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culture

Paris-Théâtre, octobre 08.

Publié le par Bernard Oheix

Paris. La saison théâtrale est morose. Une Plongée dans les salles afin de dénicher les pépites de la programmation 2009/2010 s'impose. Beaucoup de pièces, des heures dans l'inconfort général, mais aussi des rencontres, mes amis Yves Simon, Nilda Fernandez et une auteure, Agathe Fourgnaud, le talent à l'état rebelle. Les nuits sont trop courtes pour faire le tour d'un monde en folie. C'est bien de rêver aux lendemains !

 

11 et 12 octobre. Riccardo Caramella « Bon anniversaire, Maestro Puccini ». Salle de la Licorne. Cannes.

On connaît le talent du pianiste, on connaît moins la verve gouailleuse du conteur. Riccardo a cette capacité de rendre la musique accessible, de désacraliser intelligemment les grands compositeurs en leur réattribuant un peu de chair. On passe ainsi de morceaux de musique exhumés, d’essais qui deviendront au fil du temps de véritable bijoux, en suivant l’histoire de leur composition et en accrochant des pans de moments vécus comme des perles.

Petit exemple narré par Riccardo Caramella.

Rossini envoie pour noël un « panettone » à ses amis et s’aperçoit que sa secrétaire l’a expédié à Toscanini, qui est à New York, alors qu’il vient une nouvelle fois de s’embrouiller dans cette relation d’amour et de haine permanente qui les caractérisera. Il décide de lui envoyer un télégramme. « -Panettone envoyé par erreur. ». Il recevra le lendemain une réponse de Toscanini. « -Panettone, mangé par erreur ! ».

La soirée s’écoule ainsi, entre la mélodie et l’humour, avec un zeste d’émotion quand Riccardo parle de sa vie, des actions humanitaires qu’il mène et le conduisent à rendre un peu de cet amour et de l’argent à ceux qui l’ont tant aimé sur les scènes du monde entier.

Que le chœur flotte un peu, que le baryton tombe malade et le ténor dérape parfois n’a alors que peu d’importance. Il reste une belle énergie, un désir de contrepied, une démarche atypique avec un cœur gros comme une tranche de vie pleine de surprises et de tendresse.


Bernard avec Puccini. Présentation du concert de Riccardo Caramella.

15 octobre. Le diable rouge. Avec Claude Rich et Geneviève Casile. Mise en scène Christophe Lidon. Texte d’Antoine Rault. Théâtre Montparnasse.

J’avais accueilli avec beaucoup d’enthousiasme la précédente pièce d’Antoine Rault, Le Caïman avec Claude Rich portant sur la vie d’Althusser et le meurtre de sa femme. Changement de décors avec cette pièce historique portant sur l’agonie d’un Mazarin malade, tentant de s’accrocher aux lambeaux de son pouvoir devant la montée inexorable d’un Louis XIV qui entame son ascension vers les sommets de la gloire. Belle pièce d’une facture classique, parfois un peu trop dans sa scénographie, mais dont le texte fait ressortir la fascination des hommes de l’ombre pour la lumière de l’exercice du pouvoir. La mère de Louis XIV est la témoin de cette passation qui enterre aussi sa propre volonté de régenter le roi. Louis XIV va ainsi se libérer de ses chaînes et concentrer le pouvoir entre ses mains. Fin d’une période, début d’une ascension, Claude Rich est parfait dans son cabotinage de vieux despote tentant de sauver quelques bribes de sa puissance d’antan. Un beau moment d’histoire dans une langue fleurie.

 

16 octobre. Le malade imaginaire. Avec Michel Bouquet et Juliette Carré. Mise en scène Georges Werler. Théâtre de la Porte St Martin.

Un texte qui sonne si présentement, en écho de tant de nos angoisses, maladie chronique d’un mal de vivre, Michel Bouquet est l’incarnation de cette mort au travail qui hante tout acteur qui s’empare de ce rôle au souvenir du grand Molière agonisant sur scène. Fragilité insoutenable de l’être humain, profondeur du personnage de théâtre et d’une distribution parfaite. C’est un chef-d’œuvre de sensibilité, d’humour et de drame. Il n’y a rien à dire, juste baisser son chapeau et dire à un Bouquet crépusculaire, merci pour votre carrière, merci pour cette illumination d’une œuvre qui continuera à traverser l’histoire des hommes par sa férocité contre les savants, son mépris des conventions et la force désespérée de l’amour. Vive Molière !

 

17 octobre. 15h Café de Flore. Rendez-vous avec mon ami Yves Simon.

 Deux heures pour nier le temps, parler du monde et se percher sur un fil d’amitié parcourant des vies d’hommes. C’est beau le partage des rêves, les interrogations multiples et le regard convergent vers la réalité. Deux heures passées à la vitesse d’un songe d’harmonie.

 

18h30. La divine Miss V… Avec Claire Nadeau. Texte de Mark Hampton et Mary Louise Wilson. Mise en scène de Jean-Paul Muel. Théâtre du Rond-Point

Tout est beau, les décors rouges, la mise en scène précieuse, le jeu sobre de Claire Nadeau… mais au fond on s’ennuie un peu ! Les états d’âme d’une miss vieux siècle, impératrice de la mode, ex-rédactrice de « Vogue » nous indiffèrent. On peut épiloguer sur le personnage et trouver des résonances au monde moderne, rien n’y fait, je m’ennuie ferme et en plus, j’ai sali mon beau pantalon avec la gomme d’un scotch qui colmate le dossier bringuebalant du siège qui est devant moi. Il ne fait pas bon avoir de grandes jambes à Paris, même au beau théâtre du Rond-Point.

 

21h Sans Mentir. Texte de Xavier Daugreilh. Mise en scène José Paul et Stéphane Cottin. Théâtre Tristan-Bernard.

Une future pièce culte d’après Gérard Miller. Bon, moi je veux bien. Peut-être que les acteurs ont eu un coup de calcaire, ou bien que j’étais toujours avec Yves Simon, ou que sais-je encore… Mais rire à ce vaudeville sans saveur ni rythme aurait été un exploit. Sur une trame éprouvée, le mensonge qui en entraîne d’autres, (cf, Stationnement alterné, Chat et souris, Espèces menacées et tant de bijoux), l’auteur s’épuise, les acteurs s’agitent et rien ne se passe si ce n’est un sentiment de grande solitude. Et puis mon pantalon salle, fallait pas déconner, non mais !

 

18 octobre. La journée des dupes. De Jacques Rampal. Mise en scène Yves Pignot. Théâtre 14.

Surprise. Dans une langue en alexandrins fleuris, Louis XIII malade, attaqué de toutes parts, sous la pression des intégristes catholiques, d’une Espagne et d’une Autriche aux aguets, va confier le pouvoir à un Richelieu omnipotent pour asseoir sa royauté et ne pas succomber aux affres d’une nouvelle guerre de religion. 20 ans avant le Diable rouge, par les hasards d’une programmation, les deux couples de pouvoir se trouvent renvoyés en écho, l’un en image inversée de l’autre. Louis XIII est malade même s’il est lucide et fait le bon choix de confier les rênes du pouvoir à un Richelieu rayonnant, Louis XIV est fringuant, il dévore la vie et abandonne Mazarin dans ses rêves d’une puissance révolue. Au milieu, naviguant d’une pièce à l’autre, Anne d’Autriche, femme séditieuse de Louis XIII devient la mère d’un Louis XIV dont elle n’accepte pas qu’il la rejette pour exercer son pouvoir en solitaire.

Etrange paradoxe de deux écrivains contemporains qui font revivre deux pages d’histoire séparées par une poignée d’années avec un personnage commun vu sous deux angles différents. La mise en scène est très théâtralisée, le rythme parfois un peu lent ne gêne pas la tension d’une histoire en train de revivre sous nos yeux.

Ainsi donc, deux auteurs contemporains, dans une démarche parallèle, exhument deux tranches d’histoire, le personnage de la femme du roi Louis XIII de la première pièce devenant la mère de Louis XIV dans le deuxième. Dans la même ville, la même saison, un pied de nez au hasard qui donne furieusement le désir d’aller jusqu’au bout de cette concomitance : une  programmation à Cannes la saison prochaine… dans l’ordre chronologique !

 

Francis Lalanne ayant une extinction de voix, je serai donc privé du plaisir extrême d’assister à Lorenzaccio. Tant pis ou tant mieux, c’est selon !

 

19 octobre. 15h. Elle t’attend. Avec Laetitia Casta, Bruno Todeschini, Nicolas Vaude. De et mise en scène de Forian Zeller. Théâtre de la Madeleine.

Bon, je veux bien. Un mec capable de quitter sa femme pour la Casta, cela paraît tellement normal… mais qu’il la laisse tomber en pleine présentation à la future belle famille pour retourner chez la mère de ses enfants, non, là, ça déconne vraiment ! Elle est trop belle notre effigie corse. Elle a une chute de « rein » à faire apparaître les chutes du Niagara comme une aimable plaisanterie, des fesses pour ne pas dire un cul, sublimissimes, un torse à damner un « sein » et même le bout d’un téton apparent qui illumine la pièce d’une aréole boréale. Mais à part cela, c’est long, verbeux, inutile, désespérant d’une platitude inversement proportionnelle à la beauté des courbes de l’héroïne abandonnée. Les acteurs font ce qu’ils peuvent, le décor est beau mais l’argument tenant sur un papier à cigarette ne nous fera pas fumer le cerveau. Loin s’en faut ! Tout est plat, sauf bien sûr les formes de Laetitia, et ce n’est pas une mise en scène poussive qui relèvera l’électroencéphalogramme désespérément étal de cette pièce terriblement française où rien ne se passe que l’attente d’un rideau de fin tombant enfin sur notre espoir de rencontrer et de garder auprès de soi une Laetitia Casta au demeurant bonne comédienne.

18h. Sérial Plaideur.De et avec Jacques Vergès. Théâtre de la Madeleine.

Cela commence par une brillante démonstration sur la notion de culpabilité, sur le rapport entre le théâtre et la justice. Cela enchaîne avec une application plus concrète sur des cas de figures contemporains et sur des procès que l’avocat a vécus, cela aboutit parfois à de vrais moments d’humanité. Vergès nous prend par la main et nous balade, suspendus à son verbe brillant, entre les horreurs de la réalité et la nécessaire prise en charge de celles-ci par une société qui les engendre et se doit d’en traiter leurs auteurs avec compassion.

