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Comment gérer l'impossible ?

Publié le par Bernard Oheix

 Le contexte. Une fête d'équipe pour célébrer un certain nombre d'évènements. La Pasta, restaurant à La Bocca, 30 personnes, la direction au complet, des conjoints et des enfants. Repas de sucres lents, de bonnes pâtes qui soutiennent après le festival de la Danse. Une façon de terminer l'année et surtout, d'honorer le départ de Séverine G, après 8 années passées au sein de notre équipe.
Je me devais de faire un discours. j'ai eu, comme disait Andy Warhol, mon quart d'heure de gloire ! Même si le contexte est un petit peu particulier, il est suffisamment provocant pour que je vous le livre en pâture. 
Bonne lecture et sachez lire entre les lignes....

Vous êtes tranquillement assis à votre bureau et Marie vous pourchasse, traque vos gestes, vous met la pression avec cette antienne… Bernard, les textes, Bernard, écris donc, il est temps de t’y mettre, de passer aux actes…Il faut pondre et produire comme si j’étais une tireuse électrique au pis d’une imagination féconde. Non ! Mais ! La création, ne se commande point quand même ! Ce n’est pas une mécanique sans à-coups, un simple robinet que l’on ouvre et qui voit s’écouler une crème fouettée. J’entends encore la litanie de Marie à mes oreilles sifflantes… Tu comprends Bernard, il y a les 50 ans de Nadine, il y a les 30 ans d’Eurielle, il y a le départ de Romain… Et puis il faut que tu penses à Nitya, à l’arrivée d’Aurélie, et puis il faut aussi…la nouvelle année, indispensable de la caser, et nos excellents résultats, tu avais dit que tu en parlerais…Et puis qui déjà ? Ah ! Oui ! Fais un beau discours pour Séverine, surtout ne l’oublie pas, elle !
Mais bien sûr que je veux tout oublier ! Et puis quoi encore ! Elle se casse, elle m’abandonne et je vais pleurer sur son sort… Et les deux autres qui vieillissent, vous pensez que c’est agréable à regarder les rides, les pattes-d’oie et peut-être même les seins qui tombent…Et la nouvelle année qui me rapproche de la tombe cela vous donne envie de rire de voir que je suis obligé de consommer du viagra pour ne pas m’endormir pendant les spectacles de danse ? Les bons résultats de nos spectacles, parlons-en ! 204 billets pour Rachid Taha… c’est parce que c’est un Arabe, sans doute ! 788 spectateurs payants pour un Suisse de merde qui avait soi-disant toutes les nanas de l’Evènementiel dans sa poche (dixit la directrice-adjointe) et Axelle Red à 400, cela vous chante aux oreilles… c’est à se demander qui s’occupe des relais et de la commercialisation…
Alors où en est-on ? De qui dois-je parler ?
Romain un jeune voyou qui a sans doute couché pour avoir sa mention presque très bien. Il nous nargue avec sa jeunesse, son sourire enjôleur et ses ronds de jambe à faire glousser les minettes de la direction. Il n’est jamais fatigué, se balade entre Barcelone et Cannes et à tous les coups va se trouver un job où il gagnera plein de tunes pour faire la movida !
Parlons d’Aurélie qui babille tellement qu’on ne s’aperçoit qu’en fin de journée qu’elle est là depuis l’aube à bosser sur les jeux et que la cinquantenaire exploite comme une esclave moderne. Elle courbe son joli cou devant l’écran de son ordi. Aurélie est certaine que nous sommes des intellectuels, mais c’est juste parce qu’elle vient d’arriver et qu’elle ne comprend pas grand-chose. Le temps se chargera de la décevoir.  
Nitya, l’ex-stagiaire persuadée qu’elle a tiré le gros lot en venant travailler dans ce Palais des misères et qui imagine que sa vie est devenue un gigantesque Festival de Danse. Fais le grand écart ma chérie et effectue quelques jetées, cela te permettra de retomber sur terre, l’attraction y est plus forte que tes désirs. Tu verras quand tu devras assumer la Belle de Cadix ! Tu en as pris pour 40 ans de galères dans ce bateau ivre.
