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Les Muvrini pour toujours !

Publié le par Bernard Oheix

Les muvrini, les mouflons corses, entre la tradition et la modernité. Je les avais découverts en concert, au tout début de leur carrière, sur une plage de Moriani, en face de Bastia, au début des années 80, dans des polyphonies subjuguantes qui m'avaient emporté dans l'univers des musiques du monde, sur les rives d'un chant ancestral où la voix porte les sons en ouvrant les portes de l'inconnu !

Depuis un demi-siècle, ils ont affronté des scènes innombrables, un public acquis à la cause d'un chant universel et diffusé un message de paix et d'harmonie dans un monde se convulsant et plongeant dans la violence de l'intolérance.

Ils sont un mythe et les mythes sont faits pour perdurer. Ils sont des immortels qui ont marqué l'histoire d'une île et d'un peuple, sous la conduite de Jean-François et Alain Bernardini, les frères emblématiques d'une corse magnifiée !

Et j'ai eu l'incroyable privilège des les programmer 3 fois dans mes saisons culturelles cannoises et d'assister à une dizaine de leurs concerts... 

Les Muvrini pour toujours !

C'est dans un Palais des Festivals comble, programmés par Sophie Dupont, la Directrice des Évènements, qu'ils sont venus pour une tournée ambitieuse, 9 musiciens sur scène et une cohorte de techniciens réglant le son et la lumière, un merchandising où leurs CD, posters, photos s'arrachent à la volée. 

Jean-François Bernardini entre dans le noir et sa voix chaude transmet d'entrée un message d'amitié... l'émotion sera au rendez-vous en ce dimanche 7 avril 2024 ou corses et non-corses vont communier dans une ferveur portée par des musiciens remarquables. Les voix des chanteurs avec Alain Bernardini en chef de choeur, un clavier et une batterie, discrets mais omniprésents, un guitariste qui fait chanter les cordes, un bassiste black remarquable, un poly-instrumentiste, cornemuse, flûtes et autres, et enfin, une violoncelliste pour accorder tous ces musiciens et donner un glissando qui fait penser au souffle du vent dans les collines de la Castagniccia.

Un son puissant, des lumières sophistiquées, une mise en scène sans fausses notes, donnent une couleur extraordinaire au concert et suspendent le temps pour 2 heures et demi de ravissement entrecoupés d'interventions spontanées du leader sur les thèmes de la non-violence, de l'amitié entre les peuples, de la folie du monde et des maffieux qui pervertissent le tempo d'un monde nouveau.

Il improvisera aussi avec humour sur la corse, ses rites et ses expressions, mais jamais ne transgressera une règle d'or : parler au nom de tous, à tous, et autoriser le rêve d'un monde meilleur en partage !

Et c'est dans une ferveur incroyable, le public debout battant des bras et chantant avec eux, que les Muvrini achèveront leur soirée avant de rejoindre les spectateurs éblouis dans le hall de la salle pour un dernier échange d'amitié et de partage.

Un concert qui fait date et une corse que l'on ne peut qu'aimer : merci à vous de vous être livrés avec votre naturel et votre sensibilité. 

Pace e salute !

Les Muvrini, ou le bonheur de se sentir vivant et de traverser le temps en cherchant toujours à être sincère et à innover !

Les Muvrini, ou le bonheur de se sentir vivant et de traverser le temps en cherchant toujours à être sincère et à innover !

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Le Système Castafiore : clap de fin !

Publié le par Bernard Oheix

Depuis 40 ans, le Système Castafiore offre une vision décalée de la danse en utilisant une panoplie d'arts connexes : les costumes, les formes imaginaires, une bande son travaillée, des propos incongrues, des mouvements piochés dans un imaginaire débordant.

Marcia Barcellos et Karl Biscuit se sont rencontrés pour la vie et pour la création, et j'ai eu le privilège, au long de ces 26 pièces de les accompagner, de suivre l'évolution de leurs travaux, de communier avec eux et une troupe soudée par un idéal.

Leurs pièces sont des cris, de désespoir souvent, d'humour toujours et portent l'espoir d'un monde nouveau. C'est un honneur pour moi d'être leur ami et c'est avec nostalgie que je me suis présenté le vendredi 15 mars au Théâtre de Grasse, ville de leur résidence depuis 1997, pour la première de leur dernière création. Un évènement qui ne pouvait laisser insensible ceux qui aiment la vie dans le spectacle ou le spectacle de la vie !

Le Système Castafiore : clap de fin !

Dans Post-Card, le duo de créateurs plonge dans les abysses de leur propre histoire en offrant un panorama serti de bijoux tirés de leurs nombreuses créations. C'est un flash-back étonnant, retrouver des sensations enfouies, faire resurgir des images, des mots, des gestes que nous avions tapis dans notre inconscient. Mais l'art des Castafiore c'est de faire du neuf, même avec du vieux, et la proposition initiale ne s'enferme jamais dans la nostalgie, bien au contraire, elle se sublime et offre en deux fois une heure, une véritable création jonglant avec des bribes de leur passé.

Un bouquet final à couper le souffle, pour un dernier cri d'amour à cette scène qui leur offrait la possibilité de rencontrer un public et de nouer avec lui, un lien passionné et passionnant !

Le 1er acte est à dominante sombre, les animaux fantasmés de leur imaginaire peuplent l'espace scénique et les danseurs évoluent sur le fil, entre le non-sens et la beauté d'un geste, dans un dispositif technique sublimé et une musique éthérée. 

Le 2ème acte sera plus coloré, des mots et des phrases sentencieuses permettant des chorégraphies plurielles où l'absurde s'installe comme pour dénoncer la vanité de ceux qui pensent trop à un monde ordonné dans notre univers déréglé.

Alors oui, Le Système Castafiore peut se retirer sous un tonnerre d'applaudissements, avec la satisfaction du devoir accompli dans un ultime opus bien nécessaire pour la compréhension de la vastitude de leur travaux s'étalant sur 4 décennies.

Mais une question se pose, qui pourra reprendre le flambeau de cette flamboyance, qui pour perpétuer cette recherche si précise d'un geste décalé, d'un monde a créé, d'un univers à nul autre pareil ? 

Le Système Castafiore : clap de fin !

Alors Marcia et Karl, merci pour ce privilège que j'ai eu de partager un peu de votre vie, de vos passions et de votre profonde sincérité. Vous avez porté le flambeau de la danse et d'un art à la Française dans des tournées qui vous ont menées aux quatre coins du monde mais vous n'avez jamais oublié d'être vous-mêmes, à nul autres pareils, mais toujours si proches de vos racines et de vos passions.

À bientôt donc, pour de nouvelles aventures, dans ce monde qui souffre et où la culture semble bien négligée par tant d'irresponsables ! Bravo à la Ville de Grasse qui vous a toujours soutenu et vive le geste libéré dont vous étiez l'incarnation et qu'il faudra chercher et trouver désormais chez d'autres créateurs !

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souvenirs, souvenirs !

Publié le par Bernard Oheix

Plongée dans quelques souvenirs d'un temps passé mais si présent ! Suite à mon intervention à la bibliothèque Nucéra de Nice sur La Métisse du Peuple des Épines, j'ai cherché un certain nombre de documents pour illustrer ma conférence et au hasard de cette démarche, des photos, des textes ont émergé de ma mémoire et de mon ordinateur...

Cela m'a donné l'envie de partager avec vous quelques uns de ces souvenirs, comme en rappel d'un temps béni pour la culture, cette période des années 90 où tout semblait possible, où les grands anciens poussaient encore leurs dernières notes, où le rêve pouvait se conjuguer au présent, où la gloire n'était pas un morceau d'un réseau social mais bien une démarche ou l'artiste s'exposait aux yeux de tous et partageait le verre de l'amitié avec ses interlocuteurs. 

Voici donc quelques pages de mon album souvenir !

L'homme de La Messe pour le Temps Présent, celui qui a révolutionné une certaine approche de la danse moderne en la vulgarisant auprès du grand public. Ma première rencontre avec cet homme de légende se passait en Avignon en 1969, l'année de mon bac, quand en arrivant pour le festival, je lus sur la route cette immense inscription : "Béjart fait la pute sur le trottoir de la contestation". Des belges, qui dormaient à la belle étoile sur la Bartelasse, à côté de mon sac de couchage, m'emmenèrent dans le palais des papes pour "À la recherche de..." avec Jorge Donn et Maria Casarès ! Le choc ! Et c'est bien longtemps après que j'ai pu l'accueillir à Cannes et siroter un verre en compagnie d'un de mes maitres !

L'homme de La Messe pour le Temps Présent, celui qui a révolutionné une certaine approche de la danse moderne en la vulgarisant auprès du grand public. Ma première rencontre avec cet homme de légende se passait en Avignon en 1969, l'année de mon bac, quand en arrivant pour le festival, je lus sur la route cette immense inscription : "Béjart fait la pute sur le trottoir de la contestation". Des belges, qui dormaient à la belle étoile sur la Bartelasse, à côté de mon sac de couchage, m'emmenèrent dans le palais des papes pour "À la recherche de..." avec Jorge Donn et Maria Casarès ! Le choc ! Et c'est bien longtemps après que j'ai pu l'accueillir à Cannes et siroter un verre en compagnie d'un de mes maitres !