Pas d’ambiguïtés dans son discours, le mal reste le mal, mais son traitement ne peut et ne doit se résoudre à se situer sur le terrain de ceux qui ont porté le fer de l’horreur. Parfois les ailes de la tendresse effleurent et certains personnages qui viennent le hanter sont si cruellement humains que l’on se prend à avoir de la commisération à défaut de tendresse pour eux.

C’est brillant, enlevé, cela fourmille de notations, de références historiques et philosophiques. On aurait aimé avoir Jacques Vergès comme tuteur, prof ou maître, on se contentera de ce beau moment d’intelligence dont on émergera avec l’impression de mieux comprendre la réalité. Et ce n’est pas les faiblesses d’une maigre mise en scène et le jeu physique gauche d’un Vergès qui pourront contraindre son verbe à plier devant les impératifs d’une mise en spectacle accessible à tous.

Si l’avocat tribun a 20/20, si l’analyse de texte est parfaite, cette faiblesse de l’acteur Vergès rend d’autant plus attachants, authentiques, sa démonstration et son plaidoyer pour une justice plus humaine. Non-coupable, avec les félicitations du jury populaire, le public !

 

Une dernière bière avec Nilda Fernandez, mon pote qui m’a rejoint pour cette ultime pièce de mon périple parisien, quelques discussions sur des projets à venir et le rideau se ferme sur cette semaine de spectacles et de rencontres. Si les pièces sérieuses semblent tout à fait séduisantes et programmables, je vais avoir quelques problèmes avec les comédies. Peut-être est-il trop difficile de faire rire quand le monde vacille sous les coups d’irresponsables qui nous ont menés à la ruine. Il faudra bien panser les plaies de notre économie mais rassurons-nous, tous ces tsars de la finance et de la politique, une fois la crise dénouée grâce à notre argent public, resteront en place, accrochés à leurs privilèges et pourront alors nous expliquer de nouveau comment fonctionne le monde et combien il faut travailler plus pour gagner moins !

 

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Iggy Pop et les Stooges

Publié le par Bernard Oheix

L’Iguane à Cannes pour un concert unique en France, entre Budapest et la Russie, on en rêvait, le public l’espérait, tout le monde en avait peur…moi aussi, et pourtant, on l’a fait ! Introduire en crime de lèse-majesté dans ce lieu chargé de toutes les images glamour des stars du Festival du Film, une bande de fous furieux qui ont inventé tous les délires du rock, précurseurs du punk et rois des premiers pogos, fallait oser ! On a osé !

 

Salle bourrée à craquer pour une première partie, Eon Megahertz, groupe local transcendé par cette opportunité de réaliser la première partie de leur idole. Un set nerveux et noir, batteur épileptique, guitare et basse à « donf », un « hard » à faire vibrer les murs du Palais, petites minettes en jupettes lamées argent et cheveux d’or en clin d’œil pour booster le « merchandising » et danser sur scène. Un beau groupe élégant dans sa rugosité, d’Antibes et de Cannes, que cette opportunité devrait conforter dans sa démarche originale.

 

Vous raconter les premiers contacts. Il y a 6 mois, englué dans la recherche d’une programmation choc pour les Concerts de Septembre 2008, je navigue entre Zucchero, Mariane Faithfull, Bob Dylan, et d’autres stars, ricochant d’échecs en absences de confirmation, passant des heures au téléphone à tenter de concilier l’inconciliable, quand une jeune programmatrice me propose en hésitant, Iggy Pop et les Stooges. Sophie Kafiz, à la recherche d’une place dans ce monde cruel de la diffusion. L’idée est absurde, folle, inconcevable, la salle étant si peu adaptée à ce concert, fauteuils velours rouge, moquette, scène sans hauteur accessible au public, le prix de vente de l’artiste est élevé, très élevé…le groupe se rendant en Russie, ce serait la seule date française, pause dans une mini tournée de capitales européennes.
Les photos sont de mon ami Alain Hanel, un photographe qui vole des images pour leur donner une âme !

L’accord de mon Président et du Directeur Général obtenu sans réserve malgré l’analyse des risques de ce concert dansr la salle extrêmement défavorable, nous voguons vers cette journée historique du 27 septembre 2008, Iggy dans le Palais pour un peu plus de 20€ !

Une fiche technique hilarante mixant des éléments réels sophistiqués (son, lumière, accueil…) et des demandes surréalistes (un sosie de Bob Hope pour lui raconter des histoires dans sa loge et le faire rire, sept hommes de petites tailles vêtus comme les 7 nains pour cheminer avec lui de sa loge à la scène, une jeune fille déguisée en Cendrillon pour l’accueillir après le concert…). Imaginez la tête du technicien en train de nous lire la fiche technique.

La production française est assurée par Alain Lahana, un de ces rares bons producteurs qui aime la musique et les musiciens, qui cherche et trouve de nouveaux talents, qui est fidèle en amitié. J’avais déjà travaillé avec lui sur Rachid Taha. Le contact était passé et il le reste, nous mettons en œuvre la logistique complexe d’un tel concert. Une de ses demandes nous posera bien des problèmes. Iggy fait deux heures de fitness par jour… nous aménageons donc un mini club dans une suite du Majestic, le palace où nous le logeons. Désolé chers fans, Iggy est aussi un homme comme les autres qui fait du sport pour pouvoir se défoncer sur scène comme un sportif de haut niveau ! Triste réalité !

Deux jours avant le concert, notre limousine le récupère à la sortie de l’avion et le dépose au Majestic (en face du Palais des Festivals) où je l’accueille avec un pincement au cœur. Il disparaît alors dans une grande discrétion, pas de scandale, ni de demandes hors normes, enfermé en pratiquant son sport, sans boire ni manger le jour du concert pour être au top ! J’ai vécu cela jusqu’à voir débouler une horde vers le Palais au soir du 27 septembre, du vieux soixante-huitard aux jeunes percés, des blousons de cuir aux middle âge and class attirés par l’odeur d’une star, un panel bien représentatif d’une population branchée à la recherche du coup de cœur.

 

Et alors, les Stooges sont arrivés (air connu). Le public leur a réservé une véritable ovation pour célébrer l’alliance du feu et de la glace, le son massif et anguleux que les musiciens ont jeté en pâture à tous les conformismes de cette salle mythique. Reformé après 30 ans de séparation, Scott Asheton (batterie) et son frère Ron à la guitare, Mike Watt (le bien nommé !) à la basse et Steve Mackay au sax, campent au milieu d’un mur d’enceintes, avides de rattraper le temps perdu à coups de décibels. Et cela fonctionne parfaitement. Un son d’une puissance extraordinaire (des pics à 115 dB mesurés) qui garde sa cohérence interne, une rythmique envoûtante en vagues destructrices, le corps à l’unisson d’un spectacle total qui transforme la salle du Palais en caisson de résonnance d’une fureur électrique démentielle. C’est cela un concert des Stooges, une étrange plongée dans un monde irrationnel.

Et le vibrion hystérique pénètre dans l’arène, torse nu, micro à fil dans lequel il éructe, sautant, bondissant sans interruption comme une puce épileptique. Iggy Pop transfigure le rock, devient un dieu d’énergie pure, incarne la magie du dérèglement. Dès le deuxième morceau (Down on the street), il escalade le mur d’enceintes et campe dressé comme un seigneur, il toise la foule et replonge sur le plateau, se jette dans le vide, se fait happer par le public qui colle à la scène sans protection. Bizarrement, cette absence de sécurité traditionnelle, la pression réelle de la foule sur les membres du fragile cordon de cerbères va grandir le spectacle, le propulser dans un évènementiel rare.
Le sphinx au milieu de ses fans sur "No Fan"

Sur No Fun, Iggy invite une soixantaine de personnes à le rejoindre. La digue semble craquer, condamner le show, la salle tangue d’ivresse mais Iggy assure dans cette marée humaine, ne perd jamais le contrôle de la situation pendant que ses comparses, inébranlables, continuent stoïques, de déverser leur son de feux infernaux.
Saisissante pose que personne n'aura vu... dans le mouvement paroxystique, l'ivresse solitaire d'un homme qui donne du sens au mouvement.

Comme une fusée dans l’éther, les morceaux fulminent, dérapent, rebondissant sur les paroles d’un Iggy paroxystique, boitant bas, se versant des litres d’eau sur la tête, asphyxié maintenu en vie par un souffle venu d’ailleurs. L’emblématique I wanna be a dog lui permet de hurler à la mort, Electric Chair d’entrer en transe (si c’est encore possible), et il enchaîne sans répit, sans mots, Little Doll et Ray Power comme si cela devait être les derniers morceaux de musique joués sur cette terre, le pantalon de cuir glissant sur ses genoux, poils pubiens apparents, fesses à découvert, androgyne diabolique forgé dans le fer rouge des entrailles de la musique.

Pas de redescente pour l’artiste. A la fin du set (1h15), il s’écroule, pantin désarticulé, ayant tout donné et reste de longues secondes la face sur le plancher de la scène avant de s’ébrouer et de s’éclipser définitivement dans les hurlements de la foule en extase.

 

Trente  minutes après, Alain Lahana vient me chercher pour m’introduire dans la loge du dieu vivant. Il est seul en compagnie d’une sculpturale métisse à la poitrine de feu. Il est beau, comme débarrassé des peurs du monde. Yeux clairs, sourire charmeur. Il me dit merci en sautillant. Comme un enfant, il rigole du bon coup qu’il vient de réaliser, « jouer dans cette salle où toutes les stars sont passées… et vous avez même posé un tapis rouge sur les marches pour accueillir mes fans (sic) ! ».
Iggy, 30 minutes après le concert. Ses yeux pétillent, il est heureux, il me serre dans ses bras et rit encore du bon coup qu'il vient de jouer dans le temple du glamour ! Je suis au paradis !

Il me signe quelques autographes et accepte gentiment deux photos qui iront se graver dans mon bestiaire musical. Je suis, pour quelques minutes, le centre de la terre, le point ultime de tout ce qui nait et meurt, de tous les rêves du possible. La porte se referme comme si les plaisirs devaient fatalement s’achever avec un pincement au cœur. Il confiera à Alain que je suis un drôle de directeur, sans costume ni cravate…

Je m’en vais. Yves Simon m’attend au Farfalla, un restaurant en face du Palais, en buvant un verre de Meursault. Nous allons manger ensemble pour terminer cette journée, j’ai quelque chose à lui raconter… Cela parle d’un certain jour où une légende du rock est venue jouer à Cannes et a croisé mon chemin. Je vous le jure, j’y étais ! Un apprenti sorcier qui n’avait rien compris de la vie des autres et pensait toujours que le monde peut se façonner aux désirs des enfants. Je suis cet apprenti-sorcier, je reste cet enfant et j’en suis fier. L’âge n’aura pas de prise sur les élans de ma passion. Il peut me diminuer, il peut corroder mon corps, mais je reste un éternel adolescent émerveillé par la magie d’une rencontre, d’un artiste et de son public, d’un instant de grâce à cheval sur les terreurs engendrées d’un monde que l’on ne comprend plus.

