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Réflexions sur le Cinéma

Publié le par Bernard Oheix

 
 En cette heure où nombre de jeunes considèrent que le cinéma ne peut être que parlant, en couleur, américain, et naquit avec le premier opus de la saga des Stars Wars, la visite du musée des frères Lumière à Lyon est un exercice salutaire et indispensable pour mieux comprendre quelle révolution représenta cette invention qui fit pénétrer de plein pied dans le XXème siècle.
 
Qui se souvient que le cinéma fut muet ? Qui connaît dans les générations actuelles, les films épiques d’Eisenstein, de D.W Griffith, l’humour de Buster Keaton, les écrits de Dziga Vertov, Les épures d’Ozu, les drames de Murnau, les revues de critiques cinématographiques que l’on s’arrachait, les livres sur l’esthétique du cinéma si complexes que l’on tentait de les comprendre tout en tirant des commentaires exaltés sur la nature du monde et le choc des idées… etc. etc.
Qui se souvient que Lénine parlait d’un art révolutionnaire et que Jean-Luc Godard insistait sur la « moralité » d’un traveling ? Que Truffaut alliait la critique au fer rouge et un cinéma d’émotions et de sensations ? Qui peut encore gloser sur « l’effet Koulechov » ?
Si l’on considère que le cinéma est jeune, (100 ans), alors, ceux qui ont dépassé la cinquantaine, (il y en a encore sur cette terre !), ont vécu la moitié de la vie d’une invention qui fit exploser le monde de la connaissance, de la découverte et du loisir.
L’effet image animée est une marque moderne banalisée depuis que la télévision est entrée dans le salon et la cuisine. Nous savons désormais que 24 images à la seconde introduisent le mouvement continu. Mieux, l’image ne se décompose plus, elle est, elle trône dans notre environnement, déversée dans l’indifférence d’une agitation perpétuelle, accrochant nos regards pour vanter des pubs criardes, sur les écrans de nos ordinateurs, des panneaux arrimés aux murs de nos cités. C’est cela l’image moderne dans l’indifférence d’une esthétique révolue. La pauvreté graphique des films américains pour les jeunes (Ah ! les fameux 15-25 ans des drive-in !) est un exemple de l’appauvrissement général de la capacité de lecture optique. Jusque dans les années cinquante, il y avait, dans l’absence de ce mouvement devenu général, des moments où l’image s’animait. Moment de recueillement choisi, la séance de cinéma de quartier, elle-même entrecoupée d’animations vivantes, concentrait les regards des spectateurs vers un lieu unique, l’écran blanc de tous les désirs.
Je me souviens de ces séances de ciné-club des années soixante, quand le coureur de fond de Richardson s’épuisait pour ne pas couper le ruban de sa solitude, les mains de Franju qui folâtraient sur les touches d’un clavier, les brumes alambiquées d’un Bergman sur la trace de forains énigmatiques, quand les cigognes passaient dans un ciel chargé de nos humeurs… Les discussions passionnées dans l’odeur d’un appareil vétuste, d’une arrière-salle d’un restaurant faisant office de cinéma itinérant et de ce drap immaculé vecteur de rêves, occupant notre espace et nous emplissant l’esprit d’un sel de la terre.
Elle est bien révolue cette période où l’on apprenait le cinéma en faisant ses gammes, en décryptant le fin réseau de signes qui ouvraient sur la connaissance. Aujourd’hui, l’on nait dans le mouvement des images, à son propre rythme, celui de dizaines de chaînes qui offrent le monde à la vision désenchantée de ceux pour qui le mystère a disparu ! Torrent tumultueux mêlant le meilleur et le pire, l’insipide et le chef-d’œuvre, le sit-com aux rires préenregistrés et la saga d’une science-fiction qui n’ose plus se projeter dans l’avenir ! Voix criardes, décors figés, objectifs impudiques. Plus aucun recoin de cette planète trop étroite à être ignoré, plus aucun événement qui ne soit scruté par l’œil impavide de caméras indiscrètes. C’est ainsi, il n’y a pas que le ruban de la mémoire qui défile dans les morsures du temps.
 