Un des plus beaux coup de ma carrière de programmateur ! Tricarde car alcoolique et annulant ses concerts, je la contacte par un ami américain qui la connaissait. Je déjeune avec elle dans un hôtel de St Jean Cap Ferrat et nous topons pour un comme back à Cannes ! Le concert sera sublime et elle renaitra de ses cendres en redevenant l'éternelle Lizza. Il y avait une vraie émotion quand je l'accompagnais en la soutenant avant l'entrée en scène. Mais quand la lumière jaillit elle redevint cette femme éternelle d'une scène qui la transportait !

Un des plus beaux coup de ma carrière de programmateur ! Tricarde car alcoolique et annulant ses concerts, je la contacte par un ami américain qui la connaissait. Je déjeune avec elle dans un hôtel de St Jean Cap Ferrat et nous topons pour un comme back à Cannes ! Le concert sera sublime et elle renaitra de ses cendres en redevenant l'éternelle Lizza. Il y avait une vraie émotion quand je l'accompagnais en la soutenant avant l'entrée en scène. Mais quand la lumière jaillit elle redevint cette femme éternelle d'une scène qui la transportait !

Une exposition de photos de Chiara Samughéo, sa présence pour le vernissage, une suite de rendez-vous, de coups de téléphone, comme celui d'une finale France-Italie en foot que nous avions remportée et mon coup de fil "-On a gagné Claudia !" auquel elle répondit par un "-mais non, on a perdu !".  Tant d'autres moments comme ce repas au Majestic à l'ouverture du Festival du Film avec Chiara et son "-dire qu'il m'avait demandé de faire la montée des marches avec un collier Choppard. Mais je suis tellement mieux avec vous !". Sous le sceau d'une amitié, le plaisir de se retrouver. Claudia, une de mes muses qui m'a offert le plaisir d'être à ses côtés par choix, et tant d'anecdotes qui remontent quand je pense à elle ! Claudia for ever !

Une exposition de photos de Chiara Samughéo, sa présence pour le vernissage, une suite de rendez-vous, de coups de téléphone, comme celui d'une finale France-Italie en foot que nous avions remportée et mon coup de fil "-On a gagné Claudia !" auquel elle répondit par un "-mais non, on a perdu !". Tant d'autres moments comme ce repas au Majestic à l'ouverture du Festival du Film avec Chiara et son "-dire qu'il m'avait demandé de faire la montée des marches avec un collier Choppard. Mais je suis tellement mieux avec vous !". Sous le sceau d'une amitié, le plaisir de se retrouver. Claudia, une de mes muses qui m'a offert le plaisir d'être à ses côtés par choix, et tant d'anecdotes qui remontent quand je pense à elle ! Claudia for ever !

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Rencontre à Nice autour de La Métisse !

Publié le par Bernard Oheix

Pascal Albertini, un vieux complice de mon fils, un des responsables de la bibliothèque Nucéra de Nice, m'a invité ce vendredi 1er mars, à une rencontre à l'auditorium avec le public afin de présenter La Métisse du Peuple des Épines.

Exercice complexe, quelques nuits tourmentées en écho de la peur d'une salle vide, à une prestation sur un objet si précieux à mes yeux à faire partager, avec l'ombre de Talike, la métisse sur mon épaule, elle qui vit dans cet île mystère comme un choix d'assumer son clan et sa fratrie.

Bonne nouvelle, 35 personnes pénétrant dans la salle sur la musique de Tiharea, quelques têtes connues émergeant de mon passé, de vieux complices heureux de me retrouver

 

Avant la tourmente, le temps suspend son vol !

Avant la tourmente, le temps suspend son vol !

Talike, sa voix chaude comme un baume sur la douleur d'un monde imparfait !

Talike, sa voix chaude comme un baume sur la douleur d'un monde imparfait !

Mon complice Gilles Ferretti, le technicien de la salle si efficace et si attentionné, m'aura permis de jongler avec la technique, entre la musique, les images et la présentation du livre. Que dire si ce n'est que j'avais l'impression de communier avec mon passé, avec le présent de Talike, avec le désir que mes mots trouvent la lumière dans le regard des autres !

Alors, je ne sais si l'entreprise fut une réussite, mais je suis persuadé que l'annonce probable d'une tournée de Talike en Europe aura touché le public subjugué par la voix d'une chanteuse hors norme !

Je tiens donc à remercier tous ceux qui m'ont aidé à me lancer dans cette aventure de l'édition de La Métisse du peuple des épines : Myriam Zemour et Jean-Marie Martinez mes correcteurs complices, Éric Dervaux, le photographe et l'ami de tous les jours, mon éditeur, Frédéric Ovadia et son assistante Laurence Berlioz qui a suivi mes errements avec professionnalisme et amitié, l'équipe de la Bibliothèque Nucéra dont Pascal Albertini et Gilles Ferretti sont la preuve que l'amitié et le courage existent encore dans la relation entre les individus. 

Et si dans l'écoute et l'attention de ceux qui étaient présents, quelques mots, quelques chants résonnent encore, alors je n'aurai pas écrit ce livre pour rien. Merci à vous les Fédérica, Georges, Anna, Alain et et Désirée qui par votre présence, calmez les tempêtes qui agitent les affres de la création !

Rencontre à Nice autour de La Métisse !

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Nouvelles de mes nouvelles !

Publié le par Bernard Oheix

Au fil des années et des images insoutenables d'une humanité en souffrance, j'ai accumulé une série de nouvelles dont j'envisage la prochaine édition chez mon éditeur Ovadia.

Vous avez pu découvrir Ali est né dans le précédent article et je vous livre le préambule de ces 16 récits qui véhiculent le regard désorienté de celui qui cherche un peu de vérité dans la cruauté des hommes et la barbarie d'un monde qui perd son sens dans la fureur des drames qui le consument !

Bon courage !

 

Dans le domaine de l’horreur, la réalité dépasse largement la fiction et rien ne peut décrire la vraie douleur de quelqu’un qui souffre dans sa chair, dans son esprit. Les mots sont impuissants, les phrases inutiles, il ne reste que ce déchirement profond de l’être meurtri, cet impossible partage d’une souffrance indicible. Vous pouvez essayer de reproduire avec ce maigre alphabet les cris intérieurs, ils seront toujours assourdis, si loin de la crudité d’un hurlement qui doit jaillir en réponse au mal qui ronge.

Quand l’on regarde les actualités télévisées, quand on parcourt les feuilles d’un journal, plonge dans les reportages d’un magazine, on est appelé à croiser nos regards, nos pensées avec des évènements qui, chacun, représente une somme de douleurs et de drames incommensurables comme aucun scénariste, aucune fiction ne pourrait les rendre.  Quoi de plus odieux que la situation au Darfour avec ses populations exterminées, ses enfants violés, cette faim qui dévore une partie de notre humanité ? Quoi de plus intolérable que ces femmes toujours voilées de l’Afghanistan, cette déforestation de l’Amazonie, la situation au proche orient, la haine du juif et de l’arabe, les ravages du sida en Afrique, le commerce de la chair en Thaïlande, le corps décharné d’un homme rongé par la drogue, le ventre vide et si gros d’un enfant au bord d’une route sans destination ?

Et pour tenter de comprendre ma démarche, établir un lien entre le regard apeuré d’un enfant au moment du sacrifice et celui de son bourreau, fait-il de vous un propagandiste de ce drame ? Que peut-on découvrir derrière les prunelles exorbitées de l’auteur de cette sauvagerie barbaresque qui ne peut contrôler ses pulsions morbides et souffle sur les braises du cauchemar ? Existe-t-il un châtiment à la mesure de l’horreur accomplie ? Un million de victimes sous les yeux des occidentaux dans la région des grands lacs africains ont-ils valeur de symbole pour des sociétés repues dans leur conformisme et dans la paix illusoire de leurs frontières ?

 

Dans toutes ces histoires, dans les emballements de ces élans mortifères, il y a toujours en point commun la décapitation des élites intellectuelles et des artistes pour des raisons aussi contradictoires que le pouvoir absolu, la domination de la matière sur l’esprit, le refus d’ouvrir une porte sur l’avenir par les gardiens qui en possèdent les clefs. Tous ceux dont les cris peuvent devenir audibles deviennent suspects, tous ceux dont l’écho peut transformer la souffrance en actes et la dévoiler aux yeux du monde sont des dangers pour les maîtres de l’horreur qui campent sur ces ruines gorgées de douleurs.

Derrière le masque de la religion qui autorise toutes les vilenies, derrière les potentats nationaux, locaux, les caïds de quartiers, il y a toujours le goût du pouvoir, les intérêts privés, la raison de la force sur la force de la raison, histoire éternelle où le plus démuni est toujours la victime. C’est ainsi que se construit le monde, que s’érige l’histoire de demain, dans la frénésie des passions exacerbées !