Yves Simon m’attend, c’est toujours et encore la même histoire d’une rencontre… mais c’est pour la prochaine édition de mon blog, bientôt !

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Les Concerts de Septembre (1)

Publié le par Bernard Oheix

 

4 jours pour mesurer le temps, pour atteindre un paradis des notes de musique, d’émotions, de rires et de larmes. 4 jours pour s’épuiser à rêver d’un monde différent où le public heureux partagerait de purs et intenses moments de bonheur avec des artistes aux accents de liberté et de générosité. De la légende à la petite histoire, du catering aux délires du son, d’un avion sans âme à une scène chargée de tous les espoirs, ce sont les concerts de septembre, purs moments d’ivresse, à cheval entre l’été et la saison « Sortir à Cannes ».

 

25 septembre. Soirée salsa.

Les dix musiciens de Los Fulanos sont issus des trottoirs de Barcelone. Groupe d’une salsa bitumée, passée au crible d’un Joe Bataan, légende de New York, ancien membre d’un gang sauvé par la musique, impulsant la salsa vers un univers cinglant, déchiré, sur fond de décibels et de rap. Cela faisait plus de 20 ans qu’il n’était pas venu sur le continent et c’est à Cannes que l’événement a pris corps. Sa voix oscille, il cherche son souffle dans un déferlement de salsa rock jusqu’à sa prière légendaire. Est-ce de s’adresser aux dieux qui déclenche son final étourdissant ? D’un seul coup, la magie opère, il fond dans la salle et accroche le public pour 20 minutes de folie.

Mercadonegro va leur succéder. C’est un band plus authentique à la salsa sirupeuse à souhaits, avec déhanchements assurés, voix de velours des deux compères slalomant sur scène, cuivres en fond, percussions pour tendre le corps. Alfredo de la Fé, autre légende de cette soirée, ayant joué avec Santana, Tito Puente et tant d’autres, débarque directement de Colombie pour venir « jamer » avec Mercadonegro. Il apporte un déséquilibre dans le bon ordonnancement de la soirée. Violon futuriste électrique, improvisant, ramenant la salsa vers la musique classique où le jazz, il prend en charge le final du concert distribuant les soli, découpant les morceaux à la logique de sa vision déjantée. C’est un grand Mercadonegro qui termine cette soirée où le seul regret viendra de la petite assistance. 400 personnes pour un tel plateau ! Reste que les nombreux clubs de salsa, les innombrables fans de cette danse, ont de la cire dans les oreilles et le cœur au niveau des mollets. Si je pouvais me permettre, avant d’être une danse, la salsa est une musique et quand on a l’opportunité de voir et d’entendre de tels groupes, ce n’est pas quelques fauteuils qui devraient entamer l’envie de se ruer à la découverte d’horizons nouveaux. Petits joueurs, continuez à gigoter maladroitement sur vos parquets en suant votre graisse, les musiciens présents à Cannes, eux, n’avaient pas besoin de vos lustres pour éblouir la scène et possédaient l’art de se mouvoir sans chercher à en jeter plein la vue !

 

26 septembre.

Les Enfants de Django. Première partie de Thomas Dutronc. Un rôle jamais facile avec 45 minutes couperet. Samson Schmitt, Yorgui Loeffler, Mike Reinhardt, leurs frères et cousins… tous authentiques manouches nés avec du sang de Django dans les veines et des doigts courant sur les cordes de la guitare avant même de savoir tenir debout ! Et quand ils le veulent, dans la sobriété, belles tenues noires et blanches, arc de cercle, musique au cœur, ils sont grands, des seigneurs de la guitare. Soli majestueux, fibre débridée, rythmes envoûtants, il plane, sur le grand auditorium bourré de 1600 personnes, un parfum d’intelligence, quand les notes cristallines semblent dessiner des volutes d’harmonie, cascades ininterrompues qui laissent pantois de « temps » de grâce. C’est Django revisité par sa famille de cœur, c’est un vrai moment de pure musique.

Thomas Dutronc. Disons-le tout net, je ne fais pas partie des fans du disque que je trouve un peu mièvre. Mais le succès public est au rendez-vous, il est programmé pour cela ! Surprise ! Il va avec son groupe, non seulement tenir la distance, mais en plus, fédérer tous les présents dans un climat de tendresse, d’ironie, de respect, d’humour… C’est un vrai gentil notre Thomas, un artiste de scène qui ne se prend pas la tête, bien au contraire, qui ouvre sa malle à souvenirs et fait partager ses émotions. Troublant mimétisme quand il chante, avec son père, distance aussi qui empêche de plonger dans le pathos, tout est aérien dans cette soirée et le public totalement séduit lui octroiera une ovation à la romaine méritée. Il faut dire que si le chanteur est relatif, le guitariste et son groupe sont de qualité. Les sourires du public en disaient long sur la capacité de la musique à adoucir les mœurs, Thomas Dutronc est un animal de scène qui fonctionne dans la retenue et la distance… cela vous rappelle-t-il quelqu’un ? Jacques est bien présent sur la scène, Françoise aussi d’ailleurs et l’on comprend la ferveur qui entoure cet artiste qui au-delà d’être le fils de… sait aussi être soi-même, authentiquement.

 

Pour la petite histoire, était-il vraiment nécessaire que sa production nous rackette de quelques poignées d’euros au vu du succès (très relatif en termes de finances puisque nous avons volontairement pratiqué des prix assez bas, de 22 à 28€) ! Un jour je vous parlerai des pratiques en vigueur dans le marigot de la diffusion culturelle mais pour l’heure rien n’entamera le plaisir d’avoir ouvert les Concerts de Septembre avec ces deux soirées superbes. Mais ce n’est pas fini… Il y a encore Iggy Pop and the Stooges, Suzanne Vega et mon ami Yves Simon… mais cela est une autre histoire ! Rendez-vous bientôt sur ce blog pour en découvrir les facettes cachées !

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Un été 2008 de spectacles.

Publié le par Bernard Oheix

Depuis trois mois c'est la course aux spectacles... concerts, feux, animations, cirque et autres moments de bonheur. Un été chaud à souhait, avec du soleil à brûler la peau et enflammer les désirs. Je vous ai déjà parlé de certaines manifestations (Fête de la Musique, Festival de la Pantiero), voici donc un petit bréviaire des quelques soirées les plus chaudes de la Côte d'Azur qu'il reste à découvrir.
Il est temps de disparaître temporairement, 15 jours de vacances, en attendant je vous aime toujours et encore, c'est ainsi et nul n'y peut rien !

