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L'enfant de la Guerre

Publié le par Bernard Oheix

Une nouvelle étrange, née de vieux souvenirs, mélange d'héroïsme et de ces riens qui remplissent une vie. Une nouvelle sur le vide qui remplit tant d'hommes. A vous de lire et  peut-être de comprendre le prix à payer quand l'on court derrière des rêves de gloire !
 
 
 
 
 
A seize ans, on se veut homme, la moustache ourle les lèvres, les nuits sont peuplées de rêves de femmes et l’avenir vous appartient. A seize ans, l’enfant qui est en vous se met en sommeil, se tapit dans les profondeurs, se dissimule derrière la voix qui mue, vous le repoussez de toutes vos forces mais il n’est jamais très loin, juste à fleur de vos certitudes, si près de cette pulsion qui vous pousse à grandir et à regarder le monde de haut.
Georges allait sur ses seize ans et l’univers lui appartenait même s’il ne le connaissait pas. Son horizon s’était subitement bouché quand sa mère mourut d’enfanter un frère qu’il ne désirait pas. Il avait six ans et son père mit un an à mourir de chagrin. On pense que l’on ne peut s’éteindre de voir sa flamme se moucher. Pourtant il le fit. Il se laissa quelques mois de sursis pour se complaire dans son malheur et rien ne put le décider à vaincre la fin prématurée de son épouse. Veuf inconsolable, les vertus cicatrisantes du temps qui passe ne jouèrent point pour ce père amoureux fou d’une ombre qui s’était évanouie dans la nuit et il la rejoignit dans un paradis d’amants éplorés. Au passage, il abandonna à leur triste sort ses deux bambins et si le cadet était trop petit pour se rendre compte de l’engrenage dans lequel sa naissance avait poussé ses parents, Georges, lui, se rappelait encore les douces caresses de sa mère, la moustache du père quand il venait l’embrasser le soir. Il ressentait encore le poids des bras de son père l’initiant au vélo et conservait pieusement la photo saisie par un journaliste de « la Vendée » où on le voyait, sous le titre du plus jeune cycliste de l’Hexagone, en prélude à une étape du Tour de France, effectuer un périple sur la piste cendrée de La Roche-sur-Yon. C’était en 1935, il avait six ans, le bruit des cannes résonnait sur les pavés et les travailleurs allaient bientôt élire un gouvernement de Front Populaire qui lui offrirait les congés payés.
A la mort de ses parents, la famille se réunit pour sceller le sort des enfants maudits par la disparition de leurs géniteurs. Le petit dernier, cause indirecte de tous ces malheurs, trouva asile auprès d’une famille éloignée de Brest qui ne pouvait avoir d’enfants. Ils l’élevèrent avec amour et lui offrirent la possibilité de faire des études et d’intégrer l’école des cheminots. Il devint conducteur de trains et communiste, fonda une famille et lutta pour la libération des peuples et l’idéal que Staline incarnait d’une société plus juste et harmonieuse. Georges lui en voulut toute sa vie et ne lui pardonna jamais. Il n’avait pas eu cette chance. Deux tantes se chargèrent de cet enfant rétif et difficile et se partagèrent la lourde charge de l’élever. Il fut trimbalé de l’une à l’autre et, sans amour, dut se débrouiller pour trouver une place dans un monde de tourmente que les bottes nazies vinrent rapidement arpenter.
A douze ans, il fut placé comme mitron chez un boulanger et travaillait 18 heures par jour, dormant sur un grabat jeté à même le sol derrière le fournil, son horizon borné par les coups que le maître faisait pleuvoir sur le dos de l’apprenti pour lui inculquer les rudiments du métier. Le réveil à 3 heures du matin se faisait par une talonnade sur la forme allongée qui gisait sur sa couche les yeux embrumés. Il s’acharnait alors à pétrir, enfourner et démouler les miches de pain croustillantes, ronde incessante qui l’occupait jusqu’à l’heure du déjeuner.
A la table du patron et de la patronne, sa gamelle était remplie de bouillie, reste de soupe, pain dur non vendu pendant que ceux-ci se coupaient des tranches de jambon, dégustaient leur bifteck, et il se souvint toute sa courte vie de l’odeur qui montait de leurs assiettes et du brouet qu’on lui servait. Il n’était pas martyrisé, seulement un apprenti orphelin que leur complaisance à lui apprendre le noble métier de la boulange autorisait à diriger d’une main de fer.
L’après-midi, il nettoyait les fours, faisait les livraisons, déchargeait les camions de farine, préparait les ingrédients pour la fournée du lendemain, et quand le soir tombait, les heures écoulées pesaient sur ses épaules pleines de vie d’un gamin de seize ans. Il s’endormait vite après la soupe du soir, vite et sans rêves pour des nuits trop courtes. Il n’avait pas d’horizon, pas de passé, seulement un présent dans ce lieu sans avenir, une mécanique fluide de jours interminables qui s’enchaînaient attaché à ce fournil rougeoyant.
Georges avait grandi dans le bruit des chars allemands de la colonne qui avait défilé sur l’avenue, un après-midi de cet hiver 1940 et il se souvenait des casques étranges qui couvraient les oreilles des envahisseurs, de l’effroi qui avait saisi la population, des regards furtifs jetés par les passants devant la nouvelle Kommandantur bariolée de lettres gothiques. Il avait moins de dix ans à leur arrivée, son adolescence de labeur ne l’avait pas empêché de constater que la vie s’était organisée autour de leur présence. Oh ! Il faut bien avouer qu’ils n’étaient pas toujours impressionnants ces « schleus » qui campaient dans sa ville, les garnisons dépêchées dans ce chef-lieu de province par le haut commandement étant composées du rebut de l’armée du grand Reich, blessés du front russe en convalescence, jeunes incorporés trop tôt, vieux de la grande guerre réquisitionnés pour compléter les effectifs… on était loin des bêtes sanglantes assoiffées de sang qui décimaient les zones de combats.
Dans cette région de France si conformiste, on s’habitua facilement à des forces si discrètes d’oppression. Les affaires marchaient bien, métaux, produits de la ferme, tissus étaient achetés par les Allemands et leurs commissionnaires. Il y avait si peu de juifs que même les rares miliciens se sentaient désœuvrés, la résistance brillant par sa discrétion. Les années s’écoulèrent au rythme du fracas lointain des champs de combats de l’Afrique, du front de l’Est. Pourtant la tenaille se refermait sur les armées d’Hitler, et plus leur pouvoir semblait chancelant, plus des opposants de l’ombre s’inventaient des vertus d’un combat mystérieux, celui d’une résistance que le temps n’aurait entamée.
On s’attribuait des actes héroïques, on tramait dans le silence de la nuit des plans machiavéliques destinés à chasser l’occupant soudainement honni, des armes surgissaient dans les mains malhabiles de ceux que l’imminence de l’arrivée des Américains faisaient sortir de leur léthargie. En ce mois de juin 1944, l’ébullition portée à son incandescence entraînait à la passion ceux-là même qui avaient si bien composé avec la présence d’hommes verts de plus en plus discrets, se terrant dans leur cantonnement, effectuant quelques patrouilles sous l’œil désormais furibard de ces résistants d’opérette.
Le boulanger tentait de se racheter une bonne conduite après s’être engraissé en vendant force pains et viennoiseries aux Allemands, son Gaullisme fervent étant étalé à longueur de journée devant les clients qui opinaient, eux-mêmes à la recherche d’une virginité tardive. Ce n’était que bruits et fureurs devant cette présence devenue intolérable maintenant que les canons de la libération prochaine résonnaient à l’horizon. Devant l’apprenti Georges, quantité si négligeable qu’il n’avait pas d’existence réelle, pendant ces mornes repas où le visage soumis de son épouse lui renvoyait l’image de sa veulerie, il s’épanchait sur cette période trouble qui s’annonçait, l’arrivée imminente des communistes et des étrangers, angoissé devant cette perte d’une stabilité que les Allemands avaient si bien incarnée.
Georges bouillait intérieurement, tout son être aspirait à une déflagration rédemptrice, un bouleversement qui seul lui permettrait de s’évader de cette prison dans laquelle ses forces de vie s’étiolaient. Il pressentait que cette période de la libération lui ouvrirait des horizons nouveaux, élargirait son espace en lui offrant un champ d’expérimentation inégalé. Il contacta les chefs avérés de la nouvelle résistance et offrit ses services. On était le 6 juin 1944 et le Chanel bruissait de tant de rumeurs qu’il ne pouvait plus rester en marge du combat qui s’annonçait.
Après forces tergiversations, le comité de résistance de La Roche-sur-Yon intégra le jeune Georges dont la servilité et l’incroyable désir de bien faire flattaient l’ego des valeureux guerriers du crépuscule. On lui fournit un vieux Lebel qui avait fait 14-18 et il se retrouva sur une barricade érigée à la hâte, dans un chemin de traverse du bocage vendéen que personne ne fréquentait, à effectuer sa première garde, un 8 juin qui voyait les armées alliées débarquer sur des langues de sable bien vite rougies du sang fluide des combattants.
Georges ouvrait grands ses yeux pour scruter la nuit, écoutant les bruits de la campagne. Il ne savait pas qu’il n’y avait aucun danger, la garnison allemande terrée dans son bunker attendait le feu vert pour évacuer vers le Bassin Parisien pendant que les troupes aguerries de Rommel s’acharnaient à défendre la Normandie et à affronter les alliés pied à pied. Le sort de la guerre se déterminait dans ce petit coin verdoyant de la France où deux armées entraînées se livraient un assaut titanesque pendant qu’une poignée de résistants s’inventaient en marge une geste héroïque dans la quiétude d’une soirée de printemps que rien ne pouvait troubler.
C’était sans compter la nervosité d’une troupe d’opérette et d’un gamin trop vite grandi. Au cœur de la nuit, des fourrés touffus, monta un bruissement inquiétant. De toute évidence, une cohorte tentait de prendre à revers la barricade. Georges aux aguets, décela la manœuvre et épaulant sa pétoire, visa au cœur de la masse ennemie pour décocher sa balle et signer de son empreinte ce combat meurtrier contre les forces du mal.
Le fusil regimba. Enterré depuis de longues années, rouillé et rafistolé à sa renaissance, il avait si peu inspiré confiance qu’on l’avait confié au plus jeune en pensant que nul coup de feu ne pourrait en être décoché. Ils avaient tort, le percuteur vint s’écraser sur l’amorce et le coup partit, explosant le fût du canon et blessant grièvement Georges au visage. Le sang jaillit dans son hurlement de douleur et il tomba inconscient sur cette barricade de charrettes et de troncs entremêlés qu’il défendait avec tant de conscience pendant que les deux vaches qui s’étaient égarées dans le bocage déguerpissaient en meuglant de panique.
Il fut transporté à l’hôpital voisin, unique victime de cette nuit d’un débarquement que les sanglots longs des violons de l’automne avaient déclenché. La blessure était sérieuse, la balle avait ricoché sur son maxillaire et un débris de ferraille s’était fiché dans son os temporal. Il survécut, sa constitution jeune et sa soif de vivre compensant la honte et le ridicule d’assister de son lit à la déferlante des armées de la libération et à la fête qui s’ensuivit. Il resta plus de trois mois dans l’hôpital pendant qu’une nouvelle vie s’organisait autour de lui, les anciens édiles mystérieusement reconvertis en résistants farouches exécutèrent un trafiquant notoire et tondirent quelques femmes qui avaient eu le tort de s’afficher avec de beaux éphèbes blonds pendant que leurs hommes se pliaient à l’exercice de la guerre et du travail obligatoire. Une longue cicatrice barrait son visage mal dégrossi, descendant de la pommette vers le menton, lui donnant cet aspect viril d’un masque de combat qui, s’il le priva de conquêtes féminines par la suite, lui permit par contre de s’imposer dans un monde d’hommes où ce stigmate prouvait son courage et sa valeur.
Se réadapter à la vie civile après ce fait d’arme n’était pas chose aisée, d’autant plus que la permanence des regards de ceux qui connaissaient l’origine de sa cicatrice le renvoyait à un acte héroïque au goût d’inachevé qu’il préférait oublier. Il quitta son maître boulanger après quelques mois pendant lesquels celui-ci sut reconquérir le cœur des habitantes et put en toute sérénité continuer son commerce même si son chiffre d’affaires baissa du fait de l’absence de commandes de ses clients germaniques. Il ne leur pardonna jamais de ne point avoir réglé leurs dernières fournées. Georges étouffait dans cette ville de province trop étroite, il s’exila dans un Paris fraîchement libéré et trouva un emploi de commissionnaire en vélo, livreur à toute heure du jour et de la nuit, des colis d’un tailleur dont l’atelier s’était remis à tourner malgré la pénurie de tissus et les difficultés d’approvisionnement. L’heure était à la fête même si les armes ne s’étaient pas encore totalement éteintes.
La vie lui semblait pourtant bien morne. A plus de dix-sept ans, Georges, qui avait effleuré son rêve de gloire dans cette nuit du 8 juin 1944, ne pouvait se contenter de pédaler sur sa bicyclette alors que le souvenir de cette crosse à son épaule et de ses responsabilités sur cette barricade lui semblait si frais. Il aspirait à une vie d’aventures, il désirait s’évader et conquérir le monde, fouler des terres inconnues, affronter des dangers que sa soif de mystères lui rendait attrayants. Après quelques mois de cette vie solitaire à parcourir les rues de Paris, il décida de s’engager dans l’armée française qui recrutait pour défendre son empire colonial.
C’est dans la marine qu’il fit ses classes. Pour un homme de l’Ouest cela semblait l’évidence. Derrière l’horizon se profilaient des pays d’enchantement, le rêve d’un ailleurs à explorer, la certitude de s’affranchir de son univers quotidien. Il avait enfin trouvé une famille d’adoption, une famille rude avec ses codes et ses rites, qui le protégeait. Lui qui avait vécu la boulange ne craignait pas les levers au petit matin, les marches pendant les classes, le compagnonnage d’êtres frustes, la soumission à l’ordre établi et la stricte hiérarchisation qui ordonnaient la vie de ce groupe d’hommes jeunes qui aspiraient à en découdre avec le monde entier. Il dut s’imposer par la force, n’hésitant pas à faire le coup de poing pour se faire respecter et gagner une respectabilité à laquelle il aspirait.
Leur bateau, une corvette « le Degueldre », appareilla en 1947 pour rejoindre le Tonkin qui s’agitait. De longs mois à sillonner les mers, à sentir les brises océanes déposer le sel de l’inconnu sur ses lèvres, à se rapprocher d’une guerre qu’il se devait d’accomplir le rendit plus mûr, plus adulte, enfin réconcilié avec lui-même. Il était fin prêt à trouver sa place dans un monde qui l’avait toujours rejeté.
Affecté au radar, il passait de longues heures à fixer un écran vert qui scintillait, dénichant les traces des présences des navires qui les croisaient, la ligne rouge du curseur balayant la fenêtre ouverte sur l’extérieur était comme un repère permanent de sa volonté de découverte et d’exotisme. Quand ils s’amarrèrent par un matin de septembre ensoleillé au quai grouillant de Hanoi, il sut qu’il était arrivé à bon port et que sa vie commençait.
Sa spécialité de radariste lui permettait d’avoir du temps libre quand le bâtiment ne voguait pas et il profitait largement de longues permissions. Son bel uniforme, ses galons de quartier-maître, l’air canaille de son visage couturé, l’énergie qu’il dégageait dans ce pays qui allait s’enflammer mais autorisait encore quelques répits lui permirent de passer les plus beaux mois de sa courte vie. Quand il flânait dans les rues de Saigon, buvait des bières dans les bars enfumés en compagnie de serveuses dénudées, finissait ses nuits dans les bras d’une femme au parfum exotique, il avait l’impression de toucher au bonheur. La vie d’un marin est scandée par ces moments de liberté, quand l’ordre des choses autorise toutes les errances, obère l’angoisse de l’avenir, libère des contraintes du présent. Nourri, blanchi, pris en main du soir au matin pour finir libre comme l’air dans un pays où la tension perceptible n’était pas encore un frein aux expéditions nocturnes, il savourait chaque jour avec la certitude d’avoir choisi la voie royale qui le mènerait au bonheur.
Ce pays magnifique le fascinait. Dans les rues animées, les pousse-pousse se frayaient un chemin, s’écartant aux coups intempestifs des klaxons de limousines rutilantes, des arbres inconnus égayaient de leur ombre des ruelles où un peuple chamarré, souriant, volubile déversait une bonne humeur contagieuse. La pluie chaude s’abattait pendant la mousson noyant l’horizon dans ses plis pour disparaître et s’évanouir en un instant magique où le soleil éclatait, irisant d’arcs en ciel les toits de la ville. Melting-pot de populations, croisement de tous les aventuriers de la terre et des affairistes qui venaient chercher fortune, il semblait impossible que la situation dégénérât et que les affrontements que l’on percevait au loin débouchent sur un conflit qui allait embraser la péninsule pour de longues années de cauchemar. Georges dans l’abri de cette corvette devenu son hâvre, était si loin de la guerre malgré son uniforme qu’il ne vit pas s’installer la terreur autour de lui.
Cela commença par des règlements de comptes, des agressions, des disparitions et petit à petit, les permissions se firent plus rares, les consignes plus strictes, la mise en place insidieuse d’une mécanique d’attaques ripostes condamnant les mondes de l’Occident et de l’Orient à un affrontement direct. La guerre réelle venait de commencer et il se retrouva vissé à son radar, emprisonné dans son bateau de fer, ligoté par des points scintillants sur l’écran vert qui sonnaient l’heure de la déroute de cette grande armée française accrochée aux miettes d’un empire colonial qui craquait de toute part.
Au fond, il ne vit rien de ces années de plomb, et dans ce tunnel qui menait droit vers un Diên Biên Phu d’apocalypse, il n’entendit que le canon de son bâtiment qui lançait des obus meurtriers à l’aveuglette sur des cibles mouvantes jamais concrètes. Cette guerre était si loin de son imaginaire, une théorie dont il sentait la réalité autour de lui mais sur laquelle il ne pouvait mettre de visage. Il n’avait toujours pas tiré de coups de feu sur un ennemi concret, son héroïsme s’épuisant dans les longues veilles de sa salle d’opération, à suivre des yeux des abstractions en mouvement.
Quand l’heure de la retraite sonna, il n’avait toujours pas subi le moindre engagement actif et gardait le goût âcre de l’inachevé dans sa soif d’absolu. La panique de la défaite le toucha comme des milliers de Français qui comprenaient que leur époque était révolue et qu’ils devaient laisser la place à la nation américaine pour défendre les valeurs de l’Occident contre un communisme qui gangrenait la planète. Les barbares avaient gagné, il était si loin le temps des douceurs des nuits de Saigon, les odeurs et les saveurs d’un pays de mystères. Le réveil était douloureux.
 
