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La malle en cuir et l'enfant à naître

Publié le par Bernard Oheix

Les angoisses de la création, on connait ! La peur d'être père, on connait ! Alors quand les deux se conjuguent, attention, âme sensible s'abstenir.

La malle en cuir et l’enfant à naître

 Je poussais, tirais, m’escrimais sur cette énorme malle en cuir marron racorni, cerclée de lattes d’un bois dur comme la pierre, d’un poids qui dépassait toutes les ressources de mon énergie. Des petites roulettes grinçaient sur le trottoir de cette bourgade dans laquelle nous avions échoué par cet après-midi orageux d’un été indien. La poussière dans les yeux m’inventait des formes dorées qui faisaient danser au fond de mes pupilles les humeurs de mon sang. J’étais si furieux, si haineux du monde devant l’acharnement à contrarier mes désirs. Il m’aurait suffit de si peu, de ce poids d’une malle qui s’envolerait et  de retrouver ta silhouette comme avant, quand tu étais jeune et svelte et que ta taille tenait entre mes deux mains.

La vision de ce corps chaloupant les mains posées sur le ventre m’insupportait. Qu’avait-il bien pu se passer pour que cette amante qui se jetait à mon cou à toute heure du jour et de la nuit en improvisant des promenades célestes sur mon corps, se transformât en un informe amas de chairs distendues uniquement préoccupée à regarder croître ce têtard vibrionnant que j’avais injecté dans sa matrice soyeuse, un soir de contraceptif en panne. Et j’avais laissé faire cela, moi ? Où était la charmeuse de serpent qui me faisait miroiter le triangle noir de son impatience pour m’engloutir dans sa jouissance.

J’avais tout quitté des plaisirs et des responsabilités de cette terre pour devenir cet écrivain indispensable à l’équilibre du monde et je traînais derrière moi cette femme parturiente, enceinte de mes œuvres, et l’ensemble d’une vie d’écriture dans cette malle en cuir regorgeant de l’intégralité des 7204 pages écrites et refusées par l’ensemble des éditeurs de ce pays.

Le premier tome de mes 453 pages de mémoires, écrites à la plume d’oie et à l’encrier, puisqu’il paraît qu’une première œuvre est toujours autobiographique ce que j’avais décidé d’assumer et même de revendiquer, 4 romans dactylographiés de plus de 160 pages chacun, se situant dans la banlieue d’une mégalopole, avec comme protagonistes de jeunes délinquants à la recherche d’un amour sincère et érigeant une société sans contraintes dans un communisme primitif qui démontrait la profonde nature bénéfique de l’homme libéré des chaînes sociales et des lois asservissant l’individu. Des recueils de nouvelles, une saga sur une famille parcourant trois générations dans un petit village de l’Ouest américain, même si je n’y avais jamais mis les pieds, une thèse sur les dangers de la pollution et les excès d’une écologie subordonnée aux extrémismes, deux romans pour enfants et un porno gothique de 412 000 caractères qui mettait un moine du XVIIème siècle aux prises avec les nonnes endiablées d’un couvent qui s’imposaient le vœu du silence mais pas de la chasteté.

Il y avait aussi un journal regorgeant d’anecdotes sur le monde dans lequel j’étais plongé, d’innombrables articles envoyés mais jamais publiés par la presse inféodée aux intérêts des grands groupes capitalistes, 14 poèmes épiques formant la trame d’une histoire légendée de l’humanité et tant d’autres écrits à la force de mon sang, par cette vision qui me possédait d’un destin hors du commun, d’un talent que les autres me niait mais que je savais enfoui dans les tréfonds de ma personnalité. J’étais un écrivain aussi vrai que je te voyais ahaner en  roulant d’un bord sur l’autre, accrochée à tes espoirs d’enfantement, exhibant ton appendice comme pour signaler, si besoin était, que tu allais accoucher d’un monstre qui nous dévorerait le cerveau et nous sucerait la moelle épinière. Il t’avait, depuis ces 8 mois passés à rondir dans tes boyaux, déjà décervelée, jusqu’à te ramener à l’état animal, phagocyté par un mal mystérieux nommé instinct de maternité.

En attendant, elle était si lourde cette malle que cela en était une torture de progresser sur les pavés inégaux de Charlottesville vers cette pension qui devait nous abriter pour les quelques mois à venir : tu avais cet enfant à pondre et dans ma tête bouillonnait le récit épicurien d’un couple à la recherche du bonheur absolu qu’il me tardait de coucher sur du papier blanc comme l’espoir qui me poussait à persévérer dans la progression de cette malle si lourde, si pesante d’une vie incomplète.