ZEEVA. (28/06/08, Aix-en-Provence)
Le Festival Andafy se déroule le jour de la fête nationale de Madagascar. Une association dynamique, une communauté très présente, un cadre champêtre, la chaleur aussi, lourde, un cagnard à brûler les terres des hauts plateaux malgaches. Se croisent les conteurs, poètes, expositions, démonstrations de danse... En prime, un groupe de Madagascar, Zeeva, composé des membres d'une fratrie, les Gellé, cousins, frères, sœurs et autres nièces sous la houlette de Taliké, la chanteuse de Tiharea, (programmé à Cannes dans la saison 2008/2009). Je l'avais découverte au Womex, belle, voix de velours, costumes traditionnels et dokodoko sur la tête (tresses torsadées typiques). Dans une formation électrifiée mêlant instruments traditionnels et modernes, les musiciens interprètent des ballades qui content des histoires d'une terre de culture, celle des Androy, un peuple fier et insoumis des déserts du sud-est. Taliké chante, danse, introduit les chansons avec des histoires de son pays natal. C'est beau, c'est superbe et cela dégage l'énergie d'une Afrique fière de son passé et de ses racines.
REM. (08/07/08, Théâtre de Verdure. Nice)
Qu'ils sont délicieux nos papys du rock. Nerveux, un son d'enfer avec des guitares qui hurlent à l'envie. On glane au passage quelques-uns de leurs succès et c'est comme une bouteille fraîche sous la canicule. Ils ont un jeu de scène minimaliste (les artères !) mais on s'en fout tant ils maîtrisent leur set. C'est sucré comme un bon vieux rock de derrière les fagots, on en redemande malgré l'impression que tout a déjà été dit. Ce n'est pas grave, REM, c'est un morceau de rock brut de décoffrage.
Le Jazz et la Diva (20/07/08. Palais des Festivals. Cannes)
Auréolés de leur Molière 2006 du meilleur spectacle musical, Didier Lockwood, Caroline Casadesus et Dimitri Naïditch leur complice en piano, brodent sur les thèmes d'une opposition jazz/ classique, homme/femme, la belle et la bête... Bon, il paraît que c'est génial et que l'on doit se pâmer. Cela sent le petit jeu « interpériphérique » parisien, l'approximation et le facile. Dommage, avec un peu de profondeur, ils auraient pu convaincre et pas seulement avec des ficelles simplistes. Le public était content, tant mieux !
Sananda Maitreya. (21/07/08. Parvis du Palais des Festivals. Cannes).
Dans la série, l'allumé de service, il nous fallait une belle prise, une pointure de qualité. L'ex-Terence Trent D'Arby (mais surtout ne l'appelez plus ainsi !) s'y est collé avec brio, mieux, avec génie ! La conférence de presse qu'il offrit ce jour-là est à inscrire au Panthéon des moments hilarants laissant loin derrière lui notre Belge Vandamme ramené au rang de gros bébé se nourrissant de flocons d'avoine à côté de lui. Tué par l'industrie du disque comme Seth occis Osiris en 13 morceaux, renaissant à la musique parce que l'un des 13 morceaux « fut lui, musique », il campe dans un monastère dédié aux dieux de l'harmonie, prédit l'avenir et a besoin d'une vue mer dans une suite d'un palace pour fusionner avec la nature et se consacrer à son art. Il offre un collier de lapis-lazuli pour la grand-mère du journaliste et repart dans son monde de lumière peuplé d'ombres. Son show montre que même si l'on change de nom, on reste soi-même, mélange de talent (quelle voix !) mais aussi d'une musique figée dans la mémoire, qui n'arrive plus à se brancher sur l'air du temps.
Léonard Cohen (22/07/08. Festival de Jazz de Nice)
Comment dire ? J'ai même raté mon pianiste dieu Fazil Say pour aller voir mon barde préféré. La scène est toujours insupportable avec ses oliviers qui dérobent la vue. L'odeur de saucisses et de graillon, l'inconfort général habituel à cette manifestation. Le public attend, debout, entassé devant la scène. Un vieux petit monsieur s'avance, un band de papys entame sa ronde, 3 choristes sublimes éclairent, et le son d'abord. Exactement cette qualité du live que j'écoute en boucle datant des années 80. Dance to the end of love, en introduction à cette plongée réjouissante dans le temps. Il a le même grain de voix, une allure juvénile et élégante, la musique est précise, sophistiquée, d'une richesse infinie sans jamais couvrir les voix. C'est Dieu redescendu de son Olympe, de son monastère bouddhique, d'où il vient, pour nous offrir un part de rêve. Les mots sonnent, portent des messages de poésie même si on ne comprend pas tout, les plages musicales enveloppent, Alléluia nous baigne dans l'harmonie. Nous sommes tous éblouis et c'est à une messe du temps passé si contemporaine que nous sommes conviés par le grand manitou de la musique.
Je ne suis pas redescendu du nuage, j'y suis encore d'ailleurs à contempler Suzanne et à écouter le vent qui porte des messages d'espoir.
Hélène Ségara (23/07/08. Place de la Bocca)
Non, c'est trop dur, après Cohen, je ne peux pas parler d'Hélène. Il y a des choses qui ne se font pas, tant pis !
Duo pianos Marie Josèphe Jude, Michel Béroff (24/07/08. Nuits Musicales du Suquet)
Bof, a-t-on vraiment envie de parler de ce duo interprétant la sonate en ré mineur de Mozart et Rachmaninov. Non. Bon alors je n'en parle pas, cela m'évitera d'avouer combien je me suis ennuyé et comme la vraie musique classique peut aussi être chiante !
Joan Baez. Graig Adams. (26/07/08. Festival de Jazz de Nice.)
Après Léonard, on pouvait rêver d'une Joan transfigurée, égérie d'une jeunesse en révolte, visage d'ange d'un temps de révolte. Las ! Figée, voix éteinte, show sans passion. L'histoire meurt parfois, les lendemains ne sont pas toujours roses et les légendes s'éteignent. Tant pis, il me reste Cohen !
Pour lui succéder, Graig Adams. Petit et gros, il s'installe au piano, se saisit du micro comme si sa vie en dépendait et commence à hurler sa passion en un Dieu de bonté. Son groupe est composé d'un batteur fou et d'un bassiste autiste, tous les deux jouent dans leur coin pendant que 4 mamies aux formes généreuses ondulent sur scène. Les standards du gospel défilent entre l'éructation et la supplique, entre la fureur et le désespoir, l'espoir et la repentance. C'est énergique comme un redbull avant le coup de blues. Joan Baez entre en transe sur scène (enfin !) et le public lance des cris pour les accompagner. C'est Graig Adams dans une cérémonie libérée de toutes convenances et même si cela flirte parfois avec l'à-peu-près, c'est d'une force et d'une violence qui ne peuvent laisser indifférent.
Taraf Décalé (29/07/08. Concert après feu d'artifice. Parvis du Palais)
J'ai découvert ce groupe dans le giron de la Compagnie du Tire-laine, au Womex à Séville. Des jeunes passionnés, travaillant sur le gitan, le Balkan et tout ce qui « clinque » sur scène et déborde de notes fusantes. Le Taraf Décalé est bien un groupe explosif, fusionnant la musique d'un Brégovic, et celle des cultures du monde. Entre un film de Kusturica et un happening klezmer. Inclassables, impertinents, les musiciens entraînent la foule de milliers de spectateurs dans un swing d'enfer, corps débridés, cuivres et basses résonant longuement dans la nuit. C'est intelligent et fort, libre et strictement mesuré, c'est une musique de fête qui n'oublie pas de parler au cœur en faisant vibrer les tripes.
Alexandre Kniazev (violoncelle)/Boris Berezovsky (piano). (30/07/08. Nuits Musicales du Suquet.)
Dans cet hommage à Rostropovitch, Boris Berezovsky, un des plus grands pianistes russes, donc du monde, assure une partition dans l'ombre de l'explosif et possédé Alexandre Kniazev. La lumière est sur Sacha, cela en est presque frustrant de sentir cette retenue en arrière, cette silhouette qui dispose les notes sur un plateau pour l'archet vibrant d'un violoncelliste...fut-il d'exception !
Pourtant, cette musique si savante peine parfois à se frayer un chemin jusqu'à la naissance des sens. Il y a tant de magie, que le monde réel semble s'éloigner. Il y a du froid aussi, celui de torrents de notes dispensées comme si du trop-plein pouvait naître la sérénité. Deux monstres accolés en hommage à un 3ème en train de broder sur Brahms, Chostakovitch et Rachmaninov, cela ouvre des horizons nouveaux, des interprétations ciselées comme une broderie. Cette violence a-t-elle une âme ? Le public enthousiaste répondra par l'affirmative ! Moi, certaines des notes lancées à la nuit continueront de rouler en cascade scintillante que mes sens au repos auront déjà évacué leur précision fatale.

Fiesta Flamenca. (1 et 2 08/08. Parvis du Suquet)
Nouvelle manifestation dans le ciel cannois. Un pari lancé avec nos amis de Nomades Kultur, un agence artistique dirigée par Cendryne Roé avec Juan Carmona dont j'avais déjà accueilli la Symphonie Flamenca en ouverture de la saison 2005 avec Trilok Gurtu (pour la petite histoire, suite à cette rencontre Cannoise, ils ont joué ensemble et travaillent sur un projet commun !).
Le principe était de fusionner l'esprit de la fête des Espagnols et la qualité du Nuevo Flamenco. Dans la première catégorie, la Place de la Castre, transformée en paseo, dégustation de paella et de sangria, cours de sévillane et après le spectacle, bal sévillan.
Le pari était osé. Cannes, son public riche et gavé, les bourgeois conformistes allaient-ils laisser onduler leur croupe en public en levant les bras comme des moulins à vent s'époumonent dans les plaines arides de la Castille ? Et bien oui ! Ils étaient beaux par dizaines à tenter de suivre le prof... uno, dos, tres...ils étaient des centaines à la sortie du spectacle, sur cette place dominant la Baie de Cannes, sous les étoiles à danser pour le simple plaisir de partager un moment de plénitude. Il faut dire que les spectacles étaient exceptionnels, grandioses et que Juan Carmona en important deux compagnies « rivales » avait vu particulièrement juste.
Joaquim Grilo. Soliste d'exception de Paco de Lucia. Il impose un style inimitable, une vision totalement moderne de la tradition, respectueuse des racines pour épanouir sa liberté de créer. Il est fier et droit, il cambre les reins, joue de ses doigts, sinue entre la fesse dure et le regard de feu, enflamme la scène, parfois accompagné d'une danseuse pendant que son groupe égrène d'une voix hachée les standards de ces complaintes qui griffent la nuit. C'est beau et exaltant, la foule subjuguée reçoit les décibels et les pieds frappent ce plancher comme si notre salut en dépendait.
Rafael de Carmen, son concurrent attitré à la médaille d'or du Flamenco, reste à la frontière de la tradition pour s'immerger dans la modernité. C'est une version plus douce, moins rugueuse, l'orchestre joue un rôle plus important avec deux chanteurs à la voix rauque et puissante, un carom, un violon et les habituels guitaristes aux doigts d'or. La danse expressive se fait plus proche du public, moins en recherche d'équilibre, comme si le contact magnétique avec les spectateurs se trouvait justifié par des siècles de cambrures, des notes écorchées, un passé décomposé d'éclairs de gestes, paroles au vent, sueur et regards de braise.
Rafael de Carmen, étoile du flamenco.


Deux jours de passion, dans les hectolitres d'une sangria sucrée, avec les doigts collants de riz et de gambas gluants aux accents d'un sud de folie, la joliesse des robes de taffetas et les seins brunis sous les décolletés de soie noire. C'est l'Espagne comme on l'aime, avec ses torrents d'exubérance comme signature d'un sourire moqueur à la fatalité et à la tristesse.
L'orgueil ibère dans ce qu'il draine d'insolence et de ferveur en invitation à la fête païenne.


Voilà, après juin et juillet, il restait encore tant de soirées à vivre en cet été 2008. Les nuits de la Pantiéro dont je vous ai déjà parlé, les concerts de Jazz à Domergue avec Elisabeth Kontomanou, (une grande dame du jazz; belle black dont la voix suave chante les standards d'un jazz sirupeux à la Billie Holiday. Si lisse, sans aspérités, un désert d'émotions enfermées dans un carcan de notes) Yaël Angel (autre voix qui se laisse dériver vers des horizons musique du monde. Dommage qu'elle manque d'un soupçon de puissance et de limpidité pour assumer ses paris originaux) et tant d'autres comme David Levy et Julian Evans dans un superbe récital à deux pianos en hommage à Messiaen... Tout cela dans un décor de rêve, cèdres du Liban, cyprès taillés grimpant vers le sommet de la colline ombragée. Il y a des faunes aux oreilles en pointes comme sentinelles des orgies passées, bacchanales des nuits chaudes d'une Côte d'Azur qui s'étourdissait au temps de l'insouciance d'une après-guerre, des bacs où l'eau s'écoule en glougloutant, des corniches qui surplombent la Baie de Cannes et son arc de lumière qui nait vers le Palm-Beach pour mourir à la pointe de l'Estérel, dans le désert de la nuit marine.
Et puis des concerts avec Ma Valise, groupe de Français puisant dans des répertoires sous influences entre le cabaret, la nouvelle chanson et les rythmes latinos. Des feux d'artifice à n'en plus finir avec un Russe d'exception, un Tchéque avec provisions et un Canadien du Québec...et pour s'achever, les slaves en folie de La Semaine de l'Art Russe. Terminer la saison estivale avec des beautés superbes à la plastique de barbies nordiques, des spectacles à la signature du vent du nord (Chœurs de la Marine de la Baltique, Ecole de cirque de Moscou, Boris Eifman, le plus grand chorégraphe actuel de Russie même si sa Mouette néo-classique n'est pas la plus belle oeuvre que j'ai vu de lui...). Bien sûr, des fêtes à la vodka, des soirées sur les voiliers, des rendez-vous avec des vice-ministres, des gouverneurs et des princesses chamarrées, des chapeaux Tatar, des cadeaux d'ambre et des toasts à la volée comme si la Géorgie n'était qu'un mirage dans un ciel sans nuages.