Georges revint en métropole avec l’image de la défaite collée à ses basques. Il ne connaissait personne, sa famille n’existait plus, il avait coupé tous les liens, ses rares relations s’étaient évanouies dans une France qui se reconstruisait. Il ne comprenait pas les règles de ce nouveau monde qui s’érigeait. La population demandait à toucher les dividendes d’un essor que rien ne semblait pouvoir entraver, les chantiers effaçaient les traces encore visibles des stigmates de cette guerre qui l’avait ravagée. Ceux qui portaient l’uniforme sali par la défaite d’un peuple de jaunes débraillés n’avaient pas de place dans une société qui voulait oublier alors que se profilait un nouvel abcès du côté des Aurès. Il rempila dans les fusiliers marins car il ne savait où aller avec sa cicatrice qui lui barrait le visage et sa solitude que seuls les ordres d’une hiérarchie pouvaient rompre.
C’est en 1957 qu’il franchit la Méditerranée pour conserver dans le giron de la France ce morceau de terre aride que les indigènes voulaient s’approprier. Il rêvait de combats, de tirs qui faisaient mouche, d’escalades à marche forcée pour investir des fortins grouillant d’ennemis, le panache au vent et l’ivresse au bord des lèvres. Il ne connut que la bataille d’Alger, les attentats, les mutilations et ne voyait jamais d’ennemis, juste des ombres qui s’évanouissaient. Il n’aimait pas ce pays. Autant les charmes de l’Asie l’avaient subjugué, autant ce soleil qui écrasait la ville, cette population vêtue de gandouras, les femmes voilées, la saleté de la casbah l’insupportaient. Il ne se sentait aucun atome crochu pour cette culture trop austère à ses yeux. Le moindre regard, la plus bénigne réflexion pouvaient dégénérer en rixe, les femmes confinées dans leur rôle de mère ne trouvaient pas grâce à ses yeux. Il n’aimait pas l’islam et le pays lui rendait bien, lui, oppresseur entaché de tous les vices d’une société plongée dans la frénésie des années glorieuses qui s’annonçaient et faisaient craquer les habits trop étroits du conformisme.
 
 
Georges est affecté dans une Wilaya perdue au fond des Aurès. Les neuf européens de la section et les trente supplétifs locaux tiennent une bâtisse carrée de bois et de boue séchée. L’espace confiné tranche avec ce ciel si pur et si beau qui grise le matin, quand le regard s’évade et perce l’horizon. Les fellaghas grouillent et tiennent la nuit, exerçant une pression constante. Le jour les voit débouler, sortir de leur cocon pour des  patrouilles dangereuses qui maintiennent l’illusion d’un ordre établi et le temps s’écoule inexorablement, dans le bruit et la fureur de ce groupe d’hommes que tout sépare, que seule la mort réunit.
Georges n’a pas encore tué un ennemi, ou s’il l’a fait c’est sans le savoir, dans l’inconnu d’un tir de riposte à l’aveuglette, par une nuit sans lune d’une énième escarmouche. Il est le chef de section de cet avant-poste perdu dans les collines, sous-officier issu de la base que seules les années passées sous le harnais consacrent d’une quelconque légitimité. Il vit le quotidien de ses hommes, la saleté et le manque d’eau, les poux et les blessures infectées, les ordres qui tombent dans une radio qui crachote et les mènent vers ces sentiers semés de pièges, les habits froissés de la peur permanente. Georges est un combattant de la libération qui se rappelle encore cette nuit dans le bocage vendéen et une cicatrice atteste de sa valeur. Georges aimerait pouvoir éprouver son courage et voir s’éteindre dans les yeux de l’ennemi sa soif de vengeance, sa certitude de ne pas avoir raté sa vie.
Georges n’a pas trente ans et le monde qui rit et pleure dans les joies domestiques est si loin de lui, si impossible à concevoir qu’il ne comprend pas que c’est le vide qui a nourri sa vie d’homme, succédant à ce vide d’une enfance brisée par la mort de ses parents. Georges a oublié le parfum d’une mère, la douceur d’une peau et l’exotisme de cette parenthèse tonkinoise qui fut la seule période où il lui a semblé que la vie avait un sens. Tout se dérobe à son souvenir.
Il marche d’un pas alerte de militaire de sa carrée au poste de vigie, se remémorant ses rêves de prestige et les médailles à conquérir. Il attend toujours cet instant de gloire qu’une confrontation lui permettrait de mesurer, l’aune de son courage, la valeur de cet individu qui a si vite grandi sans connaître le prix de la vie. Il ne sait pas encore et ne saura jamais que de l’ombre, un projectile va venir se ficher dans son cœur, un coup heureux, un signe du destin pour un combattant du silence dissimulé sur la crête qui fait face au camp retranché.
Il va encore avancer sur sa lancée, deux pas tanguant qui le mèneront au bout de sa destinée et s’écroulera dans un flot de sang chassé de son corps. Il ne souffrira pas vraiment et à l’instant précis où ce fil qui le relie à l’humanité se distend pour le laisser voguer vers d’autres cieux, sa dernière pensée sera pour cet ennemi avec qui il aurait tant aimé se battre d’égal à égal.
Georges est mort comme il a vécu, pour rien, parce qu’il n’avait pas sa place dans cette grande comédie de la vie. Sa tombe repose dans un petit cimetière de Vendée et il n’y a personne pour la fleurir le jour de la Toussaint. Il reste seul dans la mort comme il a été seul dans la vie.
 