Nadine, la cinquantenaire flamboyante, l’impératrice des jeux ! Dans vingt ans, elle comptera encore les stands à 92€ de jeunes créateurs aux âges canoniques et à la barbe blanche dont tout le monde se fout complètement et qui présentent des jeux stupides n’ayant strictement aucune chance de percer au vu du désert de leur intelligence. Pour se consoler, elle mangera des chocolats russes périmés en roulant les « r » comme Tatiana.
C’est pas grave, avec ses 20 printemps de moins, y a Eurielle la douce trentenaire qui est en train de galoper sur ses petites jambes dans les immenses couloirs du Palais à la recherche des résultats du scrabble perdu. Elle expliquera encore, quand les neiges auront fondu dans les glaciers des Alpes, à des musiciens anglo-saxons sélectionnés pour la Pantiero que le E204 n’est pas une drogue pour forniquer mais un formulaire de la sécurité sociale pour jouer sur une scène française. Elle entendra peut-être la douce musique de ses rêves lui murmurer qu’elle s’est plantée de chaîne et qu’elle aurait du zapper !
Vous trouvez que je force le trait, vous pensez que je regarde à travers le mauvais bout de la lorgnette. OK, si vous le dites. Mais regardez ce que vous allez devenir… Sophie qui entre en religion SEMEC en décidant de confier son destin à un olibrius… Résultat, après 19 années de douleurs, elle n’ose plus embrasser Stéphan Eicher après son show tellement elle est brisée par la fréquentation des directeurs artistiques. Pourtant, elle y croit dur comme fer à sa place de directrice-adjointe occupée à refaire des affichettes de couleuret des sempiternelles pubs qui n’ont jamais fait vendre la moindre place !
 Florence, ex-tuquette, condamnée à faire un enfant pour fuir son travail et qui attrape des boutons dès qu’elle lit une fiche de catering ou qu’on lui parle d’horaires de trains.
Marie qui se met à faire des fautes tellement elle corrige celles des autres et dont les 15 ans de boîte se résument à ce qu’elle soit devenue une experte en débourrage de photocopieur.
Jean-Marc, c’était un sportif, un footballeur, maintenant, devant sa télévision ce sont des ballons de pinard qu’il ingurgite pour oublier ses misères. Il se complet dans le noir et l’on voit sa tête émerger derrière son écran pour annoncer des catastrophes et déclamer des coûts exorbitants pour une technique qui ne fonctionnera jamais.
Hervé, il avait déjà le képi, désormais, il régente le vide des stands en moulinant des bras dans un Festival des jeux où la populace foule ses belles moquettes multicolores. Et quand il prend l’air, c’est les chiottes du Suquet qui se bouchent et empuantissent l’atmosphère.
Cynthia la stagiaire permanente, celle-là, on ne se rappelle plus quand elle est arrivée et on ne saura jamais quand elle doit partir. Une belle affaire, elle ne peut pas faire un pas dans le Palais sans recevoir des déclarations d’amour enflammées et se retrouver chez les keufs qui en repassent une couche !
Daniel, n’en parlons pas, c’est l’homme qui a tellement pris de pétards dans la gueule que quand il débarque à Montréal, on l’envoie directement à l’hosto pour se soigner et éviter la contagion ! Cela a du lui dérégler quelques neurones !
Et les filles de la presse, parlons-en ! Toujours à l’heure, ponctuelles et précises, investies de la grande mission de faire parler du programme de l’Evènementiel. Bernard, il nous faut une vedette pour faire une photo avec Nice-Matin, pour la conférence de presse avec nos 4 journalistes locaux et ces 8 radios que personne n’écoute. Comment tu n’as pas John Lennon, ou Alain Delon, c’est bizarre, pourquoi ?  Est quand donc programmes-tu un vrai artiste, par exemple, Sting ou à la rigueur Johnny Hallyday !