C’est en me promenant par hasard à Lyon, entre deux rendez-vous, que j’ai croisé le musée des frères Lumière. J’y suis entré en religion, comme à confesse, histoire de me faire pardonner ces heures que je passe, presque malgré moi, à la vision de séries américaines, de polars à la française, de jeux stupides où l’on ne gagne que le droit de s’abêtir en un dernier mot. Choc.
Une villa bourgeoise, un parc survivant des usines Lumière, des salles regorgeant des appareils qui ouvrirent le monde à la curiosité et préfiguraient cet univers de l’image que nous vivons désormais. Des photos rétro en relief, des inventions baroques, lanternes magiques, films en couleur peints à la main, bric à brac d’appareils de bois et de fer, rêves futuristes désuets. Partout dans cette villa cossue, on retrouve l’âme et la présence obsédante de cette famille qui révolutionna l’image que le monde avait de lui-même.
Dans les sous-sols, une salle est aménagée afin de projeter les premiers films de ces opérateurs qui parcoururent un monde inconnu pour l’ouvrir aux regards des autres. Petites bobines de 52 secondes, cette « sortie des usines » filmée plusieurs fois pour des mises en scène élémentaires, ce train de La Ciotat qui effraya des spectateurs tétanisés par un mouvement qu’ils ne pouvaient concevoir immatériel, ces reportages sur l’Afrique, l’Asie, bouts de rien où l’art du conte s’efforce de figer le mouvement mécanique. Un commentaire analyse chaque mètre de pellicule et met en exergue les innovations parfois nées d’incidents techniques ou de l’irruption d’un acteur vivant dans un cadre qui ne pouvait bouger. On parle alors des années 1890, de ces prémices d’un XXème siècle qui annonçait tant de peurs et d’horreurs que l’image ne pouvait être que muette en noir et blanc. Emotion et nostalgie où l’humour se prête à toutes les audaces dans un arroseur éternellement arrosé.
Dans une autre salle, le film du centenaire permet à une pléiade de réalisateurs contemporains de s’essayer à retourner aux origines du 7ème Art. Avec une authentique caméra en bois, chargeant ces mêmes rubans de pellicule de 52 secondes, ils vont fouler de leurs pas, ces chemins parcourus par tant d’illustres qui frayèrent la voie à leur cinéma. Wenders, Téchiné, Bigas Luna, Zhang Yimou, Rivette et tant d’autres… offrent leurs films en les commentant, cinéma dans le cinéma, mise en abysse d’un monde mystérieux où tout repart en arrière pour retrouver l’essence même du mouvement futur.
C’est cela le musée du cinéma de Lyon, un moment figé dans le glissement progressif du désir perpétuel. Si vous passez dans cette ville, n’hésitez pas, rendez-vous au cabaret des heures perdues, elles fleurent ce monde en train de s’évanouir dans la frénésie moderne.
 
PS : En écrivant ce papier, au moment de conclure, il me vient l’idée d’un concept à creuser : celui d’image sale et d’image propre. L’image sale serait le reflet de la réalité, renverrait vers une image brute, non sophistiquée, celle d’une télévision qui s’immerge dans le monde réel. En gros, les émissions de téléréalité, les jeux, mais aussi la plupart des séries américaines et françaises, avec en prime, une grande partie des films d’action, des polars, des productions pour le grand public. L’image propre serait une image façonnée au service d’une esthétique, une élaboration structurante, une composition volontaire qui transcende cette réalité et interprète le concret. Rien à voir avec une esthétique de la beauté, on parle bien de mise en scène. C’est émouvant cette pensée que la beauté naîtrait des forces qui sous-tendent l’action à l’intérieur même du cadre délimitant cette rupture avec la réalité !
Bon, je vous laisse méditer !
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