Il est temps désormais de fuir dans les montagnes des Pyrénées pour des balades champêtres, un peu de vélo au flanc des cols escarpés et du sommeil à racheter en quantité industrielle. Je vous retrouverai toujours assez tôt, dans une quinzaine de jours, quand j'aurai récupéré de cet été de folie et que l'impérieuse nécessité de me reconnecter à la réalité me poussera à vous lancer une bouteille à la mer, celle de ces mots de tendresse d'un blog qui vous est destiné, qui m'est devenu indispensable, et que j'aime penser en trait d'union de nos espoirs d'un avenir radieux.

 

 

 

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Pantiero show

Publié le par Bernard Oheix

 

La grand-messe de l’électro s’ouvrait dans les tourmentes d’un vent à décorner tout être affublé d’une prothèse infamante sur la tête. Un vent méchant, sec, avec des rafales à 70km/h, un soleil étouffant à brûler la peau, dessécher la gorge, un climat à maudire n’importe quel Festival pour ceux qui y travaillent. Nous sommes sur le pont depuis un mois et la fatigue est là, insidieuse, permanente.

 

Vendredi 8 août.

The Invisible ouvre le bal. Voix fausse, notes dans le vent, que dire d’un groupe dont on a rien à dire ?

Mouse On Mars remplaçant au pied levé Ladytron, le groupe allemand composé d’une percussion, d’un clavier et d’un mix offre une version déchirée d’un électro saturant jusqu’à la transe. C’est plutôt fort, hypnotique avec un jeu de lumières particulièrement réussi, taches colorées, éclairs zébrant la scène, halos fantomatiques. C’est un son gras qui remue, univers post-Kraftwerk d’une société atomique où la répétition débouche sur la pulsion ravageuse. Vagues sans temps morts, des lambeaux de sons qui viennent s’échouer comme si une scie découpait l’espace concret de nos sens pour les mettre à vif.

Archie Bronson Outfit. On les attendait, ils sont repartis. Entre-temps, un set qui laisse insatisfait. L’explosif s’est muté en pétard mouillé. Faute d’un son pas à la hauteur ? Mauvais jour… on ne le saura jamais mais les chants étranglés étaient aphones, les riffs tombaient à côté et le cocktail détonant s’est transformé en brouillon insatisfaisant.

Metronomy. Enfin un coup de cœur. Un rock désuet sert de base qui va être éperonné en un décalage permanent. Voix claires en canon, ritournelles détournées, rythmes sautillants, sons trafiqués pour donner une grâce à l’ensemble. Musique aérienne qui capte par la profondeur de son assise. C’est un groupe à écouter qui trouve sa modernité dans un rock classique en pointillé miné par des trouvailles sonores qui le transcendent.

 

Samedi 9 août. Le vent est tombé, la chaleur transfigure la nuit. C’est la grande foule, plus de 2500 personnes escaladent les escaliers qui amènent à la terrasse du Palais. Il y a de l’impatience dans l’air.

Dan le Sac vs Scroobius Pip.

L’un sort des séquences de sons en mix et des chants poétiques sur lesquels l’autre enchaîne avec un rap de scansion, tous les deux produisent un curieux mélange et ressemblent à des bûcherons venus du grand nord du Québec. C’est plutôt intéressant et leur univers contrasté ouvre la soirée sur une curiosité.

Ratatat.

Trio composé d’une batterie, clavier et guitares avec quelques petites machines pour corser les sons. C’est un rock décapant, ouvert sur toutes les influences, aérien. La rythmique lourde permet toutes les audaces et ils vont emporter le public avec des morceaux qui arrachent. C’est une version ouverte d’un rock sans attaches, quelques belles plages mélodiques émergeant d’un univers de fureur. Une des découvertes à l’évidence de ce Festival.

Antipop Consortium.

On attendait beaucoup de ce groupe mythique de la scène alternative New-Yorkaise des années 90. Après s’être séparés, ils se reforment en annonçant la sortie d’un prochain album. Ils ont déçu. Un son brouillon dans une course effrénée pour rattraper le temps perdu. Leurs enchaînements manquent de cohésion, leur hip-hop manque cruellement d’originalité. On peut avoir été grand et perdre sa magie. A(u) revoir.

Birdy Nam Nam.

Une table avec 4 platines pour mixer. Les 4 acolytes sont alignés et démarrent une plongée dans les hauts fonds d’un son ravageur. Je suis parfois sceptique sur l’accumulation des mix’ mais là, chapeau bas. Les sons travaillés à l’infini deviennent voix, les voix découpées à l’extrême se transforment en son, le rythme est étourdissant, hypnotique, chacun des DJ’s joue son rôle à la perfection et sculpte la matière sonore. La scénographie est en phase avec la pulsation qui prend au corps. Jeux de lumières, effets optiques, la foule se met à tanguer, les corps sautent. Ils vont, dans un rappel hallucinant, clôturer la soirée en laissant chacun ivre de cette vibration qui ouvre les sens au désordre intérieur.

 

Dimanche 10 août. Petite brise fraîche. Corps fatigués. Les heures commencent à peser sérieusement. Trop de cigarettes, marcher sans cesse, boire aussi parce que c’est la fête et que les rencontres sont des moments d’échange.

Sébastien Tellier.

Ouvrir à 20 heures avec la vedette médiatique de la soirée, j’ai connu mieux comme idée originale. Mais bon, le Directeur Artistique en a décidé ainsi et malgré nos avertissements n’a pas voulu en démordre. Tant pis. Après une conférence de presse très sexe (il faut rouvrir les maisons closes pour les adultes et en chasser les maladies !), il monte donc sur scène dans les feux d’un soleil couchant devant une poignée de personnes rapidement renforcées par ses fans qui déboulent en force pour sauver la face.

Que dire de Sébastiern Tellier ? Si ce n’est que le personnage est autant « frappadingue » que ses mélodies sont belles. Deux claviers, un batteur et lui à la voix, au piano et à la guitare. Ritournelle en tête de gondole, sexe et autres thèmes de prédilection comme la drogue, le refus du conformisme, un décalage avec le bon sens. L’univers musical est de qualité, sa voix disparaît dans les plages sonores des claviers mais ce n’est pas grave, elle est un des éléments de son univers et c’est plus son attitude qui porte le sens profond qu’il veut transmettre que le contenu de ses mots, partie intégrante de la musique. C’est un beau set avec un électro-rock élégant qui sait porter des coups quand il est nécessaire. Ses interventions éclairent sa volonté de briser l’harmonie, c’est parfois limite dans le bon gout, mais cela sonne souvent juste pour ce personnage de déglingue qu’il incarne avec les trippes.

Yuksek.

Un DJ aux sons violents, jonglant avec des plages subtiles pour enchaîner avec des rythmes lourds et efficaces. C’est un de ces DJ’s dont on reparlera dans les années à venir, qui ira dans les grandes salles des messes de l’électro des boîtes branchées pour une jeunesse dorée et pleine de fric. Il fait parti de cette touche française qui sait en découdre avec les anglo-saxons et emmener son public à se mouvoir en phase avec ses reprises exacerbées.

The Presets.

Des Australiens stars dans leur « bush », débarquant en Europe pour conquérir la scène de l’électro-pop. Il fait nul doute qu’ils ont un beau chemin à parcourir. Un batteur fou, un chanteur préposé aux machines avec des bandes qui tournent pour enflammer le plateau, cela donne un concert nerveux, un vrai rock qui embrase, porté à bout de bras par deux musiciens complices se livrant sans retenue.

SebastiAn.

DJ hors pair, hors catégorie, dans la rubrique des extraterrestres. Moi qui avais quelques réserves sur la nature même du rôle du DJ et sa place dans la musique actuelle, après Birdy Nam Nam et SébastiAn, je dépose les armes, me rends au verdict des baffles, des oreilles en feu. Vraie création sonore, jouant sur les contrastes, dérivant dans des sons « exotiques » où percent des mélodies connues, des airs de notre culture musicale pour s’enflammer à coups de beats rageurs et syncopés qui entraînent la foule à sa suite. SébastiAn, le timide, le calme qui rugit sur scène pour jongler avec les rythmes et offrir un son tribal au public déchaîné. C’est une belle révélation, la preuve, si besoin était, que l’excellence transcende les genres et qu’un DJ remixant la musique des autres peut aussi être un créateur à part entière. C’est le talent qui fait la différence !

 

Lundi 11 août.

Poney Poney

Bof ! Petits jeunes sympathiques au rock basique. Pas grand-chose à en dire si ce n’est qu’il fallait bien qu’un groupe ouvre la soirée…

Midnight Juggernauts.

Comme leur nom ne l’indique pas, ils arrivent d’Australie. Leur CD Dystopia est un bijou. Leur concert fut à la hauteur de leur réputation grandissante. Un rock fin avec une voix bien présente, des chœurs en canon qui viennent étayer le soliste, une base rythmique composée de batterie, percussions et basse, les guitares et claviers assurent un volume d’élégance. Il y a quelque chose d’un Dépéche Mode au tempo spidé, un air rétro injecté de futur, actualisé, avec des voix qui gémissent éperonnées par des glissandos de clavier, des refrains où hommes et instruments se conjuguent dans la recherche d’un rythme qui laisse le public en déséquilibre. Il y a de l’hypnotisme dans ces morceaux qui s’effilochent en rebondissant sur les arêtes d’un clavier omniprésent et omnipotent. C’est une vraie révélation du Festival, un des groupes qui maîtrise le mieux son univers musical et la scène ouverte aux étoiles d’un ciel d’azur.

Goose.

Le vrai coup de cœur du Festival. Un groupe de Belges qui débarquent avec la rage au corps. Ils sont quatre et investissent le public avec la délectation de ceux qui vont tout dévaster. Imaginez un rock, un vrai pop-rock au format traditionnel bien saignant et greffez ce rock sur des nappes sanglantes de synthé syncopé. C’est comme deux étages que vous vous prendriez sur la gueule. Les fondations parlent à vos tripes, la superstructure à votre tête. Entre les deux, tout disparaît, s’évanouit dans la foule en train de sauter en rythme. Les voix sont claires, dominent les riffs de guitares rageuses, surnagent au-dessus d’une batterie en contrepoint, et toujours cette vague sombre qui occulte les interstices, gomme les silences. Le rythme est simple et efficace, il écrase toute velléité de s’échapper de leur univers, il nous capture pour nous enfermer dans ses boucles sans fin à la puissance dévastatrice. C’est fort et c’est si bon !

