Le grenier de la mémoire 15 : un mec à l'OMACC
Septembre 1988. Je débarque à La Malmaison, siège de l'OMACC. Sur la Croisette, jouxtant l'ancien Palais des Festivals, une maison baroque sur 3 étages avec vue imprenable sur la rade et les iles de Lérins qui ferment l'horizon. En même temps que la Direction des Affaires Culturelles de la Ville, René Corbier assure la responsabilité de l'OMACC (Office Municipal de l'Action Culturelle et de la Communication). D'un côté le "public", de l'autre l'associatif, le "privé". Une double casquette bien dans le mélange des genres de cette époque où la démocratie a encore quelques progrès à faire, où les politiques se pensent au dessus des lois et intouchables, où la moralité fait cruellement défaut à la poignée de "quadragénaires" républicains qui secouent le cocotier, et pas seulement sous les feux de la Croisette !
On achève le premier mandat de François Mitterand, l'espoir et l'enthousiasme de son élection se sont éteints dans les feux de l'affairisme et des compromissions. La Côte d'Azur est un creuset de la lutte entre les tenants d'un héritage Gaulliste et la poussée d'une jeune droite dont un des leaders est François Léotard, le flamboyant maire de Fréjus. Les Carignon, Madelin, Noir et autres "jeunes" aiguisent leurs couteaux en prévision des élections municipales qui auront lieux dans quelques mois.
A Cannes, Anne-Marie Dupuis fait partie de la vieille garde d'un Gaullisme à bout de souffle et son mandat s'achève dans l'immobilisme et le pathétique. Michel Mouillot, jeune et ambitieux ami de Léotard, est bien décidé à conquérir Cannes et à insuffler un sang nouveau à la Ville du Festival !
C'est dans cette période charnière que je m'installe au 1er étage. Le contact avec Corbier est excellent. Il prend la place symbolique d'un "grand frère" en me guidant dans mes premiers pas. Il me confie des cartons avec la mission de produire les "Actes du Colloque sur le Masque de Fer" qu'Alain Decaux venait d'assurer sur Cannes. Je vais me plonger avec délice dans la masse d'interventions et éditer un opuscule sur ce personnage de légende de l'Ile Sainte-Marguerite. Livre qui des années plus tard sera toujours en vente au syndicat du tourisme. Mais je ne vous dirai pas qui se cachait sous le masque. Pour cela, il faudra visionner l'excellent documentaire-fiction de mon ami Arnaud Gobin, "Les Prisonniers de l'Ile" où je campe St Mars, le geôlier du prisonnier le plus célèbre de Cannes ! Clin d'oeil de l'histoire !
Et dans le bruit et la fureur d'une campagne municipale électorale meurtrière où tous les coups sont permis, je prends possession de mon poste de Directeur-Adjoint.
A l'époque, l'OMACC est une structure composée de bric et de broc avec un personnel hérité de l'histoire, plutôt âgé et peu performant. L'objectif de son Directeur est de la transformer en une machine de guerre pour la culture et l'animation, et ce d'autant plus, que l'arrivée imminente d'une nouvelle équipe laisse présager d'une refonte radicale de tout ce secteur.
Et c'est ce qui va se passer avec l'élection de Michel Mouillot et la nomination d'une Adjointe à la Culture Françoise Leadouze qui vont révolutionner la vie cannoise en cassant les vieux codes et en insufflant un sang nouveau à tout le secteur.
Cette aventure durera un peu plus de 3 saisons pour moi. Exaltante, riche... Nos réunions, le soir tard, cigarettes et verre de vin, avec Francoise et René, où nous reconstruisions, à défaut du monde, une structure en pleine évolution et dont les missions s'élargissaient.
Préhistoire du Festival des Nuits Musicales du Suquet (les sièges étaient non-numérotés et la billetterie manuelle), Festival du Livre, Rencontres Cinématographiques de Cannes à leurs débuts, quelques programmations ponctuelles, travail dans les écoles et lycées pour drainer vers les salles les élèves, un gigantesque chantier s'amorçait et mon poste de numéro 2 me convenait parfaitement. J'étais libre, les coups, le rapport aux politiques, c'est René Corbier qui les prenait, et pendant ce temps je bâtissais une équipe en recrutant des Sophie Dupont, Florence Jacquot, Elisabeth Lara..., tout un bataillon féminin qui allait former ma garde prétorienne jusqu'à ma retraite 25 ans après ! J'organisais les manifestations, développais des projets, à la fois totalement intégré et électron libre, toujours dans la complicité avec mon directeur ! Des années bonheur, insouciantes !
