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Max Gallo, mon académicien et moi...

Publié le par Bernard Oheix

 

Bernard O., particulièrement ému en ce jour de retrouvailles. Près de 40 ans après, la rencontre avec Max Gallo me replongeait dans une période de jeunesse, quand mai 68 venait percuter toutes nos certitudes, que la fièvre pulsait des humeurs dans notre sang, que rien n’apparaissait impossible à des jeunes de 20 ans en train de s’affranchir des chaînes familiales et d’inventer un avenir radieux.

Frais, émoulu, bac en poche avec son corollaire… fuir le toit familial et obtenir sa liberté, faire des études à l’université de Nice, loger en résidence universitaire (Ah ! le charme d’une petite chambre que l’on investit de sa liberté !), étudier, un peu, faire la fête et draguer les filles, beaucoup, tout un programme pour cet automne 1969 où je débarquais à Carlone, la toute neuve fac de lettres, pour entamer mon parcours universitaire. J’avais choisi de faire de l’histoire, non par conviction, je l’avoue, mais parce que cela pouvait déboucher sur une maîtrise d’histoire du cinéma, le vrai objet de ma passion.

Cinéphile acharné, plongeant déjà dans un Festival du Film à Cannes qui nous permettait (la belle époque !), de rentrer par des portes dérobées, avec de fausses cartes de presse, en pleurant à l’entrée, rois de la débrouille devant un système tolérant pour ceux qui osaient mettre en avant leur amour du 7ème Art comme passeport vers les salles obscures.

Fac de lettres où mon professeur principal s’appelle Jean A Gili, grand spécialiste du cinéma italien, critique connu et respecté qui deviendra un ami, et un certain Max Gallo dont la réputation montait sur la colline inexpugnable des sciences littéraires dominant la Baie des Anges qu'il allait rendre célèbre.

Max Gallo est un tribun étonnant, il parle de l’histoire avec des mots qui donnent le désir de comprendre, d’ouvrir les portes du passé pour en saisir les mystères. Toute l’année, il va nous enchanter en brodant sur la révolution russe, Staline, Trotski, Lénine, la Nep et Kamenev, les sovkhozes et les koulaks …

Notre relation fut bien sûr éphémère. Il démissionna très vite de son poste de professeur universitaire pour produire des livres avec le succès que l’on sait. Entre-temps, il nous avait pris par la main et menés sur les sentiers de la découverte, quand l’histoire supposait que l’on réfléchisse, analyse et construise des modèles rigoureux.

Un peu coincé, je discute avec mon maître d'antan et le passé renaît, comme si le temps n'avait aucune importance !
Je me souviens de mon premier exposé avec lui. Je m’étais mis en tandem avec mon amie d’enfance, la belle Sylvie G. et nous devions analyser la succession d’un Lénine trop tôt disparu. C’était un exercice redoutable, nouvel outil pédagogique, la prise de parole n’était pas si fréquente dans ce monde où le silence régnait à la mesure de son âge et de sa place dans la société. Nous avons construit notre temps de parole et déroulé un argumentaire avec le brio de comédiens affirmés (Elle était aussi cabotine que moi, la Sylvie !) et quand nous terminâmes notre exposé, l’amphi applaudit vigoureusement notre performance.

Max Gallo nous réunit alors et impavide, nous tint ce commentaire.

« Mes chers amis, réduire la succession d’un Lénine à la tête des soviets à l’inimitié d’un Staline et de Trotski, frères ennemis consacrés, peut apparaître un peu réducteur quant à une analyse scientifique de l’histoire… mais vous avez commis ce péché avec tant de plaisir et de brio que je vous attribue un 14 sur 20, juste pour vous donner envie d’être plus rigoureux la prochaine fois ! Félicitations pour la forme de votre exposé.»

Max Gallo était ainsi. Un pédagogue passionnant sachant transmettre le goût d’apprendre et de devenir meilleur. Il m’a instillé, tout au long de cette année passionnante, le plaisir de s’ouvrir à des vérités apparentes pour mieux les contester, de traquer les fils d’une histoire pour en dénouer les nœuds et dénicher du sens dans ce qui ne semble pas en avoir. Je suis devenu un adepte de la pensée analytique et de la nécessité du raisonnement parce que des profs comme lui nous hissaient vers ces hauteurs, nous amenaient à regarder avec lucidité derrière les apparences.

Je n’avais pas revu Max Gallo depuis ces années. Il est devenu un romancier d’importance, un homme politique majeur, il a manqué l’élection à la mairie de Nice d’un souffle… Puis il s’est enfermé dans une rigueur dogmatique bien étrange avec un Chevènement atypique pour finir dans les bras d’un Nicolas Ier qu’il nous aurait dépeint sous d’étranges traits à l’époque où il n’était qu’un petit professeur à l’Université. Mais ce n’est pas grave… Et même s’il eût pu, à l’occasion d’une fête offerte par le maire de la Ville de Nice dans le cadre du Festival du Livre, se dispenser de certains propos sur la politique actuelle… cela n’aurait pas changé ma tendresse pour lui et mon émotion pour ces retrouvailles.

Je suis allé lui parler un peu intimidé, je me suis présenté comme un ancien de ses étudiants et je lui ai raconté l’anecdote de mon exposé. Il a ri. J’ai retrouvé ce timbre grave d’une voix inimitable, ces accents parfois pompiers toujours émouvants d’un discours qui l’amena à revisiter la Ville de Nice à l’aune d’un père débarquant d’Italie pour fonder une famille française de la tolérance. Max Gallo possédait toujours ce regard clair fureteur et cette voix chaude à conviction.

Qu’importe que l’histoire finisse étrangement dans les balbutiements d’une politique qui a les relents d’un drapeau rouge en berne… il restera à jamais mon prof génial, celui qui m’a aidé à vouloir être meilleur et me traça, avec d’autres, les chemins d’une liberté à conquérir par la force de l’esprit.

 

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