Simian Mobile Disco.

Bon, on annonçait un extraterrestre, je veux bien. Mais comparé à la prouesse d’un SébastiAn, à la force d’un Yuksek, Simian reste en-dedans, jongle efficacement avec les sons, casse les rythmes, introduit des ruptures avec un brio qui confine à la facilité… comme si c’était un jeu sans enjeu. Cela reste très superficiel, clin d’œil pour affidés convaincus de son talent.

 

Reste les « afters » jusqu’à 4 heures, quand l’aube pointe son nez, un volume de décibels encaissés  pendant 4 jours comme si un 40 tonnes vous martelait la tête sans arrêt, trop de bières et de cigarettes, des rencontres aussi, journalistes de Libé et de France Info, artistes, fans, public.

Une équipe exsangue de foncer dans la nuit en enchaînant les manifestations (Nuits Musicales du Suquet, Feux d’artifice, Fiesta Flamenca et maintenant la Pantiero…), soutenue par nos stagiaires efficaces, belles et si passionnées. Les corps las, les membres lourds, combien de kilomètres parcourus ? Des rêves toujours  parce que la vie est si belle quand les notes de musique l’éperonnent pour y insuffler un sens caché. C’est ma drogue, elle est dure mais on aime s’y accoutumer, sentir le souffle du vent, savoir que l’on est dans l’œil du cratère, qu’il n’y a plus de repères, juste à côté de l’avenir !

 

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Cédric Oheix deviendra-t-il une star ?

Publié le par Bernard Oheix

Bernard O, Cédric Oheix et David L, le président du Palais, qui est le chanteur, qui est le politique et où suis-je ?

J'ai décidé de modifier le texte initial. A la relecture, il était quelque peu stupide et j'ai trop d'admiration pour l'engagement des artistes et la passion dont ils font preuve pour laisser en l'état un article qui était mauvais. Don't acte et désolé si j'ai pu blesser quelqu'un en général  et Cédric en particulier ! 

 

Une semaine avant la Fête de la Musique, Cédric m’appela, me demandant ce que je pouvais faire pour lui. Je lui proposai d’ouvrir le 21 juin avec 3 ou 4 morceaux en préambule d’un programme déjà fixé depuis de longs mois. Il accepta et le samedi  suivant, voilà enfin réuni la nouvelle tribu des Oheix Cannois. Il a un visage avenant de trentenaire costaud, des dents blanches et des cheveux noirs, visage carré, l’air sympa, un soupçon d’air oriental dans ses yeux pincés. On discute un moment après les balances. Je lui demande ce qu’il envisage, le retour à la SNCM sur son poste de capitaine en second ou le grand frisson de l’aventure musicale. Escale ou vent du large, risée ou bord sur bord… Il hésite avant de monter sur scène. 4 morceaux, des reprises, avec un guitariste qui l’accompagne. Il a une belle voix, mais a-t-il du talent ? Difficile de répondre. Tout est bien chez lui, sauf que le bien n’est pas une valeur refuge. Il y a quelque chose de trop lisse dans son attitude, une absence de mordant. Le talent se nourrit des failles, il les dissimule derrière une facilité qui ne trompe personne.

 

Ajoutons qu’en ce 21 juin 2008, Miro ouvrit la Fête de la Musique. Seul avec sa guitare, il éperonne le public avec délectation, voix éraillée, textes incisifs, personnalité évidente méritant nettement mieux que sa notoriété actuelle. Puis Habib Koité et Bamadas ont enchaîné avec une musique à danser, à faire chalouper les corps. Rythmes africains, voix claire d’un griot moderne, ambiance de fête. C’est un pays de soleil que le Mali nous envoie avec cet artiste généreux et attentif, dans la tradition des humanistes à la Ismaël Lo ou Salif Keïta. Un Grand barde à découvrir comme une passerelle entre les cultures.

Bernard O avec Habib Koité

Pour finir, Darko Rundek impose, avec son Cargo Orkestar, un univers atypique entre la musique des Balkans, les influences diverses puisées dans son exil à Paris et ses rencontres musicales détonantes. Darko est adorable, l’air décalé d’une star de l’ex-Yougoslavie revenu de l’enfer avec des yeux d’enfant émerveillé par la beauté d’un monde régénéré. Il commence doucement son set pour finir dans une explosion festive, musique délire bien dans l’esprit d’un Brégovic matinée d’ingrédients occidentaux.  Darko Rundek, retenez ce nom et n’hésitez pas à acheter un billet pour son concert s’il passe près de chez vous, son spectacle est un enchantement pour tous publics.

Une bien belle Fête de la Musique ! Mais au fait, où est passé mon cousin ? Avec sa guitare à la  main et ses rêves en bandoulière, il s’est fondu dans la nuit, à la recherche d’un futur de légende. Allez, petit cousin, à toi de choisir ton destin, la vie est belle pour les âmes généreuses. N’oublie pas de rester serein devant la folie d’une notoriété de circonstance, les adulateurs d’aujourd’hui sont les grands absents de demain et les notes, mêmes les plus belles, s’envolent toujours au gré du vent.

Salut donc à Cédric Oheix de la part de Bernard Oheix.

 

 

 

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Porte-folio : Archive again

Publié le par Bernard Oheix

Juste pour continuer encore à rêver, quelques photos pour se souvenir, comme un clin d'oeil, une façon de perpétuer le plaisir d'avoir aider à l'accouchement d'une oeuvre majeure de la musique. J'en suis persuadé... ce 6ème opus fera référence, il ne vous reste qu'à l'attendre avec impatience...




Dany Griffiths, Darius Keller et Pollard Bernier en pause.


Graham Preskett, le chef d'orchestre et Michel Sajn en grande discussion


Pourquoi je ne parle pas comme Shakespeare.... Bon, ce n'est pas grave, on arrive à communiquer !


Bernard O, l'age des Pink-Floyd, le coeur d'Archive !

PS : Horreur et Dame Nation... Ces photos impromptues, prises à la volée par un spécialiste des photos volées sont signées d'un nom qui claque comme la détente d'un appareil vengeur. Eh oui ! Il s'agit de mon ami Alain Hanel, photographe de mérite qui a couvert les saisons culturelles de Cannes depuis deux ans et réalisé une exposition qui restera tout l'été au sein du Palais. Accès libre. Venez nombreux, vous verrez des images dérobées d'artistes se livrant au public dans la crudité de leur art.
Voilà, mon pote Hanel sera content de ce rectificatif. Pourquoi donc les faiseurs d'images sont-ils toujours dans l'ombre ? Peut-être parce qu'ils sont derrière l'objectif !

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Festival du Film (suite et fin)

Publié le par Bernard Oheix

Voilà donc la fin de mes aventures en terre cinéphilique. 35 films en 12 jours, une colonie d'Allemands, de Burgiens et de Corses investissant ma maison, quelques parties de cartes entre pellicules, beaucoup de parlottes et boustifailles, un temps entre parenthèses pour parcourir le monde des écrans avec des yeux d'enfants. Je n'ai pas désiré écrire sur tous les films visionnés, un zest de commisération pour m'empêcher d'exercer mes talents de polémiste sur les reliefs du grand banquet cannois du 7ème Art. Conservons intact le mythe d'une fête cinématographique permanente !
Bon, quelques jours de vacances bien mérités m'attendent... avant de vous retrouver pour de nouvelles aventures littéraires !


Delta
du Hongrois Kornél Mundruczo me posait à priori un problème complexe. Hongrois mutiques, dialogues au lance-pierre, mauvais bouche à oreille, critique réservée… J’ai décidé de tenter malgré tout l’immersion dans les flots du delta du Danube, avec, derrière moi, l’idée de retrouver les miens pour des spaghettis aux épinards succulents offerts par la Pasta... après une demi-heure de film ! Objectif largement tenu puisque je ne suis pas sorti de la salle avant le mot "fin". J’ai même pris un certain plaisir à ce film esthétisant, histoire glauque d’hommes frustres, mise à mort de l’innocence. C’est une belle fresque aux accents symboliques qui fonctionne parfaitement, n’en déplaise à tous les critiques chagrins qui l’ont descendue en flammes, ce qui pour une œuvre qui se passe à 80% dans l’eau, n’est pas vraiment mérité !

 

Choc. Johnny Mad Dog de Jean-Stephane Sauvaire aurait eu toute sa place dans la compétition officielle et offert un focus sur un drame actuel. Une bande d’enfants soldats manipulés par quelques adultes qui organisent un coup d’état dans un pays d’Afrique, le Libéria. Enrôlés de force à 10 ans, bourrés de drogue, maraboutés jusqu’à se croire invincibles, ils tuent comme ils respirent et sèment la mort tout au long de leur passage. Jeunes, vieux, femmes… personne n’est épargné dans cette foudre hallucinante qui s’abat sur les habitants, ces sourires d’enfants transformés en rictus de haine. Tout est violence absolue et prétexte à laisser la fureur se déchaîner. Le savoir, la religion, l’amour sont des obstacles qu’il faut balayer par les balles et le sang. C’est insoutenable et jamais voyeur, juste un constat mis en scène afin de déclencher une prise de conscience.

Une séquence pourrait rester en mémoire de notre lâcheté et de notre obstination à fermer les yeux devant les monstruosités engendrées. Le convoi de l’ONU quittant l’hôpital devant les enfants soldats qui vont pouvoir pénétrer dans ce mouroir pour achever les blessés, femmes et enfants. Dans ce convoi d’hommes puissamment armés qui s’effacent devant des enfants soldats, il y a toute l’ignominie des nations civilisées qui ne veulent pas ouvrir les yeux et acceptent la part inhumaine du mal. Le diable est dans le cœur de notre apathie et dans notre volonté de détourner le regard.

Notons que c’est Mathieu Kassowitz qui est coproducteur du film, il sauve un peu le cinéma français à la dérive en cette année 2008 à marquer d’une pierre noire !