Ce mal ne touche pas seulement le tiers monde, les pays de la faim, l’obscurantisme des sans espoirs, il gangrène les riches qui entretiennent cette pauvreté, il corrompt les nations arc-boutées sur leur sang, leur race, leur histoire falsifiée, leurs légendes frelatées de héros inutiles. Brecht déclarait : « Bienheureux les pays qui n’ont pas besoin de héros », il se trompait, il n’y a pas de pays heureux, il n’y pas de société « humaine », juste une gigantesque arène où la partition de la mort est la seule conduite que nous avons trouvée pour aller vers le futur en boitillant, cahin-caha, éclopés de la vie, perclus des drames que nous refusons de voir et d’entendre, parmi les millions de morts et de bouches avides qui appellent au secours désespérément sans que jamais on les entende.

Que reste-t-il de ces drames si réels ? Quelques photos jaunies par le temps toujours chassées par d’autres documents encore plus cruels, l’horreur n’ayant pas de frontières et reculant les limites de l’indicible, de l’inaudible ! Le sentiment confus d’un marasme avec en revers cette capacité de fermer les yeux, de clore nos oreilles, de fermer nos bouches afin de ne pas désespérer de nous-mêmes et de continuer à vivre malgré la cacophonie ambiante dans l’atonie la plus totale.

Il n’y peut-être rien à faire. Nous avons accepté la dérégulation sauvage pour une rentabilité à court terme et l’exploitation des plus faibles au profit des nantis, nous nous aidons d’une religion comme une béquille qui nous garantirait la vie éternelle en rémission d’une vie de souffrance, nous acclamons les forts et les portons au pouvoir en démissionnant de notre droit de contrôle, blanc-seing dont ils usent largement devant notre apathie, nous abandonnons notre planète à nos déchets,  faisons mourir nos rêves parce qu’il est plus facile de se laisser porter par les flots tumultueux de nos faiblesses que de se battre pour une liberté qui ne serait pas seulement la nôtre, mais un bien de partage, un trésor commun qui impliquerait une vigilance de tous les instants. Il y a si peu d’humanité en l’homme que l’on peut désespérer de lui.

Alors que faire ? Le temps des révolutions est bien terminé, elles ont si peu accouché d’un monde meilleur que l’on peut légitimement s’interroger sur leur utilité. Fermer les yeux et rejoindre la grande masse de ceux qui privilégient l’illusion d’un confort parce qu’ils sont nés du bon côté de la frontière et ne veulent pas sentir la colère gronder dans le ventre de ceux qui n’ont rien ? Léguer à nos enfants un monde où le cancer de l’égoïsme se développe, tenter de vivre tout simplement ? Savoir que l’on a si peu de place et d’importance qu’il n’est nul besoin de revendiquer d’exister et de trouver un sens à sa vie pour aspirer au bonheur.

 

Peut-être un peu de tout cela ! Etre capable de dire non, de pleurer devant la souffrance des autres, de s’émouvoir et de rêver, de rire et de respecter. C’est par les mots que je veux lutter, en dessinant les contours d’un univers incomplet, en mettant en exergue les plaies de notre tissu social, les déchirures de nos rapports à l’autre, en décrivant la souffrance de la victime tout en tentant de saisir les revers cachés de celui qui commet l’irréparable, en riant de ne pas me prendre au sérieux tout en offrant la description de quelques moments d’inhumanité à la sagacité du lecteur qui me suit dans le parcours erratique de ces troubles si inhumains. Puisse-t-il partager un soupçon d’émotion et panser quelques plaies, puisse-t-il offrir un peu de réconfort à ceux qui en sont trop démunis.

Si le stylo était une arme, il pourrait venger bien des humiliés, si l’esprit primait sur la matière les larmes se fondraient en un océan de douceurs, si le soleil se décidait à briller pour tout le monde, les exclus se retrouveraient exposés à ses caresses. Les mots restent des mots, les idées des idées, mais la douleur est tangible, les blessures saignent et nous avons si peu de temps pour apprendre à grandir et aimer.

Voilà donc un chapelet de nouvelles qui ont pour but de vous étonner, de vous émouvoir, parfois de vous entraîner sur les rives escarpées de l’horreur au quotidien. Partageons-les comme le pain qui accueille ceux qui ont faim à l’issue d’une grande traversée du désert. Rappelez-vous, ce ne sont que des mots, des lettres de papier, des signes tracés sur une feuille blanche. Mais derrière ces mots, on trouve une réalité que même les phrases les plus sincères ne peuvent pas décrire : celle de millions et de millions d’êtres humains qui souffrent dans leur chair et dont les rêves sont bornés par l’ignominie de leurs frères.

De l’écrivain qui compose une partition définitive destinée à venger son talent méconnu au cerveau torturé d’un bourreau exécutant les victimes innocentes d’un génocide, d’un sniper se complaisant dans la brutalité et jouissant de la torture à une naissance en accéléré au bout d’un cordon qui s’avèrera comme un film en raccourci d’une vie incomplète, d’une malle bourrée de chefs-d’œuvre inconnus aux yeux d’une proie terrienne dans un café galactique, de Betty, hantée par les camps de la mort à cet enfant de la guerre à la recherche d’un ennemi fantôme, de tous ces personnages, il ne restera sans doute que l’amertume d’un monde à construire pour que vivent les hommes et qu’ils apprennent à se regarder comme des êtres humains, se détachant de ces liens tragiques qui les réunissent et sont le dénominateur commun de leur incapacité de vivre en harmonie.

 

Bonne lecture.

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Ali est né (La suite) !

Publié le par Bernard Oheix

-Qu’est-ce que je peux faire ?

-Qu’est-ce que je peux faire ?

-Tu sais pour l’infirmier qui m’a violée le mois dernier dans sa voiture, quand il m’a sodomisée, figure-toi qu’il a introduit un rat dans mon anus et depuis Nestor remonte petit à petit dans ma colonne vertébrale pour me dévorer le cerveau…

-Nestor ?

-Ben oui, le rat ! C’est ainsi que je l’appelle, tu ne trouves pas que c’est mignon pour un monstre qui me dévore le bulbe rachidien.

-Mais que veux-tu que je fasse pour te soulager ?

-Simple, il faudrait que tu introduises ta main dans mon cul et que tu t’enfonces pour l’attraper. Je suis sûre de mon coup, quand il verra tes doigts s’agiter, il va se jeter dessus et les mordre. Tu n’auras plus qu’à retirer le bras et il sera piégé. Je le mettrai dans une cage et il regrettera d’être venu au monde, par contre il faut que tu penses à me faire jouir quand tu seras en moi, et après, il faudra bien se laver les mains. Tu peux le faire pour moi, dis ?

Je ne savais si j’en avais vraiment envie. J’hésitais en soupesant le pour et le contre quand Sophie, la grande Sophie est arrivée. Cela faisait trois ans qu’elle était muette. Un matin pendant la réunion, elle s’était dressée et avait déclaré qu’elle refuserait désormais de s’exprimer. C’était son auto-stoppeur, celui qu’elle avait chargé sur la nationale 7 et qui l’avait violée pour s’installer dans sa tête qui la commandait et elle en avait vraiment marre d’entendre ses mots dans sa propre bouche. Tout ce qu’elle disait provenait de lui, et le seul moyen de le faire taire était de la fermer définitivement. « -Je me révolte désormais, il pourra guider mes gestes, j’en suis désolée, il est odieux, mais au moins mes pensées seront miennes. » Elle s’était rassise et depuis on n’avait plus entendu le son de sa voix. Cela ne l’empêchait pas de vivre avec le groupe, c’était juste un peu plus compliqué pour communiquer avec elle.

 Elle a croisé son index et son majeur pour signifier qu’elle voulait une cigarette. Nadia lui en a tendu une et elle l’a enfournée, la mastiquant avec délectation. Elle a déglutit son tabac et craché quelques brins puis est rentrée se vautrer devant le téléviseur pour fermer les yeux.

C’était une journée vraiment compliquée et les choses ne se sont pas arrangées avec Micheline qui a déboulé de la maison en montrant le ciel. Elle  s’est mise à hurler : -Regardez, venez voir, y a  des bites qui volent de partout. Elles arrivent tôt cette saison ! Faites attention, elles vont se mettre à pisser !

Je n’y croyais pas une seconde bien sûr, mais j’ai quand même enfilé mon bonnet, on ne savait jamais trop avec les bites volantes !

-Ecoute, Nadia, tu devrais plutôt envoyer Ali pour piéger ton rat.

-Mais je peux pas, tu me l’as pas encore fait, ou alors viens derrière la porte, je te suce un peu et avec de la chance j’aurai mon bébé, mon petit Ali.