Un ruisseau de sueur dégoulinait de mon front pour suivre la commissure des lèvres et tomber en gouttes régulières aspergeant alternativement les pavés et le devant de ma chemise où une auréole s’étalait, à la mesure de l’énergie que je développais pour trimbaler cette gigantesque valise. Dans un effort surhumain, je fis progresser ma malle maudite sur plusieurs dizaines de mètres, contournant l’angle de la rue et m’engageant vers la pension du soleil. J’ai entendu un cri, une voix angoissée clamant mon prénom, j’ai senti un souffle affolé me caresser le cou et j’ai tourné la tête. Je ne voyais plus rien, l’angle de la rue me dérobant l’agitation qui bruissait, faisant courir des vagues sombres d’autant plus inquiétantes que l’imagination suppléait les sens de l’observation. J’hésitais, ma malle en équilibre et je revins sur mes pas, passant ma tête par-delà le coude de la rue afin de percevoir la cause de ce tumulte.

Elle était allongée sur le dos, jambes écartées, une mare s’étalant sous sa jupe, elle haletait telle une chienne, geignant des « il est là, il arrive » comme une litanie de pleureuses dans une tragédie grecque où l’on discernait les syllabes de mon prénom en un doigt accusateur dévoilant à la face du monde, l’auteur et responsable de cet accouchement diurne sur un bout de trottoir d’une petite ville de province.

« Et merde, elle va quand même pas me le pondre maintenant ! » Et pourtant, elle avait bien entamé le travail et déjà une tête chevelue en forme de pastèque apparaissait dans l’ombre de ses cuisses. Plus de trente personnes s’étaient attroupées, tant pour jouir du spectacle en technicolor de l’arrivée de mon aîné, unique et spectaculaire progéniture, engagé dans l’acte final, que pour tenter de secourir l’enfanteresse en lui offrant les secours d’une population composite où tous les corps de métiers devaient pouvoir cohabiter et régler les problèmes de cette naissance impromptue.

 Je ne savais que faire, ma malle si précieuse abandonnée sur le trottoir, la mère de mon enfant en train de parturer derechef au vu et au su de toute la foule agglutinée, l’angle d’un établissement public comme un coin enfoncé entre les deux pôles de ma vie. Il a bien fallu que je me décide à quitter du regard le passé, mon œuvre d’antan, pour me pencher sur mon présent, ce petit d’homme qui gigotait dans sa frénésie de venir hurler à la face du monde sa présence irréversible. Une infirmière avait pris les choses en main et s’employait à distribuer les rôles en créant un semblant d’harmonie dans ce chaos généré par l’impatience du moutard intempestif et l’imprévoyance de la mère pondeuse. Je me suis penché et j’ai pu vérifier que c’était bien un garçon, ses grosses couilles rouges déjà en exposition, sa voix montant dans l’azur comme un diapason de tous les emmerdements qu’il commençait à provoquer à l’orée de sa courte vie. On me l’a déposé dans les bras que j’avais mécaniquement ouverts et je me suis retrouvé entravé, le visage rond et les yeux comme des boules du nouveau venu m’empêchant de surveiller ma valise.

C’était la première fois que je la perdais de vue et des images cataclysmiques hantaient mon cerveau, un trottoir vide, une malle envolée, mes feuilles manuscrites volant dans le ciel en tourbillonnant vers les nuages gorgés de pluie qui délavaient l’écriture et emportaient mes rêves dans un ruisseau d’encre. Je tremblais de peur et les adultes qui m’entouraient avaient la larme à l’œil de me voir si ému avec ce spermatozoïde géant dans les bras. «  Ma valise, ma malle, est-ce que quelqu’un peut s’en occuper ? » Mon interpellation disparut dans le caquetage alentour, chacun commentant à sa manière le miracle éternel de la conception.

Je sentais la panique me gagner et sans hésiter, devant la crainte du pire, j’ai niché mon fils éternel contre la poitrine accorte d’une rentière en mal d’amour et j’ai pu foncer enfin vers l’angle qui me dérobait la vision de ma malle orgueilleusement dressée dans les rues de Charlottesville, guettant la fin de cette phase natale pour retrouver son maître et unique lecteur. Las ! En lieu et place de mon monument, de cette stèle érigée en mon honneur, un vide de sinistre augure trônait sur ce trottoir de l’infamie. On m’avait dérobé la malle pendant la naissance de cet enfant du bonheur.

