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Le Grenier de la mémoire 3 : Tacchino et le Suquet !

Publié le par Bernard Oheix

Depuis 1986, j’avais la responsabilité de l’organisation des Nuits Musicales du Suquet, un Festival de musique classique se déroulant en juillet. En 2011, la direction du Palais me demanda d’en assurer la Direction Artistique en lieu et place de Gabriel Tacchino, l’enfant du pays, pianiste, et créateur de la manifestation… 35 ans plus tôt !

Las, cette annonce mit le feu au poudre, orchestré par le Directeur « On m’a traité avec inélégance ! » et une poignée de fidèles de l’ancien fils prodige de Cannes, quelques vieux cacochymes supporters encore vivants qui envoyèrent des bordées de lettres à Nice Matin me trainant dans la boue !

J’ai répondu d’abord par une lettre à Nice Matin qui ne fut jamais publiée (cf plus loin la copie) et par la suite en assurant la programmation jusqu’en 2016 date à laquelle je mis fin à mon aventure professionnelle cannoise !

J’en tire une grande fierté tant par la programmation proposée dont quelques « stars » moderne du classique (Fazil Say, Laurent Korcia, Chilly Gonzales, Nigel Kennedy, Brigitte Engerer, Bruce Brubaker…) mais aussi la musique corse sacrée, Africaine classique, un hommage à Théodorakis, …et même un groupe de rock local (Human Théoréma) sur les créneaux découvertes de 19h, quelques œuvres avec récitants (Francis Huster, Daniel Mesguich, Marthe Villalonga), William Sheller en piano solo, Jean-Louis Trintignant avec ses poèmes libertaires en musique, une soirée Grand Corps Malade, Juliette, quelques créations avec des projections visuelles (Hommage à Albert Camus, Mozzartissimo, Ivresse de l’opéra)…

Une aventure exaltante qui se conclut le 23 juillet 2016 avec une Passion guitares somptueuse où les plus grands solistes, (tout genre confondu) vinrent communier : Roland Dyens, Juan Carmona (dont j’avais programmé la Sinfonia Flamenca), Laurent Korcia, Nono, Michel Haumont, Jean Claude Rapin (le coordinateur de la soirée), Vincent Absil, tous mes amis de la vie, servis par la voix sublime d’un Nilda Fernandez crépusculaire.

 

Voilà, je voulais prouver, modestement, si besoin était, que la musique classique n’est pas en dehors de l’espace de la culture vivante.

Elle en fait partie, elle en est l’âme même, car toute musique classique a été moderne à un moment de son histoire.

Je voulais aussi amener un nouveau public, plus jeune, plus curieux, des genres ouverts sur la culture du monde, la technique moderne de projection sur les vieilles pierres du fronton de l’église…

Mais avant tout, je voulais casser le sacro-saint rituel de l’artiste en queue de pie, du salut calibré, du silence cérémonieux du concert…

Je crois que j’ai réussi quelques belles soirées même si la prise de risque inhérente à mon projet m’a amené à me « planter » en de rares occasions, avouons-le ! Souvenir cuisant d’un Mozart versus Salieri, excellente idée au départ née dans mon cerveau enfiévré qui déboucha sur une Bérézina musicale…mais on ne se refait pas !

Et pour finir, une petite anecdote. Pour ma première édition des Nuits Musicales du Suquet, j’avais programmé en ouverture Brigitte Engerer avec l’Orchestre De Cannes dirigé par Philippe Bender.

Pendant les essais techniques, Gabriel Tacchino, visage fermé, se pointa et sans me dire bonjour, se rendit dans la loge de la Diva qu’il connaissait très bien où il resta une bonne heure à parler avec elle.

A 21h 15, dans la clarté déclinante et les derniers hurlements des mouettes, sur la scène du parvis de l’église, Brigitte Engerer dans un programme Schumann, embarqua le public pour un long voyage en pays des merveilles.

Concert terminé, comme à l’habitude, l’artiste vint souper avec l’organisateur, en l’occurrence, votre serviteur. Assise en face de moi, elle me regardait d’un œil scrutateur et au bout d’un interminable silence me lança :

  • Alors c’est vous qui avez eu la peau de Gabriel… Mais quelles sont vos compétences pour programmer de la musique classique ?
  • Madame Engerer, je suis directeur au Palais des Festivals de Cannes de la programmation depuis 20 ans et j’ai programmé près de 3000 spectacles dans ma vie. Du théâtre… mais je n’ai jamais été comédien, du cirque, je n’ai aucune formation de circassien, de la danse, je n’ai fait que 6 mois de danse dans ma vie, de la magie, mais je suis incapable de me transformer en quelqu’un d’autre ! Alors j’imagine que je vais pouvoir m’en sortir ! La preuve, je vous ai programmée ce soir et demain j’aurai Laurent Korcia, mais dans un programme moitié classique (les 4 saisons de Vivaldi) et moitié musiques du cinéma… Normal, on est à Cannes !

 

Elle a éclaté de rire, a pris son verre de vin et trinqué avec moi… et nous avons passé une charmante soirée. Après le repas, pendant que j’emmenais sa fille faire un tour de moto vers la pointe de l’Estérel, (elle en rêvait !), elle nous a attendu au Casino de la Napoule en jouant aux machines à sous. Elle m’a embrassé au moment où je lui remis en main propre sa si sympathique fille.

Et l’aventure des Nuits Musicales du Suquet commença avec cette bise, pour mon plus grand bonheur, et je l’espère, la satisfaction d’un public qui vint à mon secours conforter l’idée que je me faisais d’une programmation classique… mais pas trop !

Le Grenier de la mémoire 3 : Tacchino et le Suquet !
Le Grenier de la mémoire 3 : Tacchino et le Suquet !
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