Je n’avais vraiment pas envie d’une pipe à cette heure, d’autant plus qu’un nouvel arrivant avec une barbe longue jusqu’à la taille se pointait à l’horizon. C’est Thérèse qui l’a accueilli, normal, elle était la cheftaine, et ça, elle savait vraiment le faire, toujours avec son air de bonne sœur à nous dire ce qui était bien et ce qui l’était pas ! Elle répondait à nos questions invariablement par une autre question ce qui fait que les débats s’éternisaient avec elle et que l’on oubliait la première interrogation et que l’on ne savait jamais où l’on allait aboutir quand on tentait de la suivre dans les méandres compliqués de son raisonnement. C’était frustrant et le nouvel arrivant allait découvrir un interrogatoire façon Thérèse.

-Mais vous sortez d’où, vous ?

-Mais d’une autre planète, bien sûr.

-Et qu’est-ce que vous faites ?

-Je suis un moine et je viens vous évangéliser.

-Votre nom ?

-Diomède, le castrateur.

J’ai bien vu Thérèse lever les yeux au ciel, elle n’y croyait pas une seconde. Lui manifestement représentait une bonne source de dialogue. Elle aurait du travail notre cheftaine. Tant mieux, qu’elle comprenne que tout n’était pas si drôle dans notre univers. Et puis il allait falloir lui passer un bon savon car manifestement il avait oublié la fonction de l’eau et la crasse le recouvrait d’une pellicule épaisse. Moi ce qui m’attirait c’était ses ongles, des griffes recourbées d’au moins six centimètres qui lui donnaient l’air d’un oiseau de proie. Je lui aurais bien proposé de les extraire mais je ne le connaissais pas encore suffisamment. De toutes les façons, on avait le temps, il était là pour un bon moment vu sa tronche d’ahuri.

Nadia m’a regardé. Elle attendait ma décision. C’est fou ce qu’elle m’aimait. Pourquoi pas après tout ! Un petit coup vite fait, une bonne giclée et elle me lâcherait la grappe et retournerait à ses fantasmes. On est rentré et Mickey pérorait comme d’habitude. Il inventait un système d’antivol à base de résistance électrique et d’ammoniaque. Il en avait marre d’être potentiellement la victime d’un malandrin et se préparait activement à cette confrontation. Il fallait surveiller toutes les bouteilles de détergents pour être sûr de survivre. Avec lui, on n’était jamais vraiment sûr que ses expériences ne nous mèneraient pas à faire sauter la baraque avec tous ceux qui y vivaient. Je l’ai contourné avec précaution, il était vraiment trop imprévisible.

Je me suis dirigé vers le grand placard des jeux, il y en avait plein à notre disposition et je me disais qu’une petite partie de trivial-poursuite serait la bienvenue. J’allais bien trouver deux où trois joueurs disposés à se faire battre. J’avais appris toutes les réponses par cœur. J’ai ouvert la porte et j’ai vu Shiaman recroquevillée près des balais, les yeux grands ouverts. C’était ma préférée, une petite brunette qui souriait toujours et ne s’énervait jamais.

-Mais qu’est-ce que tu fais donc là ?

-C’est l’ascenseur, il est bloqué, je l’attends depuis tout à l’heure.

-Bon, ne t’inquiète pas, je vais faire appeler le réparateur.

Bien sûr, je n’en ai rien fait, je savais qu’il n’y avait pas d’ascenseur dans ce placard. L’heure du repas s’annonçait. Ils nous livraient la bouffe dans des grandes marmites de la cuisine centrale. Comme elle était loin et qu’il y avait un trafic intense, cela arrivait toujours un peu froid, mais ce n’est qu’une habitude à prendre.

Jean-Marc demanda s’il y avait de la purée. Faut dire qu’avec les cinq dents qu’il lui restait, la mastication n’était pas chose aisée. Je lui avais demandé pourquoi il s’obstinait à se faire sauter une dent pas jour, mais il m’avait répondu que c’était un secret et que s’il le disait à moi ou à un autre, il les perdrait toutes. Il n’en avait plus pour longtemps avant de pouvoir tout nous dire. Sa technique se sophistiquait. Au début, il se cognait la mâchoire contre le lavabo mais les inconvénients étaient nombreux. Il n’arrivait pas à bien viser et ne se la cassait qu’à moitié, ou même se trompait de cible. Et puis il fallait tout nettoyer après, et cela lui prenait un temps infini pendant lequel il hurlait de douleur, cela nous empêchait de travailler tranquillement, énervait les pensionnaires. Il prenait désormais son temps, un rituel bien rodé, enroulant sa mâchoire d’un tissu, il ligaturait sa dent avec un gros fil de nylon et l’accrochait à la poignée de la porte et quand l’un d’entre nous allait faire ses besoins, il entendait un crac et pouvait observer sa satisfaction, une extraction bien menée, un travail d’orfèvre qui le remplissait de fierté. Il prenait un sirop anesthésiant avant ce qui fait qu’il ne sentait même plus la douleur, cela l’attristait bien un peu, mais il avait compris que ses cris nous perturbaient.

C’était le jour du boudin et nous y avons encore eu droit. Angéla s’est levée, a rempli un broc d’eau et l’a versé sur les gros étrons qui marinaient dans la marmite. Elle ne supportait pas que l’on mange du sang mais Jean-Marc s’en foutait, il était en train de se gaver de mousseline par les espaces béants que ses cinq dents laissaient entrevoir quand il ouvrait la bouche, par contre on était plusieurs à aimer la consistance moelleuse d’un bon boudin et il a fallu égoutter le plat avant de pouvoir se servir. Tant pis, jusque-là, la journée avait été presque normale. Personne ne pouvait prévoir que Julien pète un plomb. 

Il a pris un couteau de cuisine et l’a lancé violemment sur son vis-à-vis, en l’occurrence le pauvre Christian qui n’y pouvait rien. La lame a ricoché sur son pull et a atterri à terre sous le buffet. Thérèse est intervenue avec promptitude, elle s’est interposée entre eux et a empêché que Julien, dans sa crise, ne se jette sur sa victime. Il lui hurlait au visage qu’il l’avait reconnu le traître, et que ce n’était pas besoin de se déguiser, qu’il était l’ennemi du masque de fer et qu’il le vengerait. Sa visite thérapeutique d’hier à la prison du Fort Sainte-Marguerite avait laissé des traces. Il se prenait pour le vengeur du prisonnier masqué, le fils du roi, alors que tout le monde savait parfaitement que ce n’était pas Christian qui jouait un double jeu. Lui n’y était strictement pour rien. Nous savions pertinemment que son truc c’était les photos de joueuses de tennis, toutes ses belles Kournikova, Mauresmo, Mary Pierce et autres championnes qu’il collectionnait dans des tenues affriolantes, leurs jupettes dans le vent, les jambes écartées dans l’effort pour rattraper la balle. Il ne se séparait jamais de son album et il était en train de hurler que Julien l’avait lâchement agressé parce qu’il était jaloux de ses photos et qu’il voulait lui dérober ses fiancées.

Une voiture est venue chercher un Julien désemparé. Il savait qu’il avait fauté, la violence sur les autres était prohibée, c’est une règle intangible, un principe sacro-saint qu’il ne fallait pas transgresser sous peine de retourner au centre illico. Il était penaud et tout chamboulé, il ne s’expliquait pas son geste et a embrassé Christian en l’assurant qu’il n’en voulait aucunement à ses trésors. Cela a fait un vide et Thérèse nous a réunis pour un groupe de paroles. Cela a cassé l’ambiance. Je n’avais pas du tout envie de parler et j’ai repris mon livre pour me plonger dans la phénoménologie. La page 72 était toujours au fond de ma poche et personne n’avait pu me la voler. J’ai remis la page à sa place et je me suis immergé dans mon bouquin. La lecture a vraiment du bon, j’ai pu tout oublier.

Au bout d’un moment, vu que personne ne voulait s’exprimer, elle nous a libérés et Nono est venu me demander de l’aider à enlever son casque. C’était un magnifique casque de football américain bleu avec des étoiles et le nom de l’équipe de Boston en lettres dorées. J’ai dû refuser car nous avions interdiction de lui ôter. Il faut dire qu’il se précipitait la tête la première contre les portes fermées et les murs dès qu’il en avait l’occasion. Il avait cabossé tant de parois et des cicatrices couraient sur son visage, c’est pour ça qu’on l’obligeait à le porter. Son visage était une carte routière, avec des grosses nationales, des petites départementales et même des carrefours, une plan Michelin déambulant. Il disait que quand il se regardait dans un miroir, son visage se déformait, la partie droite s’estompait et il n’avait plus que la moitié de ses cheveux comme un iroquois.