 
 
 
 
 
 

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Un père Noël pour les Pères Noël

Publié le par Bernard Oheix

 
C’est un incunable que je vous offre. Un texte composé il y a 25 ans exactement ! A l’époque, le Courrier de l’Ain m’avait proposé d’écrire un conte de Noël et pendant 3 ans, j’ai eu ce privilège de la « Une » d’un quotidien de la Bresse. J’aimais cela.
Bon, il faut resituer le contexte : le mur de Berlin existait plus que jamais, le parti communiste en France faisait plus de 15%, la gauche n’avait plus détenu le pouvoir depuis 35 ans et moi je pétais le feu, directeur de la MJC de Bourg en Bresse, 30 ans, toutes mes dents et plein d’espoir. Il y avait des blocs idéologiques, des combats d’idées et la tentation de refaire le monde était permanente.
Si je devais écrire un conte aujourd’hui, pensez-vous que la belle Carla pourrait incarner l’avenir radieux d’une nation ? Et le Père Noël français  ne ferait-il point peur aux petits enfants ? J’ai préféré exhumer le passé, il fleurait bon la France d’avenir !
 
« La vocation se perd, éructait le représentant de l’Imam. De vieux vicelards qui serrent sur leurs genoux de petits chérubins blonds… voilà ce que nous devenons ! »
« Fascistes », l’interpella le Père Noël américain en enfournant une tablette entière de chewing-gum, papier compris.
Le bloc des Pères Noël socialistes, groupé autour du soviétique, se leva alors…
« Monsieur le président, nous sommons les impérialistes américains de retirer ce mot. La provocation contre un pays qui se libère du joug américain n’a que trop duré. Nous soutiendrons jusqu’au bout la juste cause des enfants opprimés par l’exploitation capitaliste du temps de loisir enfantin »
Le Père Noël de l’Allemagne (de l’Ouest) applaudit bruyamment pendant que celui de l’Allemagne (de l’Est) lui filait un coup de coude dans le plexus solaire.
Dans le chahut général, le délégué du Zimbabwe annonça une rupture unilatérale des Pères Noël noirs avec les enfants blancs de l’Afrique du Sud et exigea une augmentation de 30% des frais de déplacement pour le continent Africain.
 
Le symposium des Pères Noël tournait à la foire d’empoigne quand le Chinois (malgré l’éclatante réussite du plan de régulation des naissances) demanda le respect intégral des quotas-foyers, l’Albanie et la Corée du Nord saisirent la Yougoslavie et la République de Formose par leur grande barbe et les traînèrent par terre.
Le président intérimaire des Pères Noël, un Suédois, devant la gravité de la situation, envisagea même de faire un putsch militaire avec le Père Noël argentin, un grand spécialiste de la question, quand soudain…
 
Comment vous raconter ?
Un ange, oui, pas un Père Noël, un ange se leva, devenant le point de mire, faisant taire même les plus obstinés. Le Père Noël chilien rengaina son fouet, le Suisse oublia de remonter sa montre, l’Italien dissimula ses mains dans plis de sa grande houppelande.
Il dégageait une impression de calme, de force, mais d’une force – comment dire- oui – tranquille. Oui, c’est cela, une force tranquille. D’un geste dominateur, sa voix sensuelle…
 
« Avant que de subir l’anarchie, engendrée par nos propres errements, eux-mêmes sous-produits d’une conjoncture à dominante de crise, parlons franc : le Sud a des problèmes… et bien nous l’appellerons le Nord, l’Est et l’Ouest s’affrontent, réglons cela à la belote, vous avez des chômeurs, faites-en des Pères Noël supplétifs, les titulaires devenant ministres des droits de la femme ».
Enfin, pêle-mêle, une série de 378,5 mesures furent annoncées, parmi lesquelles nous pouvions noter la détaxation des barbiers de Père Noël, une augmentation (0,33%) de la TVA des piles de voitures de course Renault et Fiat, la suppression du catalogue Goldorak pour incitation à la violence, la gratuité des poupées gonflables pour les plus de 72 ans avec assistance technique…
L’assemblée se déchaîna, ovationnant le Père Noël français. Une ronde spontanée entraîna les hommes rouges à grandes barbes blanches, l’Américain et le Russe en profitèrent pour s’embrasser sur la bouche, l’Afghan et le Polonais riaient à gorge déployée, l’Arabe versait des rasades de pétroles à n’en plus finir… c’était du délire !
Et oui ! Après avoir frôlé la rupture, le désastre… Noël 82 laissait présager d’un bon 83 harmonieux, relevé à souhait.
Qu’en sera-t-il exactement ?
Et bien cher lecteur, rendez-vous au 25 décembre 1983 !
 

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C'est mon anniversaire !

Publié le par Bernard Oheix

Si vous entrez dans cette zone de lecture, sachez que le 26 décembre est le jour anniversaire de ma naissance. J'ai actuellement 4h 37 et un certain nombre d'années... même si d'aucuns disent perfidement que j'ai un nombre d'années certain ! C'est vrai, mais le coeur bat encore contre la misère, l'humiliation, le désespoir et toutes formes d'oppression. La tête refuse encore de se laisser berner par les apparats du pouvoir, les ors d'une frénésie sans frontières ! Derrière tous les beaux discours lénifiants, la réalité ne peut s'enfermer dans une boîte à rêves qu'un prestidigitateur ferait disparaître comme par enchantement. il y aura aussi des lendemains éprouvants pour ceux qui marchent debout et refusent de fermer les yeux !
J'ai (bip) ans et je rêve encore et toujours d'un monde meilleur !
Bon, il va falloir me faire un cadeau : un petit mot, un encouragement, une phrase gentille... soit en commentaire de ce papier, soit sur mon adresse personnelle  :
bernardoheix@hotmail.com
Si vous me connaissez, cela vous sera facile, si vous ne me connaissez pas et que seul le hasard vous a guidé vers mon blog, alors, improvisez, faites pour le mieux mais je veux, toute cette semaine, une trace de ceux qui émergent dans cet océan de signes que je dessine afin de vous toucher et de m'émouvoir !
A vous d'écrire, c'est mon anniversaire !

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Gloubi-Glouba, une tarte à la crème de culture !

Publié le par Bernard Oheix

 Melting-pot et salade niçoise, de la culture en vrac, images et sons à volonté. C’est la période des cadeaux de Noël, et dans les souliers qui sèchent devant l’âtre fumant, il y a des heures de passion, des espoirs parfois tenus, quelquefois déçus, du rêve et de la réalité, de belles histoires et des drames à hurler, quand la fiction est moins insupportable que la réalité, quand parler du monde vaut bien le découvrir et que la terre reste ronde pour les générations à venir. Et qu’elle reste belle aussi dans son écharpe d’ozone !
 
Vu aux Rencontres Cinématographiques de Cannes (du 10 au 15 décembre).
Orgie de pellicules entre mes spectacles, traverser la rue, en pyjama, et ouvrir les yeux en laissant les portes de la perception ouvertes.
Cortex de Nicolas Boukhrief. Un vieil ex-flic en train de perdre la mémoire se retrouve dans un asile où il sera le seul à comprendre qu’un drame se noue dans les nuits glauques de la maison de retraite. Il mènera l’enquête entre son handicap et la crédulité de ceux qui l’entourent et une rémission dans le dernier chemin de son crépuscule. A noter la formidable interprétation d’André Dussollier qui s’expose avec crudité et rend totalement convaincant le personnage principal au milieu d’une pléiade d’excellents acteurs. Un bon polar à voir avec plaisir et qui sait distiller une angoisse sourde, celle de notre futur, la vieillesse, et de murs qui montent si haut et cachent l’horizon de nos peurs !
L’année où mes parents sont partis en vacances est un film brésilien de Cao Hamburger. Le thème croise l’intolérance politique d’une junte au pouvoir dans les années 70 et la découverte d’une amitié entre un enfant « laïque » et un juif religieux que tout oppose. Pourtant, c’est tout le peuple du Brésil à travers le football qui communie dans ses différences afin de célébrer la marche en avant vers la victoire finale au mondial du Mexique. C’est un beau film généreux qui parle de ces années de plomb d’une terreur organisée démantelant la vie sociale et ouvrant des blessures dans chaque famille.
Nue Propriété de Joachim Lafosse est un OVNI belge. Cela commence comme une comédie réaliste un peu bizarre, décalée et petit à petit glisse dans l’univers cauchemardesque d’un conte fantastique. La mère (poule !) Isabelle Huppert élève deux enfants jumeaux (autour de 20 ans !) véritables inutiles, asociaux et en rupture avec la société. Elle aspire à vivre un amour au grand jour et à changer de métier, de région. Pour cela il lui faut vendre la maison ce à quoi s’opposent farouchement son entourage et ses enfants ! Le drame n’est pas loin, derrière le visage lisse et sans expression de Huppert, on trouve le désespoir de ceux qui ont les ailes brisées, de ceux que l’on enchaîne et ne peuvent lutter contre les forces qui les dépassent, aliènent leur volonté !
It’s a free world de Ken Loach. Après sa Palme d’or de Cannes d’inspiration historique, le réalisateur revient à sa fibre sociale. Il filme le marché inépuisable des esclaves modernes. Qu’ils soient Polonais, Ukrainiens, noirs ou Asiatiques, tels de véritables bestiaux dans des ventes aux enchères, leur force de travail est achetée à vil prix, sur un champ de foire. Il ne faut surtout pas que l’individu pense, réagisse. Il est indispensable que ce travailleur de seconde zone se laisse exploiter, violer et vendre comme de la sous-marchandise pour que la machine économique tourne à plein régime et que les autres ouvriers marchent droits ! C’est à travers l’ascension d’une femme recruteuse qui deviendra une « recrue-tueuse », (elle va jusqu’à consommer sexuellement l’ouvrier), que sont exhibés les visages las et terrorisés. Un film sur l’ignominie de notre économie qui rappelle cruellement que si certains annoncent la fin de la classe ouvrière, d’autres filment et montrent les nouveaux pauvres d’une économie mondialisée générant un retour en arrière aux conditions de vie d’un XIXème siècle d’oppression. Nous ne sommes pas tous égaux devant la pauvreté !
La Zona de Rodrigo Pla. Le Mexique où se juxtaposent une favela et un parc résidentiel haut de gamme pour riches. Tout s’achète, même les policiers et les juges. Dans cette zone, une enclave de non-droit régie par l’argent, les règles strictes de vie communautaire débouchent sur un régime fasciste basé sur les instincts les plus vils de conservation des privilèges et d’exclusion des autres. Cela se révèlera dans une nuit de tempête, quand 3 jeunes viennent cambrioler une villa et déclenche une machine à broyer les différences qui va les exterminer en toute impunité. Un film dur et violent, une poursuite impitoyable dans l’univers aseptisé d’un argent roi.
La fête du feu. de Asghar Farhadi. Dans un Iran moderne ou le tchador et le computer font bon ménage, une jeune amoureuse « traditionaliste-moderniste » va croiser le destin d’un couple de « bobos » à l’iranienne en train de se déchirer. La jalousie morbide de la femme devant l’innocence affirmée de l’homme, la liaison finalement avérée du mari, les odeurs et le bruit, les cris et les couleurs passées…malgré une certaine facture naïve, des situations tirées par les cheveux et un moralisme dégoulinant qui coule comme une source d’abondance, le film se laisse voir et donne une vision vertigineuse du monde iranien. Notre perception basée sur des caricatures permanentes devra revoir à la hausse la complexité du processus en marche dans cet Iran de l’après Khomeyni, celui des Ayatollahs de la modernité ! Je pense à la vision (ô combien chaste) d’une femme adultère…mais aussi à cette ambiguïté permanente entre la femme active (qui travaille, prend des décisions) et la femme soumise (à la loi de l’homme, aux codes de bienséance de la société…), à cette pression permanente du groupe social (les autres) dans la vie d’un individu.
Faut-il prendre des gants avec l’amour avec des gants ? Maurizio Nichetti est très sympathique et débonnaire, mais que son film a vieilli ! Qu’il ait eu du succès, tant mieux, mais bon, autant l’oublier et en garder le souvenir ému d’un sourire lunaire et de quelques gags que l’époque lointaine de réalisation a embellis de sa patine !
4 minutes de Chris Kraus. Un film allemand, une histoire tendue sur la lame d’un rasoir, entre le sublime et le sordide. L’éternelle sauvageonne, meurtrière, qui possède un don ! Un sang de musique coulant dans les veines de la colère. Il faudra du temps pour que la professeur de musique bénévole de cette prison puisse offrir une rémission à la meurtrière. Il faudra qu’elles se dévoilent mutuellement dans leurs blessures cachées, dans la soif d’absolu d’un art au-dessus de la vie. C’est beau, cruel et merveilleusement optimiste, baroque, naïf parfois. Cette œuvre a eu le grand prix du cinéma allemand 2007, elle démontre à l’évidence la vitalité actuelle de ce cinéma.
Enfin veuve ! d’Isabelle Mergault.
Son « je vous trouve très beau » avait touché. Ce deuxième film est un peu poussif. Il cherche à émouvoir tout en amusant et ne vise pas toujours juste au milieu…Le personnage de Gamblin n’est pas crédible, ce qui n’est pas grave en soi, mais faute de goût, un peu ridicule ! Tout est tiré par les cheveux même si on passe un moment de détente parsemé de quelques sourires ! Bon, Isabelle, d’abord tu changes de tenue (grotesque ton body qui exhibe ton ventre sur la scène du Grand Auditorium !) et puis tu te remets au travail. Tu nous as prouvé que ton premier film n’était pas une réalisation jouée au hasard sur les dés du destin, tu as du talent, alors on attend ton prochain film !
 