Mais le moment de l'année que nous attendions tous, c'était le Festival Guitares Passions, une manifestation totalement improbable crée par Pierre Olivier Piccard dont nous assurions la production. Des stagiaires aux stars de la guitare dans tous les genres, des cours aux concerts, des jam's sessions la nuit dans des halls d'hôtel. Une folie qui débordait dans la ville et nous plaçait à l'épicentre d'un tourbillon musical !
C'est d'ailleurs en cette occasion que j'ai réussi un de mes plus beaux coups ! La Reconstitution de la Bataille de Nashville. Sur une idée de Marcel Dadi, fan de Chet Atkins, l'invité d'honneur, nous avions imaginé une reconstitution en habits d'époque sur les allées de la Liberté en front de mer, centre ville ! Il a fallut trouver des associations de "fans" pour jouer les armées (Une pour le Sud, une autre pour le Nord), des camions de terre et des tracteurs pour aménager les tranchées, des bottes de paille... En ouverture, les hymnes des deux armées interprétés par Atkins et Dadi, en live et en même temps, et le public venu en masse qui n'en croyait pas ses yeux !
2 anecdotes : dans la bande de "frappadingues" qui ont débarqué de Belgique et de France, il fallait un bataillon nordiste d'éclaireurs indiens... lequel bataillon se réduisait à un seul "indien" par ailleurs. Cheveux nattés, teint cuivré, vêtu d'un pagne et d'un gilet de cuir à frange, il y croyait dur comme du fer à sa mission d'éclaireur. C'est sans doute à cause de cela, que la veille de la reconstitution, la police municipale m'a réveillé en pleine nuit pour me demander si l'énergumène qui se promenait à 2h du matin dans la rue d'Antilles, un immense coutelas à la taille, faisait bien parti de notre opération. Il a fallu que je me lève et que je le délivre des mains des "pandores" interloqués pour le ramener à son campement des allées de La Liberté où ils dormaient, le camp nordiste en face du camp sudiste ! Et le lendemain, en pleine action, il a grimpé sur un platane pour "éclairer" ses alliés sur les mouvements des troupes sudistes... lesquels avec force canons et mousquets ont déclenché une attaque foudroyante, l'isolant de son corps d'origine ! L'éclaireur Indien, bloqué sur sa branche à 5 m de hauteur et paniquant, qui jusqu'à là s'exprimait en borborygmes, se mit à hurler en bon Français, "-Laissez moi descendre, je veux descendre !" dans l'hilarité générale !
La 2ème porte en soi la preuve évidente que la victoire du Nord était inéluctable. Au lendemain de la reconstitution, après une nuit où sudistes et nordistes, touts camps confondus, avaient abondamment fêté leur victoire en ingérant des liquides ambrés, deux bus se pointèrent à 10h pour récupérer les "acteurs" à notre plus grande satisfaction pour les emmener loin de leur théâtre d'opération, dans leurs villes d'origine. A notre grande surprise, tous les nordistes, camp démonté, tentes rangées, malles alignées, attendaient sagement de monter dans leur bus... Pendant ce temps, un bordel innommable régnait chez les sudistes, certains dormaient encore, d'autres se baladaient, certains buvaient leur café, dans la cohue indescriptible de leur camp ! Comme quoi, parfois, l'uniforme fait la norme et l'homme rejoint l'histoire !
3 années intenses... qui vont s'achever dans une certaine confusion que je vous raconterai dans un prochain billet ! Une véritable aventure humaine dans une ville hors du commun. J'ai beaucoup appris pendant cette période. j'ai aussi pris confiance. J'ai gardé des ami(e)s pour la vie, Françoise Léadouze, René Corbier, j'ai constitué un fond d'équipe qui allait me suivre jusqu'au bout de la nuit, dont Sophie Dupont qui allait devenir mon adjointe pendant plus de 20 ans et mon âme soeur... elle me succèdera d'ailleurs à mon départ à la retraite.
J'y ai aussi gagné une certaine crédibilité et la certitude, au fond de moi, que je n'avais pas usurpé ma place et que j'étais bien là où je devais être !
Et que je méritais d'y être !