J’ai vu Nadia en train de parler avec Danièle derrière les fourrés d’aubépine du jardin, des histoires de femmes sans doute, je me suis approché pour écouter discrètement leur conversation. J’aimais beaucoup surprendre les discussions. Elle était en train de lui expliquer qu’aucun rat ne pourrait rentrer par sa minette vu qu’elle s’était ligaturée le sexe avec un fil de pêche, le matin même avant de venir au centre. Elle a soulevé sa jupe et baissé sa culotte. Elle s’était cousue les lèvres intimes et l’on voyait des gouttes de sang perler sur sa fente, le fil comprimait le bouton de son clitoris en l’entortillant, cela me rappelait une paupiette de veau dans une assiette de jus de tomates. Elles ne m’en ont pas voulu de les surprendre, bien au contraire, cela les a émoustillées et Nadia en a profité pour me demander si j’étais enfin  prêt à lui faire son enfant.

-Je réfléchis encore, on verra tout à l’heure !

Il y a eu un instant de répit, le calme plat avant la tempête. Françoise a jailli de la maison comme si elle avait le feu aux fesses. Elle était encore débraillée et sortait des cabinets. Elle avait sans aucun doute vu un serpent lui rentrer dans l’intestin pendant qu’elle faisait ses besoins. Cela ne lui était plus arrivé depuis un mois et elle était manifestement terrorisée. Elle s’est arrêtée, a pointé le doigt vers le cumulus blanc qui paressait dans le ciel et s’est mise à hurler: -C’est lui, ce nuage satanique, c’est sa faute, il a réveillé les serpents du diable ! Elle s’est enfuie, elle était vraiment paniquée. J’ai averti Thérèse et nous avons formé deux groupes pour la retrouver.

Nous avons exploré les entrées des immeubles et tous les recoins. Un chien aboyait dans le quartier, cela a attiré l’attention de Nadia très sensible aux animaux. Un berger allemand qui gardait une villa manifestait sa colère et nous alertait. Il grognait et grattait le sol avec ses pattes, furieux contre l’intruse qui l’empêchait de se coucher dans sa niche. Françoise s’était glissée par l’étroite ouverture et l’on ne voyait que sa tête blonde émerger de la pimpante cabane verte et rose. Il a fallu la rassurer, lui promettre que les serpents avaient raté leur coup pour qu’elle accepte de sortir et libère la place pour le chien qui se précipita sur sa gamelle. Heureusement qu’elle ne lui avait pas mangé sa pitance.

Diomède le castrateur, avec les pans de son cache-poussière qui balayaient le sol, ne cessait de demander si c’était de lui que l’on riait quand il n’était pas là. Thérèse l’a rassuré et tout le monde a rejoint le centre pour prendre un thé ou un café avec des petits gâteaux. C’était un moment important, tous assis en rond, à récapituler les évènements de la journée avant de rejoindre nos appartements thérapeutiques. C’était le dernier de nos rendez-vous, après nous aurions la possibilité de nous retrouver chez nous et d’être libre.

Nadia s’est installée à mes côtés et a posé sa tête contre la mienne. Elle ne parlait plus mais je sentais sa respiration, elle était oppressée à l’idée de se retrouver seule. Elle espérait vraiment que je l’inviterais à m’accompagner, que nous passerions la nuit ensemble. J’en avais marre d’être homo et finalement quand la réunion s’est terminée, je lui ai pris la main et nous sommes partis. Nos pas se sont accordés et je crois que Jean-Paul était un peu jaloux, je le comprends, il l’aimait tellement.

Elle a accepté de se laver les dents pour moi et je lui ai préparé une salade de tomates et de la mozzarella. On a regardé la télévision, c’était un épisode de Colombo et on a ri en pensant à Diomède le castrateur à cause de son imperméable. Elle ne m’a plus parlé de Nestor, il avait dû s’endormir et j’en ai profité pour lui faire l’amour. C’était bon et je sais qu’elle a eu du plaisir, quand elle ne fait pas semblant d’avoir un orgasme, c’est qu’elle est vraiment contente. Elle n’a pas simulé, elle est restée les yeux grands ouverts pendant que je jouissais et nous nous sommes endormis dans les bras l’un de l’autre.

C’était vraiment une bonne journée mais je ne sais toujours pas si Ali est né.

 

PS : En hommage aux personnels qui rendent l’hôpital psychiatrique un peu plus humain et tentent  d’harmoniser le monde des cauchemars et celui de la réalité

 

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Ali est né !

Publié le par Bernard Oheix

Voilà, exhumé du Grenier de ma mémoire, une nouvelle écrite il y a bien longtemps, à l'époque où je baignais, grâce à ma conjointe et à ses amies, dans l'univers de la psychiatrie et du rapport entre la normalité et la fuite en avant de ceux qui n'ont plus de limites.

Je vous l'offre, avec le recul du temps et la sagesse de la vieillesse, comme un hommage à tous ceux et celles qui doivent affronter le mal être des autres et remettre un peu d'harmonie dans la folie d'un monde qui perd ses repères et pousse les êtres à glisser vers le néant !

 

Ali est né

 

               -Je viens de tuer ma mère.

-Ah ! bon…

-Je l’ai même torturée, un peu, avant.

-Jean-Paul, tu ne vois pas que je suis en train de lire. Je prends mon café et je veux terminer ce putain de traité sur la phénoménologie. C’est facile à comprendre, non ?

-Oui, mais qu’est-ce que je fais du corps, et le sang, il me faut des serpillières. Rien ne marche ici. Tu pourrais m’accorder un peu d’attention, me conseiller, t’occuper de moi, quoi, toujours dans tes livres !

-OK, mais tu l’as déjà empoisonnée le mois dernier, décapitée en avril, écartelée en juin… elle ne peut pas mourir à chaque fois ta mère, tu as dû te tromper, c’est quelqu’un d’autre que tu as assassiné.

-Non, non, c’est bien ma mère et je viens de la tuer avec ces ciseaux à papier. Regarde, ils sont tachés de sang.

J’ai saisi la paire de ciseaux et j’ai commencé à m’arracher un ongle. Pas le couper, mais enfoncer une des pointes sous la peau pour le déchausser et quand il a bayé, j’ai mis mon doigt dans la bouche et avec les dents j’ai agrippé le bout relevé et j’ai tiré fortement. Une douleur violente, grisante, normale car j’avais décidé de m’ôter cette excroissance de chair dure qui me gênait, c’était indécent tous ces ongles qui poussaient sans arrêt et il fallait bien que j’intervienne. Hier, après la séance de l’après-midi, je m’étais occupé des doigts de pieds, c’était plus facile avec une tenaille, et je dois dire que j’avais passé une bonne nuit malgré la douleur et le sang qui coulait et inondait mes draps.

Jean-Paul se tenait devant moi et j’ai compris que je ne pourrais pas continuer ce chapitre passionnant. J’ai arraché la page 72 pour me rappeler où j’en étais et je l’ai fourrée dans ma poche puis je l’ai accompagné dans le salon. Évidemment, il n’y avait aucun cadavre, même pas une goutte de sang. Narquois, je l’ai branché.

-Tu vas avoir du travail pour tout ranger.

-Mais je te jure Erwan, elle était là, c’est quelqu’un qui a dû voler la dépouille pour la revendre, il paraît qu’il y a du fric à se faire avec un corps de femme.

Nadia est entrée, mutine à son habitude. Elle me cherchait depuis quelques temps déjà et tournait autour de moi comme une mouche attirée par un gros pot de miel.

-Mon Erwan chéri, c’est décidé, je vais accoucher, tu ne veux pas être le père ? Il aura tes yeux et ta bouche mais il faut que tu me promettes de ne pas lui arracher les ongles. Ce sera un bébé délicat et on l’appellera Ali.

-Je suis homosexuel, Nadia, tu le sais, c’est ma phase sans femmes.

-Quel gâchis, comment imaginer un tombeur comme toi dans les bras velus d’un mec, tu serais si bien comme géniteur de mon bébé, et puis j’ai envie de te sentir, ça fait un bon moment que je n’ai pas baisé et il faut se dépêcher avant qu’Ali naisse.

Jean-Paul est intervenu, furieux.

-C’est dégueulasse, hier on a couché ensemble et tu l’as déjà oublié. A quoi cela sert-il que je m’escrime à te faire monter au ciel si tu ne t’en souviens même plus le lendemain, la prochaine fois que tu auras besoin de moi, tu pourras toujours courir !

-Peut-être mais encore faudrait-il que j’y sois arrivée au 7èmeciel, et que ton sperme vaille le coup. Elle est nulle ta semence, c’est du lait en boîte, du pasteurisé semi-écrémé, pas un spermatozoïde à l’horizon capable de me féconder. Ici, il n’y a qu’Erwan pour être mon vrai amant. D’abord, j’ai couché avec toi parce que c’est sa période homo et qu’il lisait son livre, t’es qu’un remplaçant.

 

Nadia m’a pris à part et tiré par le bras. Elle m’a entraîné dehors pour fumer une cigarette, elle avait un secret à me confier. Elle était vraiment jolie bien que son haleine soit un peu forte. Il faut dire qu’elle refusait de se laver les dents à cause de sa religion, dans le coran, Mahomet n’avait pas prescrit de se laver avec une brosse et du dentifrice et elle avait décidé de suivre les préceptes de son guide.