 

Il divo de Paolo Sorrentino est un film sur les affres de la politique italienne des années 70/80, quand les gouvernements de Giulio Andreotti valsaient aux sons d’étranges compromissions avec la Maffia, que le pouvoir devenait le siège d’un théâtre où tous les coups étaient permis, et que la démocratie était la seule victime d’une mise sous tutelle de l’Etat au service d’intérêts privés. Dans une forme très moderne, le montage alterne un rythme fractionné, clip kaléidoscopique d’images chocs et de séances de violence, avec des séquences introspectives au déroulement plus lent. Le regard d’Andreotti tente l’autojustification, celui du réalisateur prend en charge les innombrables traces de sa collusion avec l’industrie du crime. Des images somptueuses, modernes, effets spéciaux, couleurs, musique agressive ou contemplative collent au déroulement et à la tension de la mise en accusation de l’homme politique le plus important de l’après-guerre.

Au final, il sera gracié, lavé, exonéré de toutes ces charges. La politique devra en payer le prix !

 

Tulpan réalisé par Sergeï Dvortsevoy, est le nom d’une jeune fille que l’on ne verra jamais, espoir de fonder un couple pour un jeune berger Kazakh qui la courtise en faisant son apprentissage de la vie sur ses terres plates et désolées où paissent les troupeaux de son clan. Il refuse l’idée de s’expatrier à la ville et de quitter cette terre qu’il aime. Il va sauver un agneau en train de naître et symboliquement décider de rester et d’affronter sa vie. Le désert est le personnage principal du film, un horizon plat qui laisse les sentiments s’emballer. Film expressionniste sur la nature, il y a du cinéma de cette période révolue du réalisme onirique des Dojvenko et Préobrajanskaïa dans cette peinture attachante d’un monde rural et pastoral refusant de disparaître. C’est une page sépia de l’histoire du cinéma qui s’entrouvre pour nous permettre de retrouver les émotions de notre passé. Film émouvant et attachant sur l’éternelle histoire du combat de l’homme pour son bonheur et sa survie.

 

My Magic du singapourien Eric Khoo est un film bizarre. Alcoolique, un ancien magicien tente de retrouver l’amour de son fils en s’engageant dans un cycle de spectacles et d’automutilations débouchant sur la mort. Une vie pour un rachat, pour sauver son enfant de la déchéance, pour retrouver celle qui est morte et qu’il aima à la déraison. Bricolé, de guingois, un grain sale comme la moiteur qui étouffe l’atmosphère, le film vaut surtout par cette problématique du corps comme objet que l’on maltraite, comme arène où les voyeurs viennent satisfaire leur goût morbide pour le sang et la violence. C’est un film dérangeant.

 


Dans ce supermarché incroyable de la pellicule foisonnant de lucarnes ouvertes sur la planète, l’objectif du cinéma national restera en berne ! Moi qui suis un fervent adepte du cinéma français et qui pense que notre 7ème Art vaut bien n’importe quel film américain de l’année, force m’est de constater la déroute du cinéma hexagonal. La french touch était fatiguée en cette édition 2008, les sophistications de ce nouveau cinéma se transforment en tics, les manières élégantes en maniérisme, les réparties tombe à plat, les scénarii convenus… comme si tout était déjà écrit, filmé, en boîte !  Un ton faussement ironique révèle le vulgaire, une barrière érigée de technique empêche toute expression et ressenti charnel, il n’y a qu’un jeu vide de sens qui tourne en rond à force de ne rien dire, rien filmer de la réalité. (passage écrit juste avant le dernier week-end !)

 

Et le sauveur tricolore fut… le dernier film de la sélection, le samedi 24 mai, veille du palmarès, dernier film programmé à la Licorne. Laurent Cantet dans un formidable Entre les murs, tiré du livre d’un enseignant François Begaudeau interprétant son rôle avec puissance et délicatesse au milieu d’un casting d’adolescents plus authentiques que nature. Film de la dernière heure du Festival, cette fiction investit la réalité en structurant l’image et le son comme pour un documentaire. C’est surprenant, plein d’humour, généreux, tendre, désespérant… c’est avant tout un vrai film de cinéma qui donne de l’espoir, qui offre une bouffée d’oxygène à ceux nombreux qui souffrent de voir le cinéma écartelé entre deux tendances : la fuite de la réalité ou son corollaire, le poids du sociétal comme horizon limite de la créativité.

Palme d’Or donc pour un film français après 21 années de disette. Palme d’Or surprise qui fera polémique…il fait nul doute mais attribuée à un vrai film de cinéma qui parle de la vraie vie pour des vrais spectateurs !

 

En forme de bilan de 12 jours de cinéma.

35 films pour se convaincre que le cinéma existe, une dizaine à éviter, une dizaine sur des problèmes de société par forcément très excitants, une dizaine de bons films qui font honneur au cinéma et au milieu, coulant telle une rivière de diamants, quelques bijoux à sertir d’avenir. Si je devais extraire les films qui me parlent le plus et qui rejoindront les pages glorieuses de mon 7ème Art, je citerais :

Walz with Bashir, le grand oublié du Palmarès à mes yeux.

L’Echange de Clint Eastwood.

Johnny Mad Dog de Jean-Stephane Sauvaire

Gomorra de Matteo Garrone

Le silence de Lorna des frères Dardenne.

Et bien sûr, la Palme d’Or Française Entre les murs de Laurent Cantet.

 

A cette liste, l’on pourrait ajouter tous les films dont je n’ai pas parlé, soldats inconnus à la flamme vacillante d’un art d’ombres et de lumières, projets s’échouant sur les rives de l’innocence, visions désordonnées de créateurs impuissants, manque d’idées comme manque de moyens, à-peu-près et facilité, laisser-aller et incapacité de contrôle… C’est la grandeur du cinéma de ne point être joué d’avance et de semer derrière chaque espérance, la grande incertitude du mystère de l’art. A la différence du sport, l’histoire ne retient pas seulement le vainqueur, elle conserve les traces de ceux qui échappent aux lois de la pesanteur pour rejoindre un paradis où les films s’épanouissent comme des fleurs d’enchantement.

 

Vive le cinéma donc, vive Manuel de Oliveira, son siècle et sa verdeur, le regard malicieux qu’il m’adressa au moment de signer la plaque d’argile où son empreinte s’était gravée. 1908/2008 inscrivit-il avec application en souriant du bon coup qu’il faisait au monde du cinéma. La jeunesse est éternelle pour ceux qui défient le temps avec l’arme de la création. Il restera sa mémoire comme pour nous rappeler que le temps est relatif et l’œuvre plus importante que son auteur. Elle échappe à tous les destins !

Et puis de ces nuits de partage, de ces heures blêmes, de ces paupières lourdes, de ces corps cassés, il restera comme un rappel à toutes les souffrances du monde, la magnificence des images volées à la monotonie et à l’ennui !

Vive le Festival 2009 !

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Les Palmes non académiques de Mister Bernie.

Publié le par Bernard Oheix

Quelques variations pendant le Festival... Cela m'évitera de revenir sur un certain nombre de films dans les articles qui suivront. C'est vrai que sur les 25 longs métrages (série en cours), en attendant le dernier sprint du week-end, il y a forcément quelques scories qui donnent envie de se défouler.
Et puis, le Festival de Cannes est un révélateur, il oblige à grossir le trait et à forcer la dose. A chaud, je vous livre donc un peu de cet exercice de style d'une critique acide au ferment de la dérision !
 

La palme en plaqué or du film le plus ridicule !
Sans conteste au monument des frères Larrieu érigé au sommet des Pyrénées. Pour un voyage au fin fond d'un scénario débile qui voit une Sabine Azéma vieillissante atteinte de nymphomanie en train de baiser avec un ours bulgare des Pyrénées pendant qu'un Chaman tibétain console Darroussin qui se fait appeler Dussolier (sic). Il faut voir Azéma nue en train de courir dans les montagnes avec une horde de pandores aux fesses et finissant en robe de bure, louée au Seigneur par des moines chantants dirigés par Philippe Katerine (resic)...Grâce à la foudre divine, Azéma et Darroussin vont échanger leurs corps et leurs voix en une inversion super-bandante !
Ô punaise, en me relisant, je me dis que je n'aurais pas aimé avoir l'intelligence et la finesse d'imaginer un scénario aussi délirant ! Mais comment donc les frères Larrieu de « Peindre ou faire l'amour » ont-ils pu composer une ode aussi débile à l'absurdité et au vide sidéral ? Encore un film qui va faire aimer la « french touch » à ceux qui pensent que le cinéma est né avec La guerre des étoiles ou avec L'arche perdu !

La palme en plaqué or au film ou il y a le plus de seringues et le moins de dialogues !
Better Things est un premier film de Duane Hopkins. Le premier plan est égal au dernier et à tous les plans qui s'intercaleront entre... ce qui nous fait penser que cela aurait pu être un court-métrage, voire une photo ! Il s'agit de visages boutonnants d'adolescents mutiques qui arrivent à prononcer trois mots à l'heure (quand ils sont en pleine forme) et qui n'ont d'autres occupations que de se planter une seringue dans les veines, ou de respirer un truc très violent qui leur fait chavirer des pupilles bovines en train de contempler les paysages... tout cela baigné dans le vert d'une campagne anglaise glauque et brumeuse comme leur dynamisme. C'est grand un enfant qui souffre !

La palme en plaqué or au scénariste le plus défoncé !
Tokyo Sonata de Kurosawa Kiyoshi commence comme une œuvre douce amère sur la cruauté du monde de l'entreprise. Des Chinois, payés 3 fois moins cher que les Japonais, prennent la place d'un directeur de 46 ans (Ah ! Le drame des délocalisations !). Il ne va pas oser le dire à sa famille par peur de perdre son statut de père tout-puissant et se retrouve dans la journée à la soupe populaire. Bon jusque-là, on suit un peu lentement mais plutôt avec attention... quand soudain ! Le scénariste ayant ingéré un produit illicite alors qu'il ne le supporte pas fait partir l'histoire dans une impasse dont il sortira à chaque fois dans la surenchère la plus absurde. Je vous passe les détails d'un vol avec effraction et prise d'otage de sa femme, qui va coucher avec le voleur qui se suicidera (très esthétique son suicide) pendant que le papa qui nettoie les « chiottes » trouve une enveloppe bourrée de fric entre deux cacas, et que le dernier fils devient en trois mois un génie du piano pendant que l'aîné s'engage dans l'armée des Etats-Unis pour défendre ce peuple qui lutte pour la liberté du monde et des autres peuples... Vous suivez ? Moi, y a longtemps que j'ai sombré dans la schizophrénie et que j'ai décidé d'arrêter de boire ! Vive les nippons déchaînés !