Marie-Ange, avec son nom de demi-ange, c’est la seule qui entrevoit son paradis. Elle nous quittera bientôt, elle l’a mérité sa rosette en chocolat à force de susurrer des conneries et de mentir effrontément au téléphone pour vendre des spectacles débiles comme si c’était des œuvres d’art, des huîtres perlières, des hommages à l’illustre Jean Sablon que tout le monde a oublié et dont tout le monde se contrefiche !
Bon, rassurez-vous, il reste encore quelqu’un qui doit en prendre plein la gueule… le Directeur ! Alors lui, c’est le pompon ! Il nous fait le coup du jeune qui s’y connaît et parle d’électro, de branché et d’ « in » comme s’il ne pouvait sentir son haleine fétide de vieux corrupteur, de pantin de la culture, de clown ridicule sans recul. Ah ! La noblesse du monde des idées, il nous en a parlé, et seriné, et même qu’à un moment j’ai failli le croire. Les utopies, le rôle indispensable de la Culture… avec un grand C… comme connerie plutôt !
Car maintenant, il faut que je vous le dise, moi qui ai passé 8 ans à vous supporter. Je me casse ! Je me tire ailleurs ! Je voulais être danseuse ! Travailler dans l’harmonie, sentir les bonnes vibrations. C’est ce qu’il m’avait promis le bougre quand il est venu me chercher à la FAC, ce subordonneur, qu’il m’a attirée dans ses rets. J’étais si jeune, pleine d’espoir. Je ne dis pas qu’au début je n’ai pas été sensible à son verbiage… comme à son ramage. Il savait y faire pour confier le boulot aux autres et nous donner l’impression que nous comptions, que nous avions une place privilégiée et que notre mission était capitale ! Alors vas-y ma petite Sève avec ton petit programme pour faire mumuse dans les écoles de petits pendant que je me prélasse dans des palaces en Chine, que je fais le cake dans des lacs gelés en Russie, que je danse des sévillanes en bouffant des paellas… le petit personnel bosse, trime, s’use à parcourir des kilomètres pour convaincre des ignares de prendre des billets pour des pièces de théâtre usées, de la danse vétuste… même pas programmer Françoise Murcia, il a voulu !
Et si encore j’avais pu le haïr !
Mais je vous le déclare, j’ai presque de la peine de vous quitter. Partir, c’est mourir un peu, non… beaucoup dans mon cas.
Je peux tout vous confier désormais. Malgré tout, j’ai aimé ce poste, j’ai aimé travailler avec vous, j’ai aimé apporter ma petite pierre à ce bel édifice, et si j’ai pu quelquefois, avoir, ne serait-ce qu’une légère influence pour que l’on n’oublie pas que la culture ce n’est pas seulement les grosses armadas, les machines sirupeuses, si j’ai pu attirer quelques mômes aux spectacles, et si j’ai pu vendre quelques places et faire rêver… alors je ne serai pas restée pour rien avec vous ! Et ma peine de me séparer de cette équipe en est quelque peu allégée.
Alors voilà, c’est l’heure de tirer le rideau. Pour moi, de m’engager dans un vrai pari, de casser mon confort et d’oser me retrouver avec un challenge sur les bras qui n’est pas piqué des vers. Pour vous de continuer, d’aller de l’avant et de maintenir, tant que vous le pourrez, une lucarne de culture au sein de ce beau palace clinquant qui résonne de toutes les convoitises.
Je vous laisse Nitya en cadeau d’adieu, je sais qu’elle saura se donner avec la même générosité que moi, je sais que le temps va passer mais j’aurai une vraie tendresse pour ces années passées à vos côtés. J’ai fait ce que j’ai pu, ce que j’ai pensé juste et si je m’envole vers d’autres cieux, c’est avec la certitude que vous êtes ma vraie famille !
Alors certainement pas un adieu… mais un au revoir et à toujours !
2007 va mourir, que vive 2008 !

Fin du discours. Au début les rires cascadaient. A la fin, le silence régnait et chacun avait l'émotion au coeur. 3 des filles pleuraient (je ne donnerai pas les noms !) et il faut reconnaître que c'est un de mes meilleurs scores. 
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