-Tu ne devrais pas fumer dans ton état.

-Ce n’est pas grave, je n’ai pas encore le bébé dans le ventre, non, c’est autre chose, il faut que tu m’aides.

-Qu’est-ce que je peux faire ?

-Tu sais pour l’infirmier qui m’a violée le mois dernier dans sa voiture, quand il m’a sodomisée, figure-toi qu’il a introduit un rat dans mon anus et depuis Nestor remonte petit à petit dans ma colonne vertébrale pour me dévorer le cerveau…

-Nestor ?

-Ben oui, le rat ! C’est ainsi que je l’appelle, tu ne trouves pas que c’est mignon pour un monstre qui me dévore le bulbe rachidien.

-Mais que veux-tu que je fasse pour te soulager ?

-Simple, il faudrait que tu introduises ta main dans mon cul et que tu t’enfonces pour l’attraper. Je suis sûre de mon coup, quand il verra tes doigts s’agiter, il va se jeter dessus et les mordre. Tu n’auras plus qu’à retirer le bras et il sera piégé. Je le mettrai dans une cage et il regrettera d’être venu au monde, par contre il faut que tu penses à me faire jouir quand tu seras en moi, et après, il faudra bien se laver les mains. Tu peux le faire pour moi, dit ?

Je ne savais si j’en avais vraiment envie. J’hésitais en soupesant le pour et le contre quand Sophie, la grande Sophie est arrivée. Cela faisait trois ans qu’elle était muette. Un matin pendant la réunion, elle s’était dressée et avait déclaré qu’elle refuserait désormais de s’exprimer. C’était son auto-stoppeur, celui qu’elle avait chargé sur la nationale 7 et qui l’avait violée pour s’installer dans sa tête qui la commandait et elle en avait vraiment marre d’entendre ses mots dans sa propre bouche. Tout ce qu’elle disait provenait de lui, et le seul moyen de le faire taire était de la fermer définitivement. « -Je me révolte désormais, il pourra guider mes gestes, j’en suis désolée, il est odieux, mais au moins mes pensées seront miennes. » Elle s’était rassise et depuis on n’avait plus entendu le son de sa voix. Cela ne l’empêchait pas de vivre avec le groupe, c’était juste un peu plus compliqué pour communiquer avec elle.

 Elle a croisé son index et son majeur pour signifier qu’elle voulait une cigarette. Nadia lui en a tendu une et elle l’a enfournée, la mastiquant avec délectation. Elle a dégluti son tabac et craché quelques brins puis est rentrée se vautrer devant le téléviseur pour fermer les yeux.

C’était une journée vraiment compliquée et les choses ne se sont pas arrangées avec Micheline qui a déboulé de la maison en montrant le ciel. Elle s’est mise à hurler : -Regardez, venez voir, y a des bites qui volent de partout. Elles arrivent tôt cette saison ! Faites attention, elles vont se mettre à pisser !

Je n’y croyais pas une seconde bien sûr, mais j’ai quand même enfilé mon bonnet, on ne savait jamais trop avec les bites volantes !

-Écoute, Nadia, tu devrais plutôt envoyer Ali pour piéger ton rat.

-Mais je ne peux pas, tu ne me l’as pas encore fait, ou alors viens derrière la porte, je te suce un peu et avec de la chance j’aurais mon bébé, mon petit Ali.

Je n’avais vraiment pas envie d’une pipe à cette heure, d’autant plus qu’un nouvel arrivant avec une barbe longue jusqu’à la taille se pointait à l’horizon. C’est Thérèse qui l’a accueilli, normal, elle était la cheftaine, et ça, elle savait vraiment le faire, toujours avec son air de bonne sœur à nous dire ce qui était bien et ce qui ne l’était pas ! Elle répondait à nos questions invariablement par une autre question ce qui fait que les débats s’éternisaient avec elle et que l’on oubliait la première interrogation et que l’on ne savait jamais où l’on allait aboutir quand on tentait de la suivre dans les méandres compliqués de son raisonnement. C’était frustrant et le nouvel arrivant allait découvrir un interrogatoire façon Thérèse.

-Mais vous sortez d’où, vous ?

-Mais d’une autre planète, bien sûr.

-Et qu’est-ce que vous faites ?

-Je suis un moine et je viens vous évangéliser.

-Votre nom ?

-Diomède, le castrateur.

J’ai bien vu Thérèse lever les yeux au ciel, elle n’y croyait pas une seconde. Lui manifestement représentait une bonne source de dialogue. Elle aurait du travail notre cheftaine. Tant mieux, qu’elle comprenne que tout n’était pas si drôle dans notre univers. Et puis il allait falloir lui passer un bon savon car manifestement il avait oublié la fonction de l’eau et la crasse le recouvrait d’une pellicule épaisse. Moi ce qui m’attirait c’était ses ongles, des griffes recourbées d’au moins 6 centimètres qui lui donnaient l’air d’un oiseau de proie. Je lui aurais bien proposé de les extraire mais je ne le connaissais pas encore suffisamment. De toutes les façons, on avait le temps, il était là pour un bon moment vu sa tronche d’ahuri.

 

Nadia m’a regardé. Elle attendait ma décision. C’est fou ce qu’elle m’aimait. Pourquoi pas après tout ! Un petit coup vite fait, une bonne giclée et elle me lâcherait la grappe et retournerait à ses fantasmes. On est rentré et mickey pérorait comme d’habitude. Il inventait un système d’antivol à base de résistance électrique et d’ammoniaque. Il en avait marre d’être potentiellement la victime d’un malandrin et se préparait activement à cette confrontation. Il fallait surveiller toutes les bouteilles de détergents pour être sûr de survivre. Avec lui, on n’était jamais vraiment sûr que ses expériences ne nous mèneraient pas à faire sauter la baraque avec tous ceux qui y vivaient. Je l’ai contourné avec précaution, il était vraiment trop imprévisible.

Je me suis dirigé vers le grand placard des jeux, il y en avait plein à notre disposition et je me disais qu’une petite partie de trivial-poursuite serait la bienvenue. J’allais bien trouver deux ou trois joueurs disposés à se faire battre. J’avais appris toutes les réponses par cœur. J’ai ouvert la porte et j’ai vu Shiaman recroquevillée près des balais, les yeux grands ouverts. C’était ma préférée, une petite brunette qui souriait toujours et ne s’énervait jamais.

-Mais qu’est-ce que tu fais donc là ?

-C’est l’ascenseur, il est bloqué, je l’attends depuis tout à l’heure.

-Bon, ne t’inquiète pas, je vais faire appeler le réparateur.

Bien sûr, je n’en ai rien fait, je savais qu’il n’y avait pas d’ascenseur dans ce placard. L’heure du repas s’annonçait. Ils nous livraient la bouffe dans des grandes marmites de la cuisine centrale. Comme elle était loin et qu’il y avait un trafic intense, cela arrivait toujours un peu froid, mais ce n’est qu’une habitude à prendre.

Jean-Marc demanda s’il y avait de la purée. Faut dire qu’avec les 5 dents qu’il lui restait, la mastication n’était pas chose aisée. Je lui avais demandé pourquoi il s’obstinait à se faire sauter une dent pas jour, mais il m’avait répondu que c’était un secret et que s’il le disait à moi ou à un autre, il les perdrait toutes. Il n’en avait plus pour longtemps avant de pouvoir tout nous dire. Sa technique se sophistiquait. Au début, il se cognait la mâchoire contre le lavabo mais les inconvénients étaient nombreux. Il n’arrivait pas à bien viser et se la cassait qu’à moitié, ou même se trompait de cible. Et puis il fallait tout nettoyer après, et cela lui prenait un temps infini pendant lequel il hurlait de douleur, cela nous empêchait de travailler tranquillement, énervait les pensionnaires. Il prenait désormais son temps, un rituel bien rodé, enroulant sa mâchoire d’un tissu, il ligaturait sa dent avec un gros fil de nylon et l’accrochait à la poignée de la porte et quand l’un d’entre nous allait faire ses besoins, il entendait un crac et pouvait observer sa satisfaction, une extraction bien menée, un travail d’orfèvre qui le remplissait de fierté. Il prenait un sirop anesthésiant avant ce qui fait qu’il ne sentait même plus la douleur, cela l’attristait bien un peu, mais il avait compris que ses cris nous perturbaient.

C’était le jour du boudin et nous y avons encore eu droit. Angéla s’est levée, a rempli un broc d’eau et l’a versé sur les gros étrons qui marinaient dans la marmite. Elle ne supportait pas que l’on mange du sang mais Jean-Marc s’en foutait, il était en train de se gaver de mousseline par les espaces béants que ses 5 dents laissaient entrevoir quand il ouvrait la bouche, par contre on était plusieurs à aimer la consistance moelleuse d’un bon boudin et il a fallu égoutter le plat avant de pouvoir se servir. Tant pis, jusque-là, la journée avait été presque normale. Personne ne pouvait prévoir que Julien pète un plomb. 