Vu dans les salles de Cannes.
Je suis une légende réussit l’exploit de massacrer un des chefs-d’œuvre de la littérature fantastique de Richard Matheson. C’est du mauvais cinéma américain, du vrai mauvais à base d’effets spéciaux ridicules et d’un temps étiré sous la coupe d’un scénariste pour adolescents. C’est un crime contre la littérature et le rêve ! Lions et agneaux de Robert Redford se veut un affrontement moral sur le thème du devoir et de l’accomplissement. C’est lourd et pesant, chacun étant dans son rôle, et infligeant au spectateur de longs développements insipides (Tom Cruise en faucon politique, la journaliste en ex-révoltée lasse et doutant avec ésotérisme de tout, Redford en prof abscons chargé d’éveiller les consciences en les libérant). Ô Robbie, réveille-toi, tu dors ! Les promesses de l’ombre de David Cronenberg est génial. S’il y a un film à voir, c’est celui-là ! C’est un bijou sauvage et cela brille dans la nuit ! Interdiction de raconter l’histoire, filez vous rendre compte, c’est Maître Cronenberg, il nous le prouve de film en film ! 15 ans que Coppola n’avait plus tourné. Il aurait pu tenir encore quelques années avant de faire son come-back avec cet Homme sans âge ! C’est compliqué, un peu insipide, pas très bien tourné… mais c’est Francis Ford Coppola. Le cœur des hommes 2 est une superbe comédie douce amère de Marc Esposito. Les suites sont parfois bien en-deçà des espérances ! Ce n’est pas le cas pour ces retrouvailles émues. C’est comme si on n’avait jamais quitté les 4 éternels adolescents plongés dans leurs histoires de cœur, et cela fonctionne, encore et toujours. Pour le 3ème opus, prévoir les chaises roulantes ! Quant à L’Autre monde, avec Benoit Poolvorde, si on ne l’a pas encore découvert, inutile de s’y rendre, c’est une invention de critiques en mal de copies !
 
Sur Quelques livres.
Peu de temps pour la lecture. Entre les films, les spectacles et les voyages (plus un peu le travail !). J’ai quand même dévoré le dernier Harry Potter et les reliques de la mort. Il est temps que la série se termine, mais c’est toujours un plaisir de retrouver le petit Potter… même s’il grandit de livre en livre ! Un conseil : si vous ne l’avez pas lu, filez vous faire offrir par le Père Noël l’intégrale de Potter, vous ne le regretterez pas ! Patricia Macdonald et sa femme sans tête. Moi, j’ai un problème avec les polars. J’adore les lire mais j’oublie aussitôt ! Il s’agit ici d’un homme innocent de la mort de sa femme mais jugé coupable… petit relent du Fugitif…Et puis c’est parti, il meurt assassiné, l’enquête est reprise par sa fille et… J’ai l’impression que je suis en train d’oublier la suite mais ce n’est vraiment pas grave ! C’est comme le Mortel été de Molly Katz…J’ai complètement zappé l’histoire ! Le poids léger d’Olivier Adam m’a été conseillé par Julien O. C’est un auteur que les jeunes aiment, dans lequel ils se retrouvent. Je comprends pourquoi ! Au passage cela doit vouloir dire que je suis encore jeune ! Une histoire simple et tragique, écrite sans fioritures, entre le désespoir et l’espoir, en gris fauve avec une fin fermée à double tour sur tout bonheur… Le monde n’est pas vraiment un Disneyland dans lequel on peut s’ébattre en espérant que l’orage se calme avec Carla Bruni !
 
Sur quelques spectacles.
Aaron en concert à la salle Lino Ventura. Qui n’a pas chantonné la bluette de « Je vais bien, ne t’en fait pas » ?  Qui pensait que ce coup médiatique cachait les desseins inavouables d’un grand méchant showbiz ? Que Nenni ! Ils sont deux plus une ravissante violoncelliste un peu accessoire (mais pourquoi donc les violoncellistes sont toujours belles et délicieusement érotiques ?). Piano-guitare et voix. Les Aaron assurent un set excellent, possèdent une vraie voix chaude et une aisance sur scène remarquable. Ils embarquent le public dans un show particulièrement intelligent et efficace et démontrent à l’évidence que leur succès ne doit rien à personne, qu’ils sont partis pour durer ! A revoir en confirmant ! Les ogres de Barbac sont une énième mouture de cette veine néoréaliste à tendance tsigane, entre le caf’conç et la fête, la chanson à texte et l’énergie débridée d’une musique à danser. C’est plutôt réussi. Un bon moment parfois un peu verbeux !
Je ne vais pas vous parler de Cabaret Passion et de la Belle de Cadix. C’est à se demander qui a programmé ces spectacles (Merde, c’est moi !), par contre si Second Sexe est convenu et un peu trop frais, les Hushpuppies déroulent un rock de derrière les fagots à sentir toutes les notes hurler. C’est sauvage et rock de rock. Une belle surprise pour aller vers ces fêtes de fin d’année où l’on devrait enfin goûter le temps de souffler et de prendre son temps !
 
Bon Noël à toutes et à tous. Et vive la culture !
 
 
 

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Dance me (2)

Publié le par Bernard Oheix

Suite et fin des commentaires sur le Festival de la Danse de Cannes qui s'est déroulé du 24 novembrez au 1 décembre. Une semaine chargée mais ô combien passionnante !
 
Mercredi 28 novembre 18h30
Compagnie Najib Guerfi.
« Orphée et Eurydice ». (Création 2007)
« Les damnés »
On connaissait Les Damnés dont une première version avait été offerte au Monaco Danse Forum. Ancien de Kafig, Najib tente de faire fusionner le Hip-hop avec d’autres styles, d’y greffer des mythes et de garder de l’humour. C’était le projet d’Orphée et Eurydice.
Le moins que l’on puisse dire et que, dans cette création, il se prend les pieds dans le tapis, se roule en boule et se plante en beauté. La danseuse est aussi adaptée au rôle que votre serviteur nu en train de faire des claquettes, Najib, pour impressionnant qu’il soit, peine à arquer sa carcasse de vieux macadam runner des années de gloire dans des portés vacillants, c’est abstrait et prétentieux, tout semble faux et inabouti…même s’il reste les micropulsions pour faire illusion… dommage ! Il faut savoir revendiquer l’échec, cela fait partie intégrante de l’art… et en conséquence, Najib, ce jour-là, a été un grand artiste !
Les Damnés viendront remettre les choses en place. Bien sûr que Najib est un bon, bien sûr qu’il est un vrai chorégraphe, que ses Canaques ont une énergie de folie et qu’il est un metteur en scène bourré de talent ! Cette version est encore meilleure que celle du Monaco 2006. Salut Najib, l’artiste, tu retomberas sur tes pattes de chat et rebondiras encore et toujours comme un éternel « sauvageon », (le titre de ton excellent livre !) qui sait que la vie n’est pas là pour lui faire de cadeaux !
14h00 et 21h00
Europa Danse
« Picasso et la danse »
La première partie est composée de 3 pièces dont « Parade » remontée à l’identique sur l’argument de Cocteau, musique de Satie, chorégraphie de Massine, rideaux de scène, costumes et décors reconstitués à partir des maquettes de Pablo Picasso.
Sur le plan de la danse, Parade ne marquera pas l’histoire, on a connu des œuvres moins mièvres ! Mais la fraicheur et la naïveté de la mise en scène, le rôle désuet des accessoires, la jeunesse des danseurs en attente de trouver une grande compagnie donnent à ce ballet de 20mn un charme authentique. Cela renvoie à une époque où tout était possible… parce que beaucoup devait encore être inventé de la vie, parce que les génies précoces se croisaient et échangeaient leur passion et n’avaient pas besoin de s’enfermer dans des tours d’ivoire, parce que cette époque était ouverte à tout, même à l’horreur naissante ! C’est donc à une tranche d’histoire que nous étions conviés et nous l’avons feuilletée comme un vieux livre jauni au parfum suranné.
« Pulcinella » et « Mercure », deux créations de Stekelman et Malandain venaient compléter Parade. En 2ème partie, un flamenco pur et dur (pas comme Galvan !) avec filles en chair, garçons bondissants, les doigts en l’air, le derrière en l’air, la tête en l’air…et toujours ces attitudes hiératiques, les grincements de la guitare, le rauque de la voix… bon, vous l’avez compris, nouveau ou ancien, le flamenco m’ennuie !
Jeudi 29 novembre 18h30
The Guests Company-Yuval Pick
« Look white inside »  création 2007/coproduction Festival de Danse de Cannes.
Il y a un drap sur la scène, les danseurs s’agitent, dessous et dessus, à tour de rôle, y en a un qui a une queue, et un autre une couronne, mais on sait jamais pourquoi… et cela dure une heure, et les danseurs ont une gastro pendant tout le temps du spectacle ! C’est long une heure, c’est dur la gastro !
21h00
Sidi Larbi Cherkaoui/ A Filetta
« Apocrifu » (Coproduction Festival de Cannes/Théâtre de la Monnaie).
Qui a vu « In Memoriam » à Monaco sait combien l’alliance de la créativité de Sidi Larbi Cherkaoui (l’homme qui crée plus vite que son ombre !), la qualité des danseurs de Maillot (le chorégraphe des ballets) et les chants polyphoniques d’A Filetta peuvent se magnifier de s’enrichir mutuellement. In Memoriam était un chef-d’œuvre, qu’en serait-il de cette coproduction avec des Belges ?
D’abord, 3 danseurs (dont le chorégraphe Cherkaoui) cela ne vaut pas les Ballets de Monte-Carlo, un décor fagoté, une moitié d’escalier réussi grimpant vers le ciel en regard d’une maison hideuse sur un étage manquant singulièrement de charme ! Un thème ambitieux : Coran, Bible et Thora disent la même chose… différemment (!!). Las ! Le chorégraphe se noie rapidement dans une agitation qui alternera le bon, l’excellent et le surfait, le facile, l’à-peu-près !
On a beau posséder le don, aimer travailler sous pression, Apocrifu ne rend que peu de crédit au génie de son maître ! La faute à un manque de temps, à un travail trop superficiel, à la tendance suicidaire d’une fuite en avant. Certains passages peuvent surprendre et attirer, l’ensemble n’est que redite, bien souvent, de son propre travail. La chorégraphie ne se situant pas toujours à la hauteur du foisonnement de son auteur. Bon, on aura la prochaine création de Grasse ou celle de Nice en 2008 pour se consoler !
Vendredi 30 novembre. 21h00
Emanuel Gat Dance
« K626 »
Il y a des noms que l’on sent porter par une forte houle. C’est le cas d’Emanuel Gat, Israélien nommé à la tête de la Danse à Istres, précédé d’une réputation flatteuse, dont personne n’a vraiment vu le travail…ce qui n’est pas important puisque la rumeur publique affirme que c’est un génie. Cela sera donc génial puisque tout le monde (personne ?) l’a décrété ! Il ose le bougre avec ses 8 danseurs se colleter au Requiem de Mozart, s’embarque dans cette épopée avec aussi peu d’expérience que moi pour une transatlantique par force 8. Les bonnes intentions ne font pas forcément le talent. On sent quelque chose de plutôt sympathique, dans sa capacité à faire fusionner le groupe, à le faire se déplacer d’une façon atypique, mais l’ensemble manque cruellement de fluidité et de constance ! Si Pietragalla avait osé faire le dixième de ce que commet Gat, (les mains en l’air en éventail, le sourire niais, les doigts suivant mécaniquement la courbe du visage), il fait nul doute qu’elle eût été immédiatement brûlée vive en place de la Danse ! Gat, lui, s’en tirera avec les honneurs puisque les jeux étaient déjà distribués ! Dommage, il y a quelque chose d’intéressant dans sa démarche, mais les brûlures d’orgueil condamnent parfois au silence et au tarissement des sources les plus abondantes !
Samedi 1 décembre. 18h30.
Compagnie Grenade-Josette Baïz
« Les Araignées de Mars »
Très beaux décors, belle scénographie, lumières fantastiques, utilisation particulièrement astucieuse de draps immenses qui vont devenir à tour de rôle des cordes, des paravents, des éléments d’architecture…
Reste la danse. Les danseurs sont jeunes et beaux mais ils ont si peu à se mettre en mouvement que cela en est misère. Pourquoi les as-tu brimés ma Josette ? Pourquoi ne pas leur permettre d’utiliser cette technique dont on sent qu’elle ne demande qu’à s’épanouir ? Bon, ce n’est pas grave, moi j’aime malgré tout, c’est ma copine ! Tu aurais quand même pu te laisser aller et donner du souffle à ce qui ne demandait qu’à vibrer !
21h00
Les Etoiles de Ballet 2000
Où et quand la revue Ballet 2000 fait son show ! Quelques solistes des plus grandes compagnies venant exécuter des figures hardies dans une danse exhibitionniste où seule la performance compte ! C’est le lot des galas, celui-ci n’y coupera pas, sauf à dire que le néoclassique et le moderne ont aussi droit de cité, que l’aspect poussiéreux des galas traditionnels tend à disparaître et à fusionner avec un temps plus pressé, moins avide de salut et de ronds de jambe. Le petit Ukrainien Daniil Simkin du Ballet de l’Opéra de Vienne va éblouir et désarçonner dans les Bourgeois de Jacques Brel. Doté d’un talent, d’une énergie hors du commun, (on dit de lui qu’il est le nouveau Baryshnikov). Dans le Don Quichotte, il bondira vers des frontières insoupçonnées pour des sauts à ravir et à déclencher une Ola d’enthousiasme ! Aki Saito et Wim Vanlessen (Ballet Royal des Flandres) seront parfaits dans In the Middle, Somewhat Elevated… de William Forsythe.
Il y aura aussi le San Francisco Ballet, l’Opéra de Paris, La Scala… pour un spectacle finalement de bonne facture (un peu court au goût des spectateurs… payants !), dans lequel la cérémonie de remise du Prix à la carrière Irène Lidova à une Violette Verdy rayonnante aura été un moment d’émotion intense. Une grande Dame qui aura marqué son époque (elle fut une des danseuses attitrée de Balanchine qui créa spécialement pour elle de nombreuses chorégraphies !). Elle reste une observatrice aiguë de la danse et conserve un esprit frondeur et curieux.
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Bon, un cocktail plus loin, le Festival se termine…Enfin ! Il aura déclenché les passions sans aller jusqu’à la rupture, il aura vu 12 000 spectateurs, des critiques, des amateurs de danse, des artistes gigantesques et des usurpateurs, des flagorneurs et des humbles, des tordus et des belles, des bêtes et des sanguinaires… Il nous aura permis d’ouvrir une fenêtre sur la création du monde et de mieux comprendre où en est la Danse dans ce grand mouvement des idées qui brasse l’espoir d’un monde différent !
Voilà, le producteur du Gala, mon ami Richard Stephan, avait besoin de tendresse et d’encouragements ! Nous avons donc décidé, en un pari stupide, de nous baigner si la recette atteignait la barre fatidique des 50 000€. Malgré notre échec patent (elle fut de 49 680€ !), nous décidâmes de plonger dans la Méditerranée afin de mettre au frais nos ardeurs… mission accomplie ! Un festival de plus réalisé, un de moins à faire !
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Dance me to the end of love (1)

