une actrice dans le coma qui ne prononcera qu’un mot de tout le film. Par contre, lui, dans ce rôle d’un Robinson Crusoé des mers de glaces s’en donne à coeur joie pour tenter de survivre. Du grand cinéma d’aventures dans des paysages fabuleux et qui repousse les limites du courage et de l’acharnement à ne pas sombrer !

 

PPS : Et je n’ai rien à vous conseiller pour Le grand bain, comédie jubilatoire de Gilles Lellouche avec un casting de folie. Ce sera le prochain grand succès de la rentrée (mérité) et vous vous régalerez comme tous ceux qui l’ont vu à Cannes. Vous rirez comme moi et comme la France entière aux déboires d’une cohortes de pieds cassés en train de vaincre leur destin de losers !

 

Allez, et bonnes toiles pour les amateurs de cinéma, là où il faut les voir, c’est à dire devant le grand écran d’un grand cinéma  !

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