Il a pris un couteau de cuisine et l’a lancé violemment sur son vis-à-vis, en l’occurrence le pauvre Christian qui n’y pouvait rien. La lame a ricoché sur son pull et a atterri à terre sous le buffet. Thérèse est intervenue avec promptitude, elle s’est interposée entre eux et a empêché que Julien, dans sa crise se jette sur sa victime. Il lui hurlait au visage qu’il l’avait reconnu le traître, et que ce n’était pas besoin de se déguiser, qu’il était l’ennemi du masque de fer et qu’il le vengerait. Sa visite thérapeutique d’hier à la prison du Fort Sainte-Marguerite avait laissé des traces. Il se prenait pour le vengeur du prisonnier masqué, le fils du roi, alors que tout le monde savait parfaitement que ce n’était pas Christian qui jouait un double jeu. Lui n’y était strictement pour rien. Nous savions pertinemment que son truc c’était les photos de joueuses de tennis, toutes ses belles Kournikova, Mauresmo, Mary Pierce et autres championnes qu’il collectionnait dans des tenues affriolantes, leurs jupettes dans le vent, les jambes écartées dans l’effort pour rattraper la balle. Il ne se séparait jamais de son album et il était en train de hurler que Julien l’avait lâchement agressé parce qu’il était jaloux de ses photos et qu’il voulait lui dérober ses fiancées.

Une voiture est venue chercher un Julien désemparé. Il savait qu’il avait fauté, la violence sur les autres était prohibée, c’est une règle intangible, un principe sacro-saint qu’il ne fallait pas transgresser sous peine de retourner au centre illico. Il était penaud et tout chamboulé, il ne s’expliquait pas son geste et a embrassé Christian en l’assurant qu’il n’en voulait aucunement à ses trésors. Cela a fait un vide et Thérèse nous a réunis pour un groupe de paroles. Cela a cassé l’ambiance. Je n’avais pas du tout envie de parler et j’ai repris mon livre pour me plonger dans la phénoménologie. La page 72 était toujours au fond de ma poche et personne n’avait pu me la voler. J’ai remis la page à sa place et je me suis immergé dans mon bouquin. La lecture a vraiment du bon, j’ai pu tout oublier.

Au bout d’un moment, vu que personne ne voulait s’exprimer, elle nous a libérés et Nono est venu me demander de l’aider à enlever son casque. C’était un magnifique casque de football américain bleu avec des étoiles et le nom de l’équipe de Boston en lettres dorées. J’ai dû refuser car nous avions interdiction de lui ôter. Il faut dire qu’il se précipitait la tête la première contre les portes fermées et les murs dès qu’il en avait l’occasion. Il avait cabossé tant de parois et des cicatrices courraient sur son visage, c’est pour ça qu’on l’obligeait à le porter. Son visage était une carte routière, avec des grosses nationales, des petites départementales et même des carrefours, une plan Michelin déambulant. Il disait que quand il se regardait dans un miroir, son visage se déformait, la partie droite s’estompait et il n’avait plus que la moitié de ses cheveux comme un iroquois.

J’ai vu Nadia en train de parler avec Danièle derrière les fourrés d’aubépine du jardin, des histoires de femme sans doute, je me suis approché pour écouter discrètement leur conversation. J’aimais beaucoup surprendre les discussions. Elle était en train de lui expliquer qu’aucun rat ne pourrait rentrer par sa minette vu qu’elle s’était ligaturée le sexe avec un fil de pêche, le matin même avant de venir au centre. Elle a soulevé sa jupe et baissé sa culotte. Elle s’était cousue les lèvres intimes et l’on voyait des gouttes de sang perler sur sa fente, le fil comprimait le bouton de son clitoris en l’entortillant, cela me rappelait une paupiette de veau dans une assiette de jus de tomate. Elles ne m’en ont pas voulu de les surprendre, bien au contraire, cela les a émoustillées et Nadia en a profité pour me demander si j’étais enfin près à lui faire son enfant.

-Je réfléchis encore, on verra tout à l’heure !

Il y a eu un instant de répit, le calme plat avant la tempête. Françoise a jailli de la maison comme si elle avait le feu aux fesses. Elle était encore débraillée et sortait des cabinets. Elle avait sans aucun doute vu un serpent lui rentrer dans l’intestin pendant qu’elle faisait ses besoins. Cela ne lui était plus arrivé depuis un mois et elle était manifestement terrorisée. Elle s’est arrêtée, a pointé le doigt vers le cumulus blanc qui paressait dans le ciel et s’est mise à hurler : -C’est lui, ce nuage satanique, c’est sa faute, il a réveillé les serpents du diable ! Elle s’est enfuie, elle était vraiment paniquée. J’ai averti Thérèse et nous avons formé deux groupes pour la retrouver.

Nous avons exploré les entrées des immeubles et tous les recoins. Un chien aboyait dans le quartier, cela a attiré l’attention de Nadia très sensible aux animaux. Un berger allemand qui gardait une villa manifestait sa colère et nous alertait. Il grognait et grattait le sol avec ses pattes, furieux contre l’intruse qui l’empêchait de se coucher dans sa niche. Françoise s’était glissée par l’étroite ouverture et l’on ne voyait que sa tête blonde émerger de la pimpante cabane verte et rose. Il a fallu la rassurer, lui promettre que les serpents avaient raté leur coup pour qu’elle accepte de sortir et libère la place pour le chien qui se précipita sur sa gamelle. Heureusement qu’elle ne lui avait pas mangé sa pitance.

Diomède le castrateur, avec les pans de son cache poussière qui balayaient le sol, ne cessait de demander si c’était de lui que l’on riait quand il n’était pas là. Thérèse l’a rassuré et tout le monde a rejoint le centre pour prendre un thé ou un café avec des petits gâteaux. C’était un moment important, tous assis en rond, à récapituler les évènements de la journée avant de rejoindre nos appartements thérapeutiques. C’était le dernier de nos rendez-vous, après nous aurions la possibilité de nous retrouver chez nous et d’être libre.

Nadia s’est installée à mes côtés et a posé sa tête contre la mienne. Elle ne parlait plus mais je sentais sa respiration, elle était oppressée à l’idée de se retrouver seule. Elle espérait vraiment que je l’inviterais à m’accompagner, que nous passerions la nuit ensemble. J’en avais marre d’être homo et finalement quand la réunion s’est terminée, je lui ai pris la main et nous sommes partis. Nos pas se sont accordés et je crois que Jean-Paul était un peu jaloux, je le comprends, il l’aimait tellement.

 

Elle a accepté de se laver les dents pour moi et je lui ai préparé une salade de tomate et de la mozzarella. On a regardé la télévision, c’était un épisode de Colombo et on a ri en pensant à Diomède le castrateur à cause de son imperméable. Elle ne m’a plus parlé de Nestor, il avait dû s’endormir et j’en ai profité pour lui faire l’amour. C’était bon et je sais qu’elle a eu du plaisir, quand elle ne fait pas semblant d’avoir un orgasme, c’est qu’elle est vraiment contente. Elle n’a pas simulé, elle est restée les yeux grands ouverts pendant que je jouissais et nous nous sommes endormis dans les bras l’un de l’autre.

C’était vraiment une bonne journée mais je ne sais toujours pas si Ali est né.

 

PS : En hommage aux personnels qui rendent l’hôpital psychiatrique un peu plus humain et tentent d’harmoniser le monde des cauchemars et celui de la réalité

 

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Bain du jour de l'an !

Publié le par Bernard Oheix

Et l'heure fatidique de mon bain rituel a donc sonné !

Dans une France sous la pluie et au matin glacé, le soleil se lève pour honorer mon acte de bravoure et c'est le coeur battant que je pénètre dans une mer pas vraiment complice ! Qu'à cela ne tienne, j'ai comme un désir de partage ancré en moi et c'est le coeur vaillant que je viens me faire dorloter par les vagues afin de transmettre, sinon un message, tout au moins une constatation : l'année 2023 aura été une année de merde et l'on peut s'interroger sur 2024 et les conséquences funestes de nos errements, de l'action de nos potentats jouant avec des bombes, de l'impéritie de nos dirigeants et de la perte de confiance d'une humanité désarçonnée qui voit l'humanisme devenir une valeur refuge de ceux qui n'ont plus rien et ne peuvent influer sur la marche du monde !

Bain du jour de l'an !

Il n'en reste pas moins que 2023 m'aura permis de sortir cette belle Métisse du Peuple des Épines de son sommeil et de l'exhiber aux yeux de tous. Dans 200 librairies de France, on peut la trouver ou la commander afin de partager avec elle un destin d'exception en 210 pages pour le prix de 18€.

Et si vous voulez vous donner toutes les chances de rêver en ce début d'année, plongez dans mon livre à défaut de la Méditerranée et suivez Talike, cette femme de passions dans son île de mystères. 

Bain du jour de l'an !