La palme en plaqué or du film le plus «nouveau cinéma français » !
S'il existait un label « France », Arnaud Desplechin serait décoré de l'ordre du mérite agricole national. Quand Matthieu Amalric tombe dans la rue, cela ne peut être que d'une façon très théâtrale quand bien même il a même pas mal ! Quand les protagonistes parlent, ils cisèlent des dialogues où chaque mot vaut son pesant de platine de sous-entendus et de silences qui en disent si long... Il y a les bancs publics filmés comme des tombeaux égyptiens et les sentiments humains qui sont des légendes dorées, des saynètes en dessins animés qui raccourcissent l'histoire et des séquences interminables où rien ne se passe qui l'allongent. C'est du nouveau cinéma, profond psychologiquement, avec une distribution qui réunit le gotha des acteurs branchés où le moindre balayeur s'exprime comme Shakespeare, où chaque plan est une aventure qui ouvre les portes de la perception, où l'ennui est tellement beau qu'il devient source de profondeur insondable.
Voilà donc une palme méritée pour tout l'effort de notre réalisateur à rendre compliqué ce qui est très simple : on s'en fout de ces états d'âme d'une bande de Bobos sortis de la naphtaline !

La palme en plaqué or du film le plus incompréhensible.
L'Argentine Lucrecia Martel réussit l'exploit de raconter une histoire à laquelle on ne comprend strictement rien. L'heure trente de La femme sans tête pourrait s'apparenter à un puzzle sans logique ni structure. C'est amusant 5 mn, puis on se lasse rapidement. Le spectateur est décervelé méthodiquement, on le mène sur des fausses pistes par le bout du nez. Entre une histoire labyrinthique et le faux qui se mélange au vrai, des ellipses pleines de sous-entendues et les manipulations du montage, cette plongée dans la maladie de l'absence devient rapidement une énigme insoluble et absurde. Le seul intérêt de ce film est de faire parler autour d'un bon verre de vin, dans mon jardin, entre deux projections et d'éclater de rire quand Le monde le lendemain introduit le paramètre que la réalisatrice refoule les années de la dictature en Argentine à travers ce scénario. Vive l'abscons !

Il existe aussi des petites palmes en plaqué or de poche pour des séquences de films.
L'idée tordue de faire un hold-up à Ramallah par une Américano-Palestinienne en est un exemple. Dans ce film « le sel de la mer » plutôt réussi, bien joué et sur un thème fort (le retour d'une réfugiée sur sa terre), une séquence absurde nous oblige à donner un avertissement solennel à la jeune réalisatrice Annemarie Jacir : quand l'idée est stupide, il faut la rejeter, pas de complaisance pour les effets scénaristiques faciles !
Une petite broche pour le réalisateur d'un bon film incapable d'en parler et de le défendre. C'est le cas de Radu Muntean dans Boogie. Film roumain intéressant, un peu longuet mais que l'on a envie de supporter. Las ! Le débat qui s'ensuivra avec le réalisateur ne sera pas à la hauteur. Son flot de banalités et son manque de recul prouvent à l'évidence que l'on peut savoir filmer sans pour cela maîtriser le discours. Dommage ! Il méritait mieux notre Roumain de service. Que l'après réalisme-socialiste est difficile à gérer... même le mot « politique » fait peur aux enfants de Ceausescu !

Enfin, je ne peux passer sous silence la flopée de petites breloques en plaqué or que j'adresse à l'ensemble des scénaristes, réalisateurs, dialoguistes, caméramans qui imaginent qu'il suffit de :
A) faire pleuvoir (beaucoup !) pour signaler que l'heure est grave !
B) qu'il est impossible de terminer un film sans avoir montré une femme nue dans une baignoire pleine de savon... en général, la scène suivante voit sa tête s'enfoncer sous l'eau pendant que l'on discerne la pointe des seins émerger !
C) d'écrire un dialogue où il y plus de silences que de mots et où, quand ils se décident à parler, les acteurs regardent dans le vide sentencieusement avec une constance qui démontre la qualité de leur non interprétation !
D) de filmer un plan de nuages qui roulent dans le ciel pour indiquer que l'univers est vaste et le cadre de l'écran trop étroit en regard de l'intensité des sentiments des protagonistes de l'histoire !
E) d'inclure toutes formes de tramways, bus, wagons, taxis, comme lieux décisifs de basculement de l'action dans les moments charnières de l'histoire !

Bon, c'est ma première livraison. Je vous parlerai dans la prochaine session des bons films, (il y en a quelques-uns !), de l'ambiance du Festival et de ma rencontre avec un centenaire du cinéma (presque l'âge de cet art !) qui a pour nom Manuel de Oliveira et dont le regard malicieux reste un espoir pour tous ceux qui pensent que vieillir, c'est mourir beaucoup !
A bientôt.

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Pégase, le messager des Dieux

Publié le par Bernard Oheix

On connaît la qualité de l’accueil de nos amis Corses, on ne va pas épiloguer sur cet aspect de mon séjour ! Je vous avais déclaré ma flamme l’an dernier devant la richesse et l’originalité de la création théâtrale. « E Teatrale de Bastia » se veut un rassemblement, une vitrine, un marché potentiel, une réunion de famille, un thermomètre de l’activité artistique de l’île de Beauté. Tout ne fut pas parfait dans cette édition, mais c’est le propre de l’art vivant d’être sur le fil du rasoir, sans aucune certitude. Heureusement, il y eut de beaux moments de rencontres, des propositions pas toujours abouties mais porteuses d’espoir, une effervescence en dehors de la scène en gommant parfois ses faiblesses ! Il s’agit là de culture, pas de mathématiques. Il n’y a pas de martingale magique qui guiderait vers le succès, qui assurerait la perfection d’une œuvre et impliquerait la reconnaissance du public.

Pourtant, une pépite était dissimulée dans la veine bastiaise de 2008. Un vrai grand et beau texte, admirablement mis en scène, interprété à la perfection. Je vous livre un page sur cette aventure intellectuelle, moins une critique théâtrale qu’un écrit d’émotions. C’est ma façon à moi de rendre hommage à la perfection de ce travail.

 

51, Pégase ou La confession de la bête.

De Marc Biancarelli

Mise en scène Jean-Pierre Lanfranchi

Avec Christian Ruspini.

 

Un dispositif scénique qui ouvre sur le noir et des mouvements sombres, furtifs meublant le silence. Il y a de l’ordre du chaos dans l’air, à l’image des cubes qui jonchent l’aire de jeu qu’un comédien s’efforce de remettre en place. Mais de quel ordre s’agit-il ?

C’est bien cette question que nous pose l’auteur. C’est bien l’interrogation du metteur en scène. C’est ce que réussit à transmettre un acteur d’une qualité incroyable, Christian Ruspini seul en scène et pourtant habitant de multiples personnages qui vont illuminer le temps d’une réflexion, celle d’une terre et de ses éclairs de cruauté. Plongée dans un passé récent pour conjurer un avenir complexe, société qui se cherche une âme mais dont la barbarie qui a présidé sa naissance ne peut qu’entacher d’une tare irréversible.

Le texte est d’une richesse formelle sublime, avec des mots qui parlent des maux d’une histoire à construire. Il prouve que les Corses peuvent envahir l’espace d’une langue en cherchant un sens à leur réalité. Marc Biancarelli est un auteur corse qui revisite un passé de violence en dessinant un futur d’interrogations. Grâce à une machine qui permet de voyager dans le temps et l’espace, il va peindre le tableau composite d’une épopée à la fois sublime et sordide. D’Aléria aux cendres d’un terrorisme dévastateur et de luttes intestines, se tisse la « geste » d’une fiction dans le regard introspectif d’un homme qui a accouché de cette folie meurtrière. Le goût du sang comme matrice de toutes les volontés de puissance. Peut-on construire une société libre sur les ruines qui ont induit sa fondation ?

Une voix off introduit la problématique. Un écrivain s’est exilé, il revient dans une Corse libre pour régler ses comptes, ceux d’une utopie qui n’a engendré que des rêves brisés. Un de ses anciens élèves a créé une machine (Pégase 51) qui permet de s’évader dans un monde d’Héroïc Fantasy où la guerre est abstraite et le sang couleur de vie. Ces deux univers vont cohabiter. Celui des actes qu’il faut solder, comme celui des mythes que l’on a entretenus au mépris des hommes.

Certaines scènes font froid dans le dos. Celles du racket et de la coercition provoquant un plaisir malsain à son auteur qui s’interroge : comment a-t-il pu engendrer ce petit soldat de l’innommable ? Le rapport au sexe avec cette femme objet que des hommes utiliseront pour assouvir leurs instincts les plus vils dans une boîte où l’on parle de bâtir un monde nouveau dans les volutes d’alcool et les bassesses d’une misère sexuelle. La vaillance à l’aune de la violence la plus primitive.

Il y a des chants désespérés dans cette complainte, et l’on sait que ce sont les plus beaux, les plus déchirants. L’acteur au fil de ses pérégrinations recompose inlassablement son espace en utilisant ses cubes de formes diverses, jamais symétriques, noir d’une face, rouge de l’autre. Empilés, de guingois, se chevauchant où prenant la forme des dolmens de Filitosa, sur le fil d’un état d’âme où l’hystérie se conjugue à l’abattement.

Cette pièce est un chef-d’œuvre. Manifeste philosophique, acte politique, histoire sublime de la petite histoire, elle reste une pièce de théâtre qui fascine par la densité de son propos, la complexité des thèmes traités dans la simplicité d’une mise en forme limpide comme un discours qui toucherait à l’essentiel. Et si l’art au fond n’était que cet accouchement douloureux que nous partageons avec les auteurs de cette pièce ?

Une voix off finale va conclure la problématique. Il y a du renoncement dans ce constat que la machine à voyager dans le rêve est plus réelle que l’ensemble des actes qui nous ont amenés à transgresser notre humanité. L’homme est encore trop imparfait pour s’affranchir des pesanteurs de son étroitesse. Il reste le verbe alors pour espérer. C’est ce que Marc Biancarelli et Jean-pierre Lanfranchi ont réussi à nous faire croire, du côté de Bastia, dans une Corse bien vivante.

Les attentats continueront à égrainer leurs nuits bleues, la vie en rose prend sa source dans la sensibilité d’artistes qui redonnent au genre humain quelques lettres de noblesse. C’est toute la force et la magie des Théâtrales de Bastia de nous offrir cette vision d’une Corse capable de s’élever vers le monde des idées pour atteindre à l’universel d’un discours sur l’homme moderne.

 

PS : Une programmation à Cannes dans la saison 2008/2009 ? A étudier de toute urgence !

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