Publié le par Bernard Oheix

Un titre en hommage à Léonard Cohen
 
Une programmation de Yorgos Loukos, le directeur artistique du Festival de Danse de Cannes est toujours une aventure culturelle intense ! Il y a deux ans, il nous avait asséné une série de spectacles particulièrement éprouvante pour l’organisateur… et le public ! Risque d’un décrochage, on lui avait demandé de tempérer ses ardeurs, la suite et vérification en commentaires !
 
Ouverture le 23 novembre 21h 00 avec le Ballet de Marseille
« Silent Collisions »
Dans ce 3ème volet d’une trilogie sur l’architecture, (les deux précédentes avaient été présentées au festival), Frédéric Flamand, trace sa voie dans la recherche de la place du corps humain dans l’espace urbain.  La première partie balbutie, une gesticulation archétypale qui n’apporte rien à sa recherche, mais l’utilisation (comme toujours chez lui) d’un décor ambitieux (une ville dont les formes se déglinguent au fil du spectacle) lui permet d’introduire une dynamique intéressante dans la seconde moitié. Quelques trouvailles scénographiques, un rythme plus en phase avec le propos, des danseurs un peu figés qui se laissent malgré tout envahir par la tension d’une machinerie sophistiquée…Somme toute, le public, en recherche d’une danse pas trop hermétique, y aura trouvé son compte. A noter, un fossé qui semble se creuser entre un corps de ballet hérité de directeurs néoclassiques (Roland Petit et Marie-Claude Pietragalla) et le style de Flamand qui apparait en inadéquation avec la qualité intrinsèque des danseurs ! Ce qu’a réussi Jean-Christophe Maillot à Monte-Carlo (la mutation d’un corps de ballet et son corollaire, l’évolution du public) semble plus complexe à réaliser dans la Ville de Marseille !
Samedi 24 novembre. 18h30
Compagnie Cave Canem « Dromos 1et 2 »
Chorégraphie Philippe Combes.
Cela commence magiquement. Un drap comme un écran sur un échafaudage, derrière, dans des filets de lumières, la forme d’une femme se dessine comme en filigrane, fantôme du désir. Elle évolue avec grâce, dans une obscurité complice, filigrane de son corps nu, traces d’une féminité qui se dérobe pour mieux s’exhiber. Il y a un jeu subtil sur les formes, le mouvement, l’impossibilité pour le spectateur de s’ancrer dans une logique de « reconnaissance ». C’est somptueux et délicieusement érotique, ambiguë, un rien pervers.
Et puis, patatras !
Le chorégraphe décide de crever l’écran et de faire apparaître la femme ! Las ! Parfois les choses vont tellement mieux sans le dire. Ce qui était magique se dévoile dans son à-peu-près. Elle s’est rhabillée, le mouvement d’hiératique devient ennuyeux, le geste étiré rend insupportable le silence. Chaque doigt, chaque mouvement de tête est une torture ! C’est Mozart qu’on assassine !
Tans pis, on aura vécu la moitié d’un très beau spectacle !
21h00.
Compagnie Israel Galvan.
« La edad de oro »
Déjà le Flamenco… En plus, quand c’est du Nuevo Flamenco !!! Il paraît, à ouïr la salle, que c’était génial, iconoclaste, fantastique… Moi, après 15 minutes, j’avais compris le spectacle et une certaine tendance inclinait mon chef vers le dossier du fauteuil confortable de la salle Debussy qui n’y pouvait rien. Un chant très beau mais on avait l’impression que ses doigts se prenaient dans la porte en permanence et que cela lui faisait vraiment très mal, un morceau de guitare très beau avec plein de notes qui jaillissaient drues, serrées, tellement compressées que cela donnait l’impression que c’était toujours la même chose... Et puis, le seigneur Galvan se lève, il agite ses petits pieds en faisant un maximum de bruit, remue ses petits bras en moulinant comme Sancho Panca, tressaute du derrière et pousse son bassin pour affoler les filles, pour finir par une virgule ironique avec la main à la fin à la dernière note de musique. Tout cela avec l’air d’avoir enterré sa mère au cimetière de La Bocca le matin de sa prestation et en ressemblant à Wladimir Poutine ! Bon, c’est vrai, les gens avaient l’air vraiment content, on aurait dit qu’ils avaient mangé une bonne paella et bu du vino tinto !
Dimanche 25 novembre. 21h00
Ballet Biarritz Thierry Malandain
« Les Créatures »
J’avais adoré son hommage aux Ballets Russes, j’attendais avec une certaine impatience ses « Créatures ». Le ballet est beau, les danseurs évoluent avec cette grâce d’un néoclassicisme qui s’assume. Superbe composition initiale, danseurs qui sautent en cassant les jambes, qui fusionnent sur la musique de Beethoven et nous entraînent dans un univers de mouvements et de silhouettes se fondant dans un noir et blanc austère.
Et puis la mécanique ripe, le propos (trop) ambitieux se perd dans l’agitation et la répétition, les costumes lassent. Quelques idées viendront ranimer la foi en deuxième mi-temps (!), une femme avec de grands voiles, une boule transparente… mais c’est déjà trop tard, Thierry Malandain a presque perdu la partie et n’a pu imposer ce style néoclassique si décrié et snobé par les critiques et les balletomanes branchés… Il a raté une occasion d’affirmer son leadership et d’anoblir le genre. Peut-être que le fardeau était trop lourd à porter ! Le public amateur aura passé une belle soirée… nous savons nous… que avons raté une grande soirée de danse. Tant pis, ce sera pour la prochaine fois !
Lundi 26 novembre. Toute la journée.
Installation performance du Collectif Loge 22-Michel Pomero.
Bon, des boîtes d’œufs que l’on empile et qui s ‘écroulent, des galets qui roulent et la mousse…des marcheurs qui déambulent le long des murs… j’ai fait cela en 70 avec Ben et ses concerts fluxus de l’Ecole de Nice ! Autant rendre à César ce qui lui appartient et laisser le temps opérer son œuvre sans nous ennuyer !
21h00
Compagnie Maguy Marin.
Turba/ coproduction Festival de Danse de Cannes.
Je suis entré à reculons dans la salle. Je craignais le pire étant de ceux que les agressions récentes de Maguy Marin et de Denis Mariotte épuisent. Où est donc passé la femme capable de créer Cendrillon, May B ? Assurément, elle n’est plus dans le monde d’une danse qu’elle enterre en grande pompe dans cette œuvre somptueusement mortuaire ! Mais la magie opère !
Un « danseur » définitivement comédien s’approche du front de scène, dans un écoulement d’eau qui ruisselle sur des tables… Il va se vêtir d’oripeaux et lire en latin des extraits « de  la nature » de Lucrèce….. C’est beau et bouleversant. La scène en noir et blanc va se meubler de couleurs au fur et à mesure que les danseurs viennent évoquer par petites saynètes, les œuvres de Maguy Marin. Chacun déclame en toute langue des extraits de ce livre brandi. Quand les couleurs gagneront sur le noir, une tempête va se lever et briser l’ordonnancement des choses. Ce sera alors la cacophonie d’une inspiration désespérée, un renoncement général que deux portés et un duo étiré au maximum vont définitivement sceller. Maguy Marin, son double, va revêtir une couronne et laisser sa place aux jeunes dans une mort symbolique de son flux créatif. Testament crépusculaire. En cela, elle est redevenue cette immense dame d’images, même s’il lui reste le plus difficile à faire : rompre avec la danse dans les faits, et pas seulement par l’imagination.
Merci Madame Marin pour nous avoir offert ce poème somptueux, cette mort au travail, cette agonie de tous les idéaux. Il y a chez vous le génie du contre-pied et de l’entrechat. Vous errez dans un monde si particulier que votre sincérité ne peut que toucher ceux qui se dressent contre vous !
Mardi 27 novembre. 18h30.
Compagnie Pockemon Crew.
« C’est ça la vie !? »
En gros, la vie c’est d’être riche, de voyager, de voir plein de pays, de rencontrer des meufs, de kiffer grave… de rester très humble comme Zizou tout en faisant savoir que c’est nous, les Pockemon Crew… quand même !
Bon pour le reste, une absence de mise en scène à la Star’Ac, le showbiz avec ses gros sabots en un marketing soigneux, le public (très) jeune qui hurle les prénoms à s’en casser la voix et, disons-le, des danseurs plein de fougue, bourrés d’énergie et de talent. Ils méritaient peut-être mieux… mais c’est ça la vie !
21h.00
Sylvie Guillem et Russell Maliphant.
« Push »
Comment dire la grâce absolue, l’imagination sans limite, les lois de la pesanteur niées. Cela commence par 3 soli. Russel Maliphant à la recherche de son double en ombre. Sylvie dans les trouées de lumières qui écharpent la musique flamenco. Et « two », hallucinant, où la danseuse tente d’échapper à un cône de lumière, par la répétition et l’accélération, de briser sa prison dorée par le mouvement rythmé sur une musique électro envoûtante.
Et puis il y a « Push », un duo de 32 minutes qui amène le spectateur à un point de rupture introduisant la danse dans une dimension parallèle. Cela nous permet de gommer les lois élémentaires de la nature, de défier les normes et les alphabets. Imaginez le noir de la scène. Un rai de lumière vient lécher le corps d’une Sylvie Guillem perchée sur les épaules de son partenaire. Elle va glisser en s’enroulant autour de lui, attirée vers le sol. Quand elle y arrivera : noir. Quelques secondes et la lumière revient l’épingler dans un autre coin de la scène, toujours portée par Russell Maliphant. Et toujours, elle glisse vers le plancher, et toujours ses formes sont fières, droites, sans déroger à l’harmonie, quelle que soit l’orientation, la hauteur, le sens du mouvement des deux corps unis. C’est bouleversant et magique !
J’ai rarement, dans ma carrière de programmateur, pu ressentir un tel degré de perfection, une osmose aussi totale entre deux danseurs et le public, un environnement où rien ne semble déroger à l’harmonie des courbes, à la rigueur des lignes, à la tension des silhouettes, à la plastique des formes. Un corps théorique vers l’astre de la nuit. Le chemin d’un couronnement.
Merci Russell Maliphant pour ces chorégraphies et ces « portés » offerts à une déesse intemporelle, merci aux techniciens, merci au public… et merci avant tout à Sylvie Guillem d’exister et d’être la plus grande danseuse du monde ! J’étais le 27 novembre 2007 dans la salle Louis Lumière du Palais des Festivals, à Cannes, je peux vous le confirmer !
 
Voilà, la suite au prochain numéro…dans quelques jours. Vous aurez encore beaucoup de spectacles de danse à vous mettre sous la dent, encore de belles surprises et quelques « plantades » mémorables !. Juste un peu de patience et je les mets en ligne !
 
 
 
 

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Comment gérer l'impossible ?

Publié le par Bernard Oheix

 Le contexte. Une fête d'équipe pour célébrer un certain nombre d'évènements. La Pasta, restaurant à La Bocca, 30 personnes, la direction au complet, des conjoints et des enfants. Repas de sucres lents, de bonnes pâtes qui soutiennent après le festival de la Danse. Une façon de terminer l'année et surtout, d'honorer le départ de Séverine G, après 8 années passées au sein de notre équipe.
Je me devais de faire un discours. j'ai eu, comme disait Andy Warhol, mon quart d'heure de gloire ! Même si le contexte est un petit peu particulier, il est suffisamment provocant pour que je vous le livre en pâture. 
Bonne lecture et sachez lire entre les lignes....

Vous êtes tranquillement assis à votre bureau et Marie vous pourchasse, traque vos gestes, vous met la pression avec cette antienne… Bernard, les textes, Bernard, écris donc, il est temps de t’y mettre, de passer aux actes…Il faut pondre et produire comme si j’étais une tireuse électrique au pis d’une imagination féconde. Non ! Mais ! La création, ne se commande point quand même ! Ce n’est pas une mécanique sans à-coups, un simple robinet que l’on ouvre et qui voit s’écouler une crème fouettée. J’entends encore la litanie de Marie à mes oreilles sifflantes… Tu comprends Bernard, il y a les 50 ans de Nadine, il y a les 30 ans d’Eurielle, il y a le départ de Romain… Et puis il faut que tu penses à Nitya, à l’arrivée d’Aurélie, et puis il faut aussi…la nouvelle année, indispensable de la caser, et nos excellents résultats, tu avais dit que tu en parlerais…Et puis qui déjà ? Ah ! Oui ! Fais un beau discours pour Séverine, surtout ne l’oublie pas, elle !
Mais bien sûr que je veux tout oublier ! Et puis quoi encore ! Elle se casse, elle m’abandonne et je vais pleurer sur son sort… Et les deux autres qui vieillissent, vous pensez que c’est agréable à regarder les rides, les pattes-d’oie et peut-être même les seins qui tombent…Et la nouvelle année qui me rapproche de la tombe cela vous donne envie de rire de voir que je suis obligé de consommer du viagra pour ne pas m’endormir pendant les spectacles de danse ? Les bons résultats de nos spectacles, parlons-en ! 204 billets pour Rachid Taha… c’est parce que c’est un Arabe, sans doute ! 788 spectateurs payants pour un Suisse de merde qui avait soi-disant toutes les nanas de l’Evènementiel dans sa poche (dixit la directrice-adjointe) et Axelle Red à 400, cela vous chante aux oreilles… c’est à se demander qui s’occupe des relais et de la commercialisation…
Alors où en est-on ? De qui dois-je parler ?
Romain un jeune voyou qui a sans doute couché pour avoir sa mention presque très bien. Il nous nargue avec sa jeunesse, son sourire enjôleur et ses ronds de jambe à faire glousser les minettes de la direction. Il n’est jamais fatigué, se balade entre Barcelone et Cannes et à tous les coups va se trouver un job où il gagnera plein de tunes pour faire la movida !
Parlons d’Aurélie qui babille tellement qu’on ne s’aperçoit qu’en fin de journée qu’elle est là depuis l’aube à bosser sur les jeux et que la cinquantenaire exploite comme une esclave moderne. Elle courbe son joli cou devant l’écran de son ordi. Aurélie est certaine que nous sommes des intellectuels, mais c’est juste parce qu’elle vient d’arriver et qu’elle ne comprend pas grand-chose. Le temps se chargera de la décevoir.  
Nitya, l’ex-stagiaire persuadée qu’elle a tiré le gros lot en venant travailler dans ce Palais des misères et qui imagine que sa vie est devenue un gigantesque Festival de Danse. Fais le grand écart ma chérie et effectue quelques jetées, cela te permettra de retomber sur terre, l’attraction y est plus forte que tes désirs. Tu verras quand tu devras assumer la Belle de Cadix ! Tu en as pris pour 40 ans de galères dans ce bateau ivre.
Nadine, la cinquantenaire flamboyante, l’impératrice des jeux ! Dans vingt ans, elle comptera encore les stands à 92€ de jeunes créateurs aux âges canoniques et à la barbe blanche dont tout le monde se fout complètement et qui présentent des jeux stupides n’ayant strictement aucune chance de percer au vu du désert de leur intelligence. Pour se consoler, elle mangera des chocolats russes périmés en roulant les « r » comme Tatiana.
C’est pas grave, avec ses 20 printemps de moins, y a Eurielle la douce trentenaire qui est en train de galoper sur ses petites jambes dans les immenses couloirs du Palais à la recherche des résultats du scrabble perdu. Elle expliquera encore, quand les neiges auront fondu dans les glaciers des Alpes, à des musiciens anglo-saxons sélectionnés pour la Pantiero que le E204 n’est pas une drogue pour forniquer mais un formulaire de la sécurité sociale pour jouer sur une scène française. Elle entendra peut-être la douce musique de ses rêves lui murmurer qu’elle s’est plantée de chaîne et qu’elle aurait du zapper !
Vous trouvez que je force le trait, vous pensez que je regarde à travers le mauvais bout de la lorgnette. OK, si vous le dites. Mais regardez ce que vous allez devenir… Sophie qui entre en religion SEMEC en décidant de confier son destin à un olibrius… Résultat, après 19 années de douleurs, elle n’ose plus embrasser Stéphan Eicher après son show tellement elle est brisée par la fréquentation des directeurs artistiques. Pourtant, elle y croit dur comme fer à sa place de directrice-adjointe occupée à refaire des affichettes de couleuret des sempiternelles pubs qui n’ont jamais fait vendre la moindre place !
 Florence, ex-tuquette, condamnée à faire un enfant pour fuir son travail et qui attrape des boutons dès qu’elle lit une fiche de catering ou qu’on lui parle d’horaires de trains.
Marie qui se met à faire des fautes tellement elle corrige celles des autres et dont les 15 ans de boîte se résument à ce qu’elle soit devenue une experte en débourrage de photocopieur.
Jean-Marc, c’était un sportif, un footballeur, maintenant, devant sa télévision ce sont des ballons de pinard qu’il ingurgite pour oublier ses misères. Il se complet dans le noir et l’on voit sa tête émerger derrière son écran pour annoncer des catastrophes et déclamer des coûts exorbitants pour une technique qui ne fonctionnera jamais.
Hervé, il avait déjà le képi, désormais, il régente le vide des stands en moulinant des bras dans un Festival des jeux où la populace foule ses belles moquettes multicolores. Et quand il prend l’air, c’est les chiottes du Suquet qui se bouchent et empuantissent l’atmosphère.
Cynthia la stagiaire permanente, celle-là, on ne se rappelle plus quand elle est arrivée et on ne saura jamais quand elle doit partir. Une belle affaire, elle ne peut pas faire un pas dans le Palais sans recevoir des déclarations d’amour enflammées et se retrouver chez les keufs qui en repassent une couche !
Daniel, n’en parlons pas, c’est l’homme qui a tellement pris de pétards dans la gueule que quand il débarque à Montréal, on l’envoie directement à l’hosto pour se soigner et éviter la contagion ! Cela a du lui dérégler quelques neurones !
Et les filles de la presse, parlons-en ! Toujours à l’heure, ponctuelles et précises, investies de la grande mission de faire parler du programme de l’Evènementiel. Bernard, il nous faut une vedette pour faire une photo avec Nice-Matin, pour la conférence de presse avec nos 4 journalistes locaux et ces 8 radios que personne n’écoute. Comment tu n’as pas John Lennon, ou Alain Delon, c’est bizarre, pourquoi ?  Est quand donc programmes-tu un vrai artiste, par exemple, Sting ou à la rigueur Johnny Hallyday !
Marie-Ange, avec son nom de demi-ange, c’est la seule qui entrevoit son paradis. Elle nous quittera bientôt, elle l’a mérité sa rosette en chocolat à force de susurrer des conneries et de mentir effrontément au téléphone pour vendre des spectacles débiles comme si c’était des œuvres d’art, des huîtres perlières, des hommages à l’illustre Jean Sablon que tout le monde a oublié et dont tout le monde se contrefiche !
Bon, rassurez-vous, il reste encore quelqu’un qui doit en prendre plein la gueule… le Directeur ! Alors lui, c’est le pompon ! Il nous fait le coup du jeune qui s’y connaît et parle d’électro, de branché et d’ « in » comme s’il ne pouvait sentir son haleine fétide de vieux corrupteur, de pantin de la culture, de clown ridicule sans recul. Ah ! La noblesse du monde des idées, il nous en a parlé, et seriné, et même qu’à un moment j’ai failli le croire. Les utopies, le rôle indispensable de la Culture… avec un grand C… comme connerie plutôt !
Car maintenant, il faut que je vous le dise, moi qui ai passé 8 ans à vous supporter. Je me casse ! Je me tire ailleurs ! Je voulais être danseuse ! Travailler dans l’harmonie, sentir les bonnes vibrations. C’est ce qu’il m’avait promis le bougre quand il est venu me chercher à la FAC, ce subordonneur, qu’il m’a attirée dans ses rets. J’étais si jeune, pleine d’espoir. Je ne dis pas qu’au début je n’ai pas été sensible à son verbiage… comme à son ramage. Il savait y faire pour confier le boulot aux autres et nous donner l’impression que nous comptions, que nous avions une place privilégiée et que notre mission était capitale ! Alors vas-y ma petite Sève avec ton petit programme pour faire mumuse dans les écoles de petits pendant que je me prélasse dans des palaces en Chine, que je fais le cake dans des lacs gelés en Russie, que je danse des sévillanes en bouffant des paellas… le petit personnel bosse, trime, s’use à parcourir des kilomètres pour convaincre des ignares de prendre des billets pour des pièces de théâtre usées, de la danse vétuste… même pas programmer Françoise Murcia, il a voulu !
Et si encore j’avais pu le haïr !
Mais je vous le déclare, j’ai presque de la peine de vous quitter. Partir, c’est mourir un peu, non… beaucoup dans mon cas.
Je peux tout vous confier désormais. Malgré tout, j’ai aimé ce poste, j’ai aimé travailler avec vous, j’ai aimé apporter ma petite pierre à ce bel édifice, et si j’ai pu quelquefois, avoir, ne serait-ce qu’une légère influence pour que l’on n’oublie pas que la culture ce n’est pas seulement les grosses armadas, les machines sirupeuses, si j’ai pu attirer quelques mômes aux spectacles, et si j’ai pu vendre quelques places et faire rêver… alors je ne serai pas restée pour rien avec vous ! Et ma peine de me séparer de cette équipe en est quelque peu allégée.
Alors voilà, c’est l’heure de tirer le rideau. Pour moi, de m’engager dans un vrai pari, de casser mon confort et d’oser me retrouver avec un challenge sur les bras qui n’est pas piqué des vers. Pour vous de continuer, d’aller de l’avant et de maintenir, tant que vous le pourrez, une lucarne de culture au sein de ce beau palace clinquant qui résonne de toutes les convoitises.
Je vous laisse Nitya en cadeau d’adieu, je sais qu’elle saura se donner avec la même générosité que moi, je sais que le temps va passer mais j’aurai une vraie tendresse pour ces années passées à vos côtés. J’ai fait ce que j’ai pu, ce que j’ai pensé juste et si je m’envole vers d’autres cieux, c’est avec la certitude que vous êtes ma vraie famille !
Alors certainement pas un adieu… mais un au revoir et à toujours !
2007 va mourir, que vive 2008 !

Fin du discours. Au début les rires cascadaient. A la fin, le silence régnait et chacun avait l'émotion au coeur. 3 des filles pleuraient (je ne donnerai pas les noms !) et il faut reconnaître que c'est un de mes meilleurs scores. 

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Mon Maurice Béjart à moi.

Publié le par Bernard Oheix

 
Décéder la veille de l’ouverture du Festival de Danse de Cannes est d’une extrême élégance, comme s’il voulait se rappeler à mon souvenir pour un dernier pied de nez bien dans la nature du personnage.
Cela a été un vrai choc, parce que Béjart pour les danseurs, c’est comme le pape pour les chrétiens ou Zizou pour les « footeux », un personnage incontournable, un phare dans la nuit. Sa lumière s’est éteinte, il reste la mémoire.

Mon histoire avec lui n’a pas commencé à Cannes en l’accueillant au sein du Palais des Festivals, Il faut remonter bien plus loin, vers l’été 1969…
Juillet arrive, il fait chaud en cet été et la vie est belle. Je viens de passer mon bac, j’ai couché avec une nana, je suis devenu un grand promis à l’université et surtout, je vais partir du home familial pour intégrer une résidence universitaire en septembre, destination la fac d’histoire et une maîtrise de cinéma en perspective.
Comme chaque été, je dois travailler pour assurer mon année. Le salaire de ma sueur est donné à mon père, il m’entretiendra tout au long des mois d’études, complété par une bourse d’étudiant et un job que j’ai déniché pour octobre, pigiste à Nice-Matin, responsable de la couverture du handball… tout un programme universitaire qui me permettra, entre autre, d’être le premier des Oheix à avoir son véhicule, une 2CV d’occasion flambante, rutilante, et multicolore à l’automne ! C’est dans une librairie que j’ai trouvé un travail pour août et septembre. Juillet et pour moi, rien que pour moi, mon bac en poche, je sens le vent du large et le souffle de la liberté m’embraser. Je rêve de route, d’ « auto-stop », de rencontres et d’étreintes chaudes comme mes nuits étouffantes.
Sur un coup de tête, je décide de me rendre au Festival d’Avignon. Souvenons-nous, Mai 68 vient à peine de se terminer, la fièvre est dans les rues, dans nos têtes, nous brandissons des panaches rouges comme l’espoir qui bouillonne dans nos veines. Un an déjà…un an seulement, le temps de reprendre ses études, d’avoir passé le bac et de devenir un homme !
Avec un peu d’argent, j’obtiens (à ma surprise, dois-je l’avouer !), l’autorisation de mon père (à l’époque, la majorité était à 21 ans !!!) et me voilà le pouce levé au ciel sur une N7 écrasée de soleil, en route vers l’aventure.
Avignon, c’est la Mecque de la contre-culture, le Living Theater, l’agit-prop, un souk invraisemblable, les fumeurs de joints, les affiches qui grillent au soleil, les parades des saltimbanques qui tentent d’attirer les spectateurs, des lieux de spectacles improbables, une place de l’horloge qui esquisse ce que pourrait devenir cette France qui s’est levée avec le poing dressé et affirme que le monde doit changer.
C’est le paradis. Un duvet, un sac à dos et l’ivresse de la liberté. Je me souviens encore de cette avenue qui monte vers le Palais des Papes que je découvre en une fin de soirée, au milieu d’une faune invraisemblable, dans les couleurs d’un ciel déchiré, au milieu des cracheurs de feu et des clowns qui animent le parvis.
Tout cela pour arriver à ce Béjart que je vais rencontrer pendant ces 10 jours qui vont ébranler mon monde.
Cela a commencé par de gigantesques graffitis barrant les routes, sur les murs, à même les sols. Je crois que c’est la première fois que j’entendais ce nom aux consonances si douces, un nom que je connaissais par Molière (sa femme ?) mais dont j’étais bien en peine de dire ce qu’il recouvrait : « Béjart fait la pute sur les trottoirs de la contestation ». Une formule choc pour des questions sans réponses.
Après des discussions avec des festivaliers sur les combines pour arriver à dormir et manger sans frais, je suis allé nicher à la belle étoile, dans l’île de la Barthelasse, roulé dans un sac de couchage, prendre des douches en cachette dans le camping qui jouxtait. J’ai dégoté (ce fameux bouche à oreille) la Pyramide, gigantesque cantine pour marginaux où l’on tentait d’ingérer des steaks minuscules et durs comme les sabots d’un cheval accompagnés par des frites infâmes dégoulinantes d’huile pour 3 francs. Il y avait les spectacles surtout, le off où l’on pouvait toujours pleurer pour entrer au dernier moment suivant les places disponibles. Souvenez-vous, on est en 1969, Jean Vilar est dans toutes les pensées, c’est le début de l’Avignon moderne des années 80. Il y a encore de la poésie dans l’air !
Sympathisant avec des Belges de rencontre, ils me parlent du « in » et du Ballet du XXème siècle de Bruxelles qui présentent deux créations de Maurice Béjart. Ils ont une place en trop et je casse ma tirelire afin de pouvoir assister dans la cour d’honneur à un « vrai » spectacle plus pour être en leur compagnie que pour l’attrait d’un nom qui restait flou dans mes repères culturels.
Première dans la cour du Palais des Papes. Les gradins, le vent (c’est vrai), les bières que nous buvons, eux, spécialistes de la danse venus pour cet événement, moi, déjà apte à faire semblant de connaître et capable de parler de tout et de rien. Cela a toujours été une de mes grandes spécialités, l’avenir le prouvera !
Jorge Donn, Paolo Bortoluzzi, Hitomi Hasakawa… dans Roméo et Juliette, excusez du peu ! Une première partie poussive, dans la tempête, (je me souviens même d’un Bortoluzzi trébuchant au moment de sauter sur une estrade symbolisant le décor), et soudain, alchimie mystérieuse du spectacle vivant, comme par enchantement, les gestes deviennent grâce, les corps trouvent leur équilibre, les chorégraphies épousent la partition musicale et le bonheur envahit l’enceinte pour une ovation finale comme j’en ai rarement entendue ! Extase pour ce premier ballet d’une culture que je désire acquérir plus que tout ! Félicité de comprendre que la danse n’est pas un art poussiéreux mais bien la magie du mouvement. Cela me restera à jamais. C’est Béjart bien malgré lui qui m’a ouvert les portes de la perception, qui a instillé ce trouble bonheur de découvrir, d’ouvrir yeux et oreilles, de rester émerveillé dans l’attente d’un voile inconnu qui se lève !
Le lendemain, nous continuerons l’aventure et avec « Histoire de… », classe en recherche d’harmonie à la barre, et en 2ème partie, une pièce sublime avec Maria Casares (Bakti ?). Même si le souvenir est sépia et s’est fondu dans les milliers de spectacles que j’ingérerai par la suite, je retrouve à cette évocation, sa silhouette gracile, la fragilité d’un bras tendu, la pose hiératique de cette confrontation entre le théâtre et la danse. C’est si loin mais l’intensité demeure, comme un flash qui brûle la rétine et que l’on gardera à jamais inscrit dans ses neurones.
J’en ressors envoûté, définitivement adepte d’un Béjart dont le vinyle « Messe pour le temps présent » va devenir le signe de ralliement d’une jeunesse en soif de culture et d’idéaux. Il savait coller au mouvement des idées et proposer des codes à la révolte des sentiments, révolutionner l’Art de la Danse en la travestissant des oripeaux de la modernité, jeans déchirés, tee-shirts délavés, dégaine de moines combattant pour des idéaux indéfinis.
Pendant de longues années, je me suis servi de Béjart en traçant ma route. Narrer ma découverte pour frimer, quitte à l’enjoliver (nous n’étions pas si nombreux à l’avoir vu en vrai !), draguer les filles, affirmer une vision originale du monde, rêver à un destin hors du commun… je l’ai mis à toutes les sauces mon Béjart, tiré aux quatre coins de ma planète intérieure, intégré dans tous mes schémas, sans jamais recroiser sa route jusqu’à la fin des années 80, date à laquelle j’ai pu assister au Palais à la programmation de son Boléro avec Jorge Donn. Somptueuse cérémonie, cercle envoûtant où il trônait, quelques années avant de disparaître emporté par la maladie du siècle. 
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Bien plus tard, en 1995, Yorgos Loukos, le directeur artistique du Festival de Danse de Cannes se décidera à le programmer enfin…(j’ai particulièrement insisté pour cela !) pour présenter plusieurs de ses œuvres. Il s’agira en l’occurrence de « Ce que l’amour me dit » (l’art du pas de 2-deux) le 22 mars et de « Journal » (1er chapitre, Igor et moi), « trois pièces pour violon » et « l’Oiseau de feu » le 23 mars.
Pour la première fois de ma vie je vais donc approcher le Maître, parler avec lui, l’écouter. Son corps blessé par l’usure du temps peine à le supporter, mais sa voix est intacte, le bleu de ses yeux malicieux garde une puissance inentamée, son bouc taillé au cordeau en signal de reconnaissance, telle une signature indélébile. Je vais le suivre pendant trois jours, à distance respectueuse, l’approchant pour qu’il signe le Livre d’Or, me dédicace un programme et pour quelques photos volées à un photographe amateur. C’est largement suffisant pour emplir une case de ma mémoire. « L’Oiseau de feu » restait une œuvre majeure, sa première chorégraphie réalisée à Stockholm chez Birgitt Cullberg, les autres œuvres présentées ne me semblaient pas appartenir à cette catégorie, même si sa compagnie savait transformer la boue en grâce, donner de la fluidité à une mécanique du mouvement, introduire la beauté dans le désordre. Même les cadavres pourraient danser au couchant de son talent et de cette touche inimitable. Et puis il est reparti et ma boucle semblait bouclée. Depuis 1969, il m’avait déjà tout donné !
Pourtant, en 1997, des amis producteurs (Gilbert Melkonian et Kate K…) me proposèrent une coproduction avec le Palais des Festivals autour du Béjart Ballet Lausanne pour la représentation de l’œuvre majeure de son répertoire, celle qui a marqué l’histoire de la danse et de la musique : « Messe pour le temps présent » ou la cérémonie en neuf épisodes à la mémoire de Jean Vilar, avec cette bande sonore d’un Pierre Henry dont l’hermétisme allait trouver les chemins d’une vulgarisation exceptionnelle et d’une résonance universelle. Béjart déjà bien malade n’était pas présent, c’est Gil Roman qui assurait la direction artistique en son absence.
Ce fut l’acmé, le zénith, le point ultime d’une aventure culturelle initiée sur les rives du Rhône, sous l’aile d’un pont de guingois, de remparts crénelés, 30 ans auparavant. Voir et entendre la « Messe », celle qui avait symboliquement divinisé l’homme moderne dans l’art chorégraphique, en avait fait le pivot de la rencontre entre un public d’amateurs et d’initiés, qui avait ouvert une voie de modernité dans cet art considéré comme élitiste et poussiéreux. Bien sûr, il n’a pas transformé le monde, naturellement, il ne fut pas un sauveur, évidemment d’autres créateurs représentant la jeune création française s’engouffrèrent dans cette brèche et apportèrent leur pierre à un édifice qui allait vivre un âge d’or dans les années 80.
Béjart a disparu. La danse s’est transformée irréversiblement avec lui. Son œuvre, les traces de son travail, les apports d’un esprit libre, la transmission et la formation du Danseur sont désormais libérées de sa présence tutélaire. Elles survivront, car c’est déjà dans les pages d’histoire qu’il s’était inscrit de son vivant. En ce qui me concerne, Béjart fait partie de ceux qui m’ont donné l’ivresse du savoir et de la découverte. Il n’était pas le seul, il en fut un des principaux vecteurs. Merci monsieur Maurice Béjart, je vous retrouverai dans quelques années dans le champ vert de vos passions en train de faire valser les nuages au rythme d’une douce complainte, celle des hommes frondeurs qui jouent avec la lumière des Dieux.