7204 pages disparues drainaient de la glace dans mes artères, un froid insidieux qui me paralysait, l’impression d’une fin absurde où tout était écrit sans qu’aucune rémission ne soit possible, un destin vers lequel je me précipitais, tête baissée, avec cette certitude que je l’avais pressenti. Je sais maintenant qu’au moment d’abandonner cette malle en cuir si précieuse pour me précipiter au chevet de cet intrus qui venait me perturber, je sais que j’ai perçu ce piège létal, ce traquenard que me tendait la vie…et que je n’ai pas su réagir et me protéger.

Un vent chaud se mit à tourbillonner, faisant voleter la poussière, asséchant les gorges, enrobant la scène d’un halo qui nimbait d’irréalité cette absence si cruelle. J’avais les tempes qui résonnaient, tam-tam lancinant qui pulsait mon horreur, le regard fixe, incapable de bouger et de prendre une initiative. 7204 pages de ma vie gommées comme si je n’avais pas existé, des pans entiers de ma mémoire brûlés vifs dans un autodafé sanctifiant la naissance du nouveau sur les décombres du monde ancien, des millions de mots s’évanouissant dans la fournaise d’un Lucifer qui se jouerait de moi comme d’un pantin désarticulé. J’étais fou de rage, et je la contenais de moins en moins.

J’ai reculé jusqu’à me retrouver sur le rebord de l’arête qui séparait le trottoir vide de ma malle en cuir de celui de l’attroupement autour de cette femme qui venait d’accoucher de mon enfant. J’ai  vraiment eu la haine.

Mécaniquement j’ai sorti mon revolver et j’ai armé le chien. Je tendais le bras et j’ai tiré à cinquante centimètres au-dessus de leurs têtes pour les faire fuir. Ils se sont égaillés tels des moineaux apeurés en hurlant des mots que je n’entendais pas. Je voyais bien leur bouche ouverte, mais rien n’en sortait, juste ce bruissement de la balle, ce fil tendu qui me reliait à cette forme accroupie qui tentait de protéger son enfant. J’ai visé posément et je lui ai tiré une balle dans la tête : je ne voulais surtout pas que l’on puisse dire que je l’avais fait souffrir. Elle s’est arquée et un flot bulbeux a jailli de sa boîte crânienne explosée. C’était propre et sans bavure et j’allais m’en aller quand un cri strident de nouveau-né a percé la muraille du silence qui s’était érigée autour de moi. Comme un coin d’acier, le hurlement est venu se ficher dans ma perception de ce monde ouaté, blessure au fer rouge qui s’enfonçait à la base de mon cerveau pour remonter vers le lobe occipital. Il se rappelait à mon souvenir et je l’ai saisi par les pieds, petit lapin agité, j’ai enfoncé le canon dans sa gueule ouverte et j’ai appuyé sur la détente. Un tout petit geste pour un être qui avait si peu vécu que le monde ne s’apercevrait même pas qu’il n’était apparu que le temps d’un éclair.

Je suis retourné vers ma malle absente. Je voyais des centaines de pages roulées par le vent, des extraits de ma vie zigzaguer d’un bord à l’autre de la rue, des paragraphes noirs se délaver dans le ciel d’azur, j’ai attendu les sirènes, j’ai tendu mes mains pour leurs bracelets de nickel, j’ai atterri dans cette prison de pierres blanches et j’attends que le temps volé me soit rendu.

Je ne touche plus un stylo, je n’écris plus rien. Mon passé s’est évanoui et je n’ai plus de futur, alors je contemple mon présent vide et j’évite de me raconter des histoires, j’aurais si peur de me retrouver avec moi-même.

 

 

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F
HARA-KIRI  l\\\'artiste  ... brûlée  la gâchette  habile à décreer son amertume ou ses peurs ! HARA-kiri hiératique fait de l\\\'ombre à Babel dans un ciel vide...le dégommeur de tête est un dévoreur et grand samouraï de la plume qui remue sans cesse viscéral et sauvage...c\\\'est cet onguent  foudroyant qui le sacre  le sépare et le broie...le chien de l\\\'artiste ,charme chic a remplacé le silex et il fractionne ses rafales...l\\\'artiste HARA-kiri né de multiples fois recoud son petit homme dans sa matrice de poche, sa fabrique poétique ...en guise d\\\'épitaphe il l\\\'appelle concetto et c\\\'est ce trait cette pointe qui broie son ventre malgré la fin, ce fantasme imaginé fleur au fusil qu\\\'il peint rupestre sur son rocher...lui le sisyphe écorché de paroles porte son enfant de haut en bas et crie hara-kiri éternel sa longue paternité...<br /> tonton ton histoire chantant dans ma tête je pars  travailler
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