Alors, meilleurs voeux de bonheur pour cette nouvelle année, avec de l'espoir comme enraciné en nous pour que la beauté renaisse et que les femmes et hommes de bonne volonté puissent voir la beauté du monde et nos enfants grandir dans un monde pacifié !

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La Corse et Le principe d'incertitude

Publié le par Bernard Oheix

Samedi 15 décembre 2023. Nous traversons la Corse de Bastia à Ajaccio, par une route superbe, dans un soleil qui illumine les montagnes et accroche la lumière aux cimes enneigées. C'est la fin d'une semaine de plaisirs dans cette île magique, dans les repas de famille aux discussions alanguies, dans la chaleur d'une vie où tout semble plus simple, plus humain. La place Saint-Nicolas de Bastia, où les cafés se sirotent dans les incessantes rencontres de ceux qui ont toujours quelque chose à se dire, le vieux port en plein travaux avec ces voiliers se balançant au gré des flots dans une brise printanière et les terrasses qui débordent de rires et de voix chantantes.

Ce sont les amis que l'on retrouve plus vieux, avec des barbes et des rides mais qui renvoient au temps d'une jeunesse d'insouciance. C'est ma Corse, celle que j'ai épousée, il y a un demi siècle, et qui ne m'a jamais trahie même si elle m'a irrité trop souvent. Une corse du chant dans les mélodies des Muvrini et d'A Filetta, de ces concerts qui portaient l'espoir d'un avenir, du partage d'un Lonzo ou de Figatelli grillés délicieux arrosés d'un vin rouge de Patrimonio. C'est aussi et surtout l'espoir d'un monde à créer dans le tonnerre des armes que l'on veut plus juste, plus fraternel...même si la réalité nous trouvera si loin de nos idéaux !

Mais le temps des colères est terminé et les constats parfois amers n'ôtent point les rires du futur. La Corse, toujours rebelle comme un refrain qui berce nos attentes et s'alanguit de cette mer qui miroite à l'infini.

C'est aujourd'hui à Bastia que nous prenons la voiture pour rejoindre Ajaccio, passer à Corte accroché aux collines, boire un café à Ponte Leccia, grimper le col de Vizzavonne en traversant la fôret de Tattone et plonger vers la mer et l'anse des sanguinaires aux îles si mal nommées. 

Ce soir, c'est théâtre, et des retrouvailles avec notre fils, responsable de tournées théâtrales, qui présente une pièce avec Jean-Pierre Darroussin et Élodie Frégé au théâtre, et c'est complet, il n'y a pas d'incertitude !

 

L'anse du vieux port de Bastia, le vent du large !

L'anse du vieux port de Bastia, le vent du large !

Dans les frémissements d'une salle comble et attentive, le rideau se lève. Une femme étreint furtivement un homme sur un quai de gare. Elle est jeune et splendide, il est vieux et fatigué. Que cherche-t-elle dans cette approche incongrue ?

Toute la pièce va se dérouler dans ce tête à tête fascinant de deux acteurs d'exception. Lui, bourru, vieux, ayant perdu ses illusions et renoncé aux rêves d'un futur, elle, engoncée dans cet état de léthargie d'une femme inconnue, et qui l'aime, et n'est jamais la même, ni jamais une autre (air connu !).

Il va se laisser aller à ce vent de l'espoir, bien malgré lui, et de ces illusions perdues aux plaisirs charnels d'un corps de femme, peut-être retrouver l'espoir sans certitude d'un présent de volupté. 

Incertitude de cette attente d'une autre, incertitude de cet amour flamboyant contre nature, le couple va cheminer entre hésitation et fulgurance vers une destination inconnue !

Et c'est tout l'art de l'auteur de nous embarquer, sans jamais donner les clefs, sur ce radeau de la méduse des sentiments les plus intimes, quand aucunes règles ne peuvent définir la réalité d'un lien mystérieux entre deux êtres que tout sépare.

Une pièce magistrale d'ambigüité portée par un Darroussin plus que jamais héraut de son personnage, se confrontant à une Élodie Frégé qui capte la lumière et ne rend que le trouble de l'incertitude en pâture aux spectateurs.

La mise en scène de Louis-Do de Lencquesaing est ambitieuse et met en écrin les incertitudes des personnages. Et s'il ne devait se révéler qu'une certitude de cette heure et demie de dialogues et de silences, c'est que nous avons vécu un vrai moment de théâtre

 

Coucher de soleil sur les Sanguinaires...Ajaccio, la cité impériale au passé de légende !

Coucher de soleil sur les Sanguinaires...Ajaccio, la cité impériale au passé de légende !

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La danse sur un fil !

Publié le par Bernard Oheix

La biennale de Danse de Cannes changeant tous les 6 ans de Directeur Artistique, c'est désormais Didier Deschamps (pas le footballeur, l'autre, le danseur) qui s'y colle avec bonheur. Sa connaissance aiguë de cet Art, son carnet d'adresses, sa passion qu'il utilise dans la réalisation d'une première édition somptueuse, ont transformé Cannes et sa région où sont décentralisés des spectacles (La Scène 55 à Mougins et le Théâtre de Grasse en particulier) en capitale d'une danse qui sort des sentiers battus et permettent de découvrir des créateurs hors du commun.

Avec le soutien de Sophie Dupont et de son équipe de l'Évènementiel du Palais des Festivals de Cannes, le public a vécu 15 jours d'une plongée dans des spectacles que les chorégraphes inventent à la frontière de tous les arts, là où le geste, le son et l'image ouvrent des horizons sans limites.

Antoine Le Ménestrel sur le fil d'Ariane d'une danse du vertige !

Antoine Le Ménestrel sur le fil d'Ariane d'une danse du vertige !

Avec sa compagnie Lézards Bleus, Antoine Le Ménestrel perpétue ses étranges spectacles "d'allumeur de rêves". Ici, dans la ville du cinéma, au sein du Festival de Danse, c'est au film muet de 1923 d'Harold Llyod qu'il rend hommage, projetant des extraits du film (la scène de l'horloge) sur la façade du Cinéum pendant qu'il est suspendu, accroché à un filin, et que ses complices se contorsionnent en se poursuivent sur les arêtes du bâtiment construit par l'architecte Rudy Ricciotti.

C'est fascinant, 40 mn de haute volée, dans une nuit fraîche où les spectateurs lèvent la tête pour assister à la fuite d'un équilibre dans la recherche d'une sens profond. Le cinéma sur le cinéma dans une danse de la vie !

Et des coups de coeur, il y en aura de nombreux, tant la scène actuelle est riche d'une pléiade de nouveaux chorégraphes arrivant à maturité.

C'est le cas avec Into the Hairy de Sharon Eyal et Gai Behar. Sharon Eyal, issue du vivier de la Batsheva, tente avec son complice de créer une danse envoûtante, répétitive et désaccordée, comme pour enrayer la fuite du temps. C'est étonnant et le spectateur reste enfermé dans l'univers de bruits et de fureur d'un monde désaccordé.

Plus traditionnel mais tout aussi passionnant, le dernier ballet créé à Cannes en avant-première par le Ballet de Biarritz de Thierry Malandin : Les saisons. Encore un peu frais, mais porteur de belles émotions.

Recirquel,la compagnie hongroise, sera un des coups de coeur de cette quinzaine. Entre le cirque et la danse, sur le thème de l'amour, des acrobates-danseurs vont évoluer sur la scène comme dans les cieux, à la recherche d'une harmonie où chaque corps tente de fusionner avec l'autre dans une recherche perpétuelle de l'accord parfait. Sublime !

Et bien sûr, les dernières oeuvres de Keléménis et Cie, le collectif espagnol de Kor'sia, David Coria, une compétition de films sur la danse et des moments de partage avec le public assidu et passionné.

Le Ballet du Grand théâtre de Genève

Le Ballet du Grand théâtre de Genève

Et pour terminer la flamboyance de deux oeuvres du Ballet de Genève. Skid du chorégraphe Damien Jalt, ou une fois encore, le danseur va faire reculer les lois de l'équilibre. Sur un plateau incliné à 34°, des corps apparaissent surgissant du néant pour glisser vers le sombre d'une fosse, ils vont tenter d'organiser le chaos en refusant la gravitation. Glissades, enchevêtrements, chaines humaines et ruptures du sens. Un moment de force sans repères pour troubler l'ordre naturel des choses.

Et Fouad Boussouf avec Via va achever en trois tableaux cette déconstruction de l'univers. Le rouge où les danseurs sautillent dans un paroxysme de trémoussements, la bleu où le geste se libèrent et les corps se cherchent et pour conclure, le jaune ou les danseurs deviennent fluides et réharmonisent l'espace en créant le mouvement sans attaches.

Bravo à Didier Deschamps et à l'équipe de Sophie Dupont d'avoir réenchanté l'univers de la danse sur les scènes de la région. Une danse libéré des contraintes de la scène, dans la ville où Rosella Hightower créa son école pour la postérité et qui lui rend bien son amour du geste juste, libéré, bien loin des affres d'un monde plongé dans l'obscurité !

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