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La galère de Lutéce

Publié le par Bernard Oheix

 
Se rendre à Paris afin de visionner des pièces de théâtre pendant la semaine des grandes grèves était une proposition stupide… j’en conviens ! On ne se refait pas, attiré par l’odeur de soufre, les foules en colère, une France en décomposition, les patrons à l’agonie, un pouvoir d’achat qui ne baisse que pour les pauvres. Mon Dieu, mais (re)deviendrais-je un révolutionnaire luttant contre l’ordre juste, (excusez-moi, je mélange tout !), un anarchiste foulant au nom de ses idéaux utopiques la bonne marche d’une société dans laquelle chacun et chacune doivent savoir tenir sa place et rien que sa place !
 
Bof ! Ce que je sais, c’est que Paris en grève est une ville étrange, climat délétère, gens tendus mais résignés, froid perçant qui se glisse dans chaque encoignure, « vélibs » pris d’assaut (j’ai fait mon baptême et je vous assure que je préfère les Alpes entre Venise et Gdansk aux pavés luisants des rues parisiennes !), taxis introuvables, métros condamnés, bus aléatoires… et des kilomètres à pied à n’en plus finir, dans le bruit et la fureur d’une circulation multipliée, à regarder les numéros et les noms des rues comme si le salut éternel de mon âme en dépendait, à scruter une carte illisible afin de se retrouver dans le dédale d’une toile d’araignée qui nous étouffe. Vive Paris, vive le spectacle !
Tout cela pour une semaine très mitigée disons-le. Une vraie crise du spectacle avec des salles à moitié vides (en plus avec les grèves !) mais aussi une crise de la création et des propositions pas toujours intéressantes. Le monde du spectacle vit un séisme, un dérèglement réel qui va ensanglanter certaines planches de nombreuses scènes dans les années à venir.  Quant au public, il faudra bien que je vous livre un jour ce que j’en pense !
Victor et les enfants au pouvoir avec Lorant Deutsch pourrait faire illusion mais sonne presque « désuètement », comme si ce langage et ces situations venaient en écho d’un monde rêvé, il y a bien longtemps, par les surréalistes. Biographie sans Antoinette avec Lhermitte et Testud sur un texte de Max Frisch et une mise en scène de Hans Petter Cloos est un admirable exercice de style très convaincant, tant sur la forme que sur le fond. Un homme se voit proposé par un metteur en scène (Dieu !) de refaire sa biographie. Il va vouloir chasser une femme de sa vie mais elle reviendra, encore et toujours, parce que l’on ne peut gommer la vérité de son existence. C’est brillant, intelligent… mais cette pièce sera à Nice, au théâtre l’an prochain, donc pas à Cannes.
Et puis cela se gâte. Happy Hanouka, était présenté comme la comédie à la mode, son humour juif écrit par un dialoguiste avec les pieds en grève de talent, elle s’échoue sur les rives d’une vulgarité sans rémission. La vie devant soi, avec Myriam Boyer, tirée du roman d’Emile Ajar, nous donne l’envie irrépressible d’achever l’actrice afin de lui épargner le long calvaire d’une existence pour rien… et certainement pas pour l’attrait du spectateur. Les Chaussettes avec Desarthe et Galabru s’étirent en longueur et offrent quelques trous. La problématique est alléchante (théâtre de création et théâtre de comédie, public et privé, réunis en une création ultime par deux vieilles gloires dans leur genre respectif, à la recherche de leur prestige éteint), mais la pièce manque de finesse, les articulations sont trop évidentes et le jeu de Galabru (même en sourdine !) tonitrue à nos oreilles à la limite du supportable. Une occasion ratée malgré des efforts évidents pour parler à la tête !
Quelques lueurs d’espoir avec les monologues du vagin. Pièce devenue culte, à juste titre, les trois femmes (dont Nicole Croisille), nous entraînent dans un tourbillon de rires et d’émotions. L’homme rit aussi devant ces vagins abandonnés, trop sollicités, fiers, couards et c’est une admirable leçon d’histoire naturelle qui nous est dispensée avec « doigté » mais sans rien cacher. Vive les vagins monologuant !
Enfin pour la fine bouche, Bruno Solo dans un formidable Système Ribadier. Une histoire débile d’homme qui endort son épouse pour aller la tromper, d’ami amoureux transi de la femme qui la réveille volontairement, des quiproquos, chassés-croisés et autres variations, emmenés avec rythme, joués à la perfection, un vrai bol d’air d’un Feydeau monté sans temps morts, avec efficacité.
Ouf ! Il était temps de tenter de rentrer, à pied, à cheval, en TGV… mais dans la douleur toujours retrouver sa Côte d’Azur… sous les flots !
Et pendant ce temps, Stephan Eicher enchantait des hordes de femmes échevelées dans le Grand Auditorium du Palais des Festivals. Et son show était sublime d’après les quelques oreilles ennemies qui traînaient dans la salle. Et je n’étais même pas là ! Un conseil, achetez son dernier CD, il est génial !
La galère de Lutèce.
 
 

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Ah ! Rachid

Publié le par Bernard Oheix

Avant de partir à Paris, je tenais à vous mettre en ligne mes impressions sur un concert hors norme, un de ceux qui vous laisse pantois, désarçonné, plein de passion, écorché de musique. Rachid Taha, un maître, un grand, quelqu'un qui sait parler aux notes et les rendre vivantes !
Voilà, le mardi 13, je vais tenter de rallier Paris envers et malgré les grèves, histoire d'aller faire mon marché théâtral. Rendez-vous dans quelques jours pour un compte-rendu sur l'actualité théâtrale.
 
Oui, mon cher, tu ne ressembles pas à grand-chose quand la lumière vient t’enfermer dans sa cage dorée. Une grande pelisse dont les rabats trainent sur la scène, une « chapka » à étoile rouge sur la tête (qu’il ressortira sur « camarade », fièrement) laissant échapper une touffe de cheveux noir ébouriffés, petit et pas rasé, un informe sarouel rouge à carreaux et cette allure inimitable, entre l’aisance et l’abandon, la nonchalance et le je-m’en-foutisme, un côté décalé soigneusement entretenu qui va exploser dès que le groupe se mettra en branle.
J’avais eu le plaisir de le programmer en 2001 dans la première édition d’une Pantiero qui voyait Mathmata, Sinsémilia et d’autres, apporter un souffle d’air nouveau dans les programmations trop conformistes qui étaient mon lot quotidien de programmateur cannois. J’avais modestement ouvert un créneau sur les musiques du monde mais toujours reculé devant la jeune scène iconoclaste française. Il était temps de me lâcher et les élections m’avaient ouvert cette lucarne tant attendue. Début d’une aventure qui nous verra prendre des risques et ouvrir grand les portes de la nouveauté. Je me souviens d’un des plus beaux concerts qu’il m’ait été donné de voir. C’était dans la tournée d’un Made in Médina décapant. Je vous conseille ce disque, il doit nécessairement faire partie de toute discothèque intelligente !
Depuis, je savais que nos chemins se recroiseraient. Il avait été ébahi de jouer dans ce cadre magique, dans cette ville si décalée par rapport à son univers habituel. Il me l’avait dit dans un sourire en coin, entre deux verres en penchant sa tête sur le côté. Cannes, sa Croisette, ses petits vieux et leurs chiens en laisse… mais aussi Rachid Taha, l’enfant d’une douce France qui retrouvait ses racines pour inventer un rock nerveux, tribal, électro-ethnique, parfait exemple d’une mixité où le meilleur des deux cultures entrait en fusion.
Pour la petite histoire, c’est à ce concert du 14 août 2001 que j’ai vécu mon unique « baston » de toutes les soirées que j’ai pu organiser. Un public particulièrement chaud, une sécurité à fleur de peau et l’inévitable scène d’affrontement de coqs en colère, tee-shirts déchirés, hurlements et vagues du public partagé entre la violence des sons qui grimpaient au zénith et la bousculade et les coups qui pleuvaient.
Samedi 10 novembre. Il fait un temps superbe, l’équipe de Taha débarque de Strasbourg en bus. Ils sont sympas et décontractés, prennent possession de la salle et installent la technique. Rachid est à l’hôtel, dérangement gastrique à la clef.
Les réservations ne sont pas bonnes (150 ventes !) mais j’espère en la dernière vague, ceux qui ne réservent pas, vont au concert sans prendre leur billet ! Disons-le tout de suite, cela fera chou blanc, l’assistance remplira la salle de la Licorne pour un 320 qui permettra au concert de se dérouler dans de bonnes conditions (la capacité est de 450) mais qui m’empêchera de rêver à une recette miracle ! Encore un concert largement déficitaire, tout comme celui d’Arno. Il va falloir tenter de remédier à ce problème endémique d’objectifs non atteints sur la musique afin de conserver cette liberté de choix dont je dispose actuellement ! On sait bien que seule la réussite et le remplissage des salles empêchent l’effraction de pressions extérieures ! Mais bon, pour le moment, j’ai encore un répit grâce à quelques superbes réussites comme Brégovic, Archive et autres Migenes…
Sur le concert que dire ? Génial, superbe, fantastique et autres qualificatifs…Quelques morceaux de légende de ses précédents disques parsèment son show. Barra barra, Garab, Ala Jalkoum, Hey Anta et le sublime Médina. Tous des morceaux qui obéissent à une logique de monté vers la transe rock en une série de paliers qui font grimper l’intensité. Batterie, basse et clavier installent une rythmique, la guitare brode et cisèle les interstices, les articulations permettent un basculement et déclenchent la fusion. Rock in the Casba et de nouveaux morceaux tirés de Diwan 2 complètent le set, soutenu par une derbouka et une mandoline qui apportent des sonorités orientalisantes à ce rock progressif. Tous les musiciens qui l’accompagnent (à parité entre européens et arabes) sont en phase totale avec leur leader qui tient la scène et tangue. Sa voix éraillée de basse, rauque, déchire les pans de musique et vient se heurter aux instruments en soli. C’est un grand Rachid Taha qui opère en ce soir du 10 novembre 2007 pour un public définitivement acquis. Merci Rachid. En loge, goguenard, la bouche en coin, tu sais que tu a réussi ton coup, que tu as mis les spectateurs dans ta poche et que le métier a encore parlé. Tu reviendras, mon Ami, la scène cannoise  ne peut tolérer trop longtemps une aussi longue absence.
Bon, le bilan, même s’il est mitigé question nombre de billets vendus, reste exceptionnel quand à la qualité de ces concerts de la rentrée 2007/2008. Avoir accueilli Grand Corps Malade, Mano Solo, Archive, Arno et Taha…et en attendant Eicher, tout cela en un mois, nous donne la certitude d’avoir œuvré pour ceux qui cherchent à atteindre un pan de paradis et à fuir la morosité ambiante, nous rend heureux et persuadés d’avoir autorisé quelques moments de rêves pour ceux qui aiment la musique, la vraie, celle de toutes les passions, celle qui n’a pas de frontières et transgresse les normes.
Vive la musique des cœurs